Comment l'État-providence contribue-t-il à la cohésion sociale ?

Introduction :

La cohésion sociale représente la situation dans laquelle la société ne connaît pas de troubles en raison de l’adhésion commune des individus autour de valeurs et de normes. Cependant, la montée du chômage, de la pauvreté, de la précarité et des inégalités semble aujourd’hui menacer la cohésion sociale. Face à cette situation, l’État intervient pour renforcer le sentiment de cohésion sociale. Ainsi, le « Plan national de cohésion sociale », lancé en 2005, vise à agir sur l’emploi, le logement et l’égalité des chances. Son intervention semble aujourd’hui de plus en plus nécessaire, notamment en raison de la crise économique qui a eu pour conséquence l’augmentation du chômage et de la précarité.

Ce cours va nous permettre d’envisager pour quelles raisons la cohésion sociale est fragilisée aujourd’hui, puis nous envisagerons comment l’État intervient pour favoriser la cohésion sociale.

Les éléments qui fragilisent la cohésion sociale

Selon le sociologue français Robert Castel « parler de cohésion sociale est une manière de nommer les rapports d’interdépendance qui doivent unir tous les membres d’une société. Lorsque ces relations existent, on peut parler de société intégrée, ou de “sociétés de semblables” ». La cohésion sociale implique l’existence chez l’individu d’un sentiment d’appartenance à un groupe et donc une intégration de celui-ci au groupe.

D’après l’analyse de Robert Castel de l’évolution historique du lien social, celui-ci est de plus en plus fragilisé. Dans son analyse il met l’accent sur deux sources de lien social : les relations de proximité, comme la famille, et le travail. Selon Castel, le travail participe à l’intégration dans la société, notamment lorsque la situation économique conduit au plein-emploi et que le travailleur et sa famille bénéficient de droits sociaux, comme c’était le cas dans les années 1960.

En combinant ces deux sources de lien social, Castel distingue trois types de cohésion sociale :

  • intégration : l’individu dispose d’un travail stable et de supports relationnels solides ;
  • vulnérabilité sociale : précarité au travail et fragilité des relations ;
  • désaffiliation : l’individu ne participe pas à l’activité productive et vit un isolement relationnel.

Il considère que certains individus vivent un processus de désaffiliation.

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Définition

Processus de désaffiliation :

Processus de fragilisation du lien social en raison d’un affaiblissement des solidarités de proximité, comme la famille, ou du phénomène de précarisation du travail.

Ainsi, selon Castel, étant donné que la famille, l’école et la religion ne jouent plus leur rôle d’intégration sociale, cela conduit à favoriser l’isolement. De même, la perte d’emploi peut conduire à l’isolement, puis à l’exclusion.

Le sociologue français Serge Paugam, complète l’analyse de Castel sur l’exclusion sociale. Il affirme que la personne « en situation de pauvreté voit sa position menacée dans la société en général ». En effet, cette personne va être désignée par la société comme appartenant à un ensemble social dévalorisant. Pour certains individus, les personnes en situation de pauvreté se trouvent dans cette situation en raison d’une certaine incompétence ou irresponsabilité sociale.

Selon Paugam, les personnes dont la situation sociale est instable (précarité, pauvreté, affaiblissement des liens sociaux) rentrent dans un processus de disqualification sociale.

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Définition

Disqualification sociale :

Processus caractérisé par l’affaiblissement ou la rupture du lien social qui s’accompagne d’une perte de la reconnaissance sociale.

L’intervention de l’État pour favoriser la cohésion sociale

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Définition

État-providence :

Lorsque l’État intervient en matière économique et sociale, notamment en mettant en place un système de protection sociale, il est qualifié d’État-providence.

Ce type d’État se différencie de l’État-gendarme.

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Définition

État-gendarme :

État qui intervient uniquement pour assurer la sécurité et la liberté des individus, en assurant les fonctions de police, de justice et de défense nationale.

La naissance de l’État-providence

Le premier système de protection sociale naît en Allemagne à la fin du XIXe siècle. Dans ce système, qualifié de « système bismarckien », la protection sociale est assurée seulement pour ceux qui exercent une activité professionnelle. C’est un système fondé sur une logique assurantielle.

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Définition

Logique assurantielle :

Dans une logique assurantielle, la protection sociale est assurée pour ceux qui cotisent, et est proportionnelle aux cotisations versées. Ce modèle est géré par les employeurs et les salariés.

Le second modèle de protection sociale naît en Angleterre au XXe siècle, et découle des principes posés par lord Beveridge en 1942 :

  • la protection sociale est ouverte à tous et pour tous les risques sociaux ;
  • les prestations sociales sont les mêmes pour tous, en fonction des besoins et non des revenus ;
  • le financement du système de protection sociale est fait par l’impôt ;
  • l’État gère la protection sociale.

Ce « système beveridgien » est donc fondé sur une logique assistancielle.

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Définition

Logique assistancielle :

Dans une logique assistancielle, la protection sociale est assurée pour tous et financée grâce à l’impôt.

Le système de protection sociale en France est à l’origine fondé sur le modèle bismarckien, c’est-à-dire que la protection est assurée pour ceux qui travaillent. Cependant, dès l’origine, une partie de la protection sociale a un caractère beveridgien et ouvre le droit à la protection sociale à certaines populations, comme les personnes âgées ou handicapées.

