Comment un phénomène social devient-il un phénomène public ?

Introduction :

Chaque jour, de nouvelles inquiétudes de la population sont prises en main par les décideurs politiques. Le fait que des préoccupations sociales deviennent des préoccupations publiques est le fruit d’un long travail qui peut se faire par la coopération entre les multiples acteurs sociaux et les décideurs politiques, ou à la suite d’un confit social.

Ce cours va nous permettre de comprendre comment un problème social devient un problème public, par quels mécanismes il sera pris en charge par les décideurs politiques, et en quoi consiste leur action.

La transformation d’un phénomène social en phénomène public

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Définition

Problème social :

Selon les sociologues américains Robert King Merton et Robert Nisbet, un problème social représente une différence entre les conditions actuelles et les valeurs et normes sociales établies, cette différence étant considérée comme corrigible.

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À retenir

Aucun problème social n’est en lui-même un problème public. En effet, beaucoup des préoccupations de certains groupes ne deviennent pas des problèmes traités par les pouvoirs publics, ou bien deviennent une préoccupation publique longtemps après le commencement du phénomène. De plus, pour qu’un phénomène social devienne un phénomène public, il doit intéresser une part importante de la population.

Par exemple, le traitement infligé aux animaux pour la consommation de viande est, pour certains groupes, une préoccupation de longue date. Cependant, ce problème n’est apparu dans le débat public que très récemment, et a été amplifié par l’action d’associations, comme L214, qui se sont mobilisées pour le rendre public.

Le sociologue américain Howard Becker montre que pour qu’un problème devienne public, il faut que des individus aient un intérêt à le rendre public, et qu’ils s’organisent pour cela. Ces individus sont appelés par Becker les « entrepreneurs de morale ». Ce sont des individus qui entreprennent une lutte pour réformer les valeurs et les normes qu’ils jugent insatisfaisantes.

Alt texte D'un phénomène social à un phénomène public

Le sociologue français Bernard Lahire utilise, lui, le terme de « faiseurs de revendications » pour définir ces individus qui agissent pour mettre en scène un problème social.

Ainsi, on peut considérer que les problèmes de société sont construits à partir des revendications de certains individus qui considèrent qu’il est possible de remédier à la situation en cause. C’est donc la mobilisation d’un groupe organisé qui transforme leur préoccupation en problème pour l’ensemble de la société. Ces groupes peuvent être des associations, comme celles de parents de victimes des accidents de la route ou les associations de défense de l’environnement, des groupes de scientifiques, des syndicats ou encore des personnalités publiques.

L’action de ces groupes passe par trois phases successives :

  • transformer le problème individuel en un problème collectif : en créant des associations qui regroupent des membres qui subissent le même problème, on attribue au problème un caractère collectif. Par exemple, les enfants atteints d’une maladie rare représentent un problème individuel pour eux et leurs familles en termes de prise en charge, d’adaptation de leur scolarité, etc. En se regroupant au sein d’une association, les parents de ces enfants vont partager leur situation et rendre le problème collectif, c’est-à-dire partagé par un groupe ;
  • identifier un responsable au problème soulevé ;
  • demander une action publique pour remédier au problème : l’action peut prendre la forme de la création d’une loi qui protège ou sanctionne certains comportements, de la création de structures d’accueil, de l’indemnisation de certaines situations, etc.

La mise sur l’agenda politique

Rendre un problème individuel collectif n’est pas suffisant pour que les pouvoirs publics décident de le traiter. Pour que le problème soit traité, il faut l’inscrire à l’agenda politique : il faut que celui-ci devienne une priorité pour les décideurs politiques.

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Définition

Agenda politique :

L’agenda politique représente l’ensemble des préoccupations considérées comme légitimes par les décideurs politiques.

Actuellement, la mise sur l’agenda politique passe par la médiatisation du phénomène social. En effet, les médias jouent un rôle fondamental dans la hiérarchisation des préoccupations sociales. Les difficultés, pour les groupes qui veulent porter leur problème dans le débat public, sont qu’ils sont en concurrence avec d’autres groupes ou individus qui veulent également propulser leur préoccupation dans le débat public, et que l’actualité médiatique est également influencée par d’autres évènements qui occupent une place dans la transmission de l’information.

De plus, l’inscription d’un phénomène sur l’agenda politique dépend également des avantages que peuvent en retirer les hommes politiques. Le succès de la revendication peut donc dépendre du moment politique. Ainsi, en période d’élections, il est plus facile de faire entendre certaines préoccupations aux hommes politiques, qui cherchent à gagner des voix pour être élus.

Le politiste américain John W. Kingdon montre que pour qu’une décision politique puisse être prise par rapport à un problème social il faut que se crée une « fenêtre d’opportunité politique ». Ce moment nécessite la réunion de plusieurs conditions :

  • que le problème soit reconnu ;
  • qu’une solution existe et qu’elle relève de la compétence des décideurs politiques ;
  • que le moment politique permette un changement de politique par rapport au problème.

L’action publique

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Définition

Politique publique :