À partir des années 1980, avec la montée du chômage, le système de protection sociale en France va de plus en plus prendre en charge des interventions de type assistanciel. De plus, l’État va intervenir davantage pour lutter contre la pauvreté, les discriminations et l’exclusion sociale.

Les missions de l’État-providence

La protection sociale en France protège les individus contre les risques sociaux.

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Définition

Risque social :

Un risque social désigne un évènement qui peut avoir un effet négatif sur le revenu, comme par exemple la perte d’emploi, ou qui peut entraîner une augmentation des dépenses, comme la maladie ou la naissance d’un enfant.

Au travers de la protection sociale, l’État s’appuie sur la solidarité nationale pour garantir une solidarité intergénérationnelle (les prestations de retraite) et intragénérationnelle (les prestations chômage).

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Définition

Solidarité :

La solidarité représente un sentiment qui pousse les individus à s’entraider. Elle naît de l’interdépendance des membres au sein d’un groupe social.

Le système de protection sociale en France permet également de réduire les inégalités qui peuvent être des facteurs de fragilisation du lien social, notamment grâce à la redistribution.

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Définition

Redistribution :

La redistribution représente l’action des pouvoirs publics pour modifier la répartition des revenus entre les membres de la société, en prélevant des impôts à certains et en distribuant des prestations à d’autres.

La redistribution impôts prestations ses première La redistribution

Selon, l’article « La redistribution : état des lieux en 2012 » publié par l’INSEE, « les 10 % de personnes les plus pauvres disposent d’un niveau de vie moyen avant redistribution de l’ordre de 4 100 euros par an tandis que les 10 % les plus aisés reçoivent 72 200 euros par an et par unité de consommation, soit 17,6 fois plus. Après redistribution, ce rapport passe de 17,6 à 5,7. »

L’action de l’État porte également sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

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Définition

Pauvreté :

La pauvreté représente la situation dans laquelle un individu gagne moins de 50 %, ou 60 % en fonction des statistiques, du revenu médian.

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Définition

Exclusion :

L’exclusion est un processus qui peut avoir pour effet de rompre le lien social en raison de plusieurs facteurs qui se combinent comme le chômage, la pauvreté, la maladie, l’échec scolaire, etc.

Pour lutter contre ces risques, l’État a mis en place le revenu minimum d’insertion (RMI) qui a été remplacé par le revenu de solidarité active (RSA) le 1er juin 2009. Ce revenu est accordé aux personnes qui ne disposent pas d’un travail (RSA socle), mais également à ceux qui ont un travail faiblement rémunéré (RSA activité). Le RSA activité permet à l’individu de conserver une partie de ses prestations s’il retrouve un emploi faiblement rémunéré, ce qui l’encourage à retrouver un travail. En effet, si le RSA était supprimé lorsque l’individu retrouve un emploi peu rémunéré, celui-ci pourrait ne pas vouloir retrouver de travail, car le gain serait très faible et supposerait un coût supplémentaire avec, par exemple, le transport. Pour cette raison, l’individu bénéficiaire du RSA socle qui retrouve un emploi continuera à percevoir le RSA diminué de 38 % du salaire qu’il reçoit ou que reçoit le ménage.

Alt texte Montant du RSA socle au 1er avril 2016

L’État-providence peut également favoriser la cohésion sociale en luttant contre les discriminations.

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Définition

Discrimination :

La discrimination représente une situation dans laquelle un traitement égalitaire n’est pas respecté pour un groupe social en raison de son origine, sa culture, sa religion, son sexe ou toute autre caractéristique attribuée à ce groupe.

L’État peut ainsi intervenir en mettant en place des politiques de discrimination positive.

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Définition

Discrimination positive :

Politique qui accorde un avantage à un groupe discriminé.

Cette politique part du principe que l’égalité des droits n’est pas suffisante pour garantir l’égalité des chances, et que certains groupes présentent un handicap de départ qui les rend inégaux dans les faits face aux autres groupes sociaux. Par exemple, en France, la loi oblige les entreprises de plus de 20 salariés à employer au moins 6 % de personnes handicapées ou à payer une contribution à l’Agefiph, le fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

Conclusion :

L’évolution des interventions de l’État en matière sociale montre que la cohésion sociale est de plus en plus fragilisée. En effet, l’affaiblissement des liens sociaux et la montée de la précarité et de la pauvreté obligent l’État à intervenir pour maintenir la cohésion sociale et éviter des troubles sociaux graves.

Cependant, l’intervention de l’État est de plus en plus contestée. Dès les années 1980, le sociologue et historien français Pierre Rosanvallon parle de la crise de l’État-providence en mettant en avant trois crises : crise financière, qui remet en cause le modèle de financement de la protection sociale, crise d’efficacité, car l’État ne parvient pas à résoudre les difficultés en matière de chômage et de pauvreté, et crise de légitimité, les mesures prises sont perçues comme un frein à l’activité économique.

Ces crises se retrouvent actuellement à la suite de la crise économique débutée en 2008. De plus, comme l’indique le sociologue NicolasDuvoux, les prestations sociales n’éradiquent pas la pauvreté, mais enferment des catégories de population dans un statut d’assisté, et ces prestations peuvent être perçues comme des privilèges injustes par ceux qui ne les perçoivent pas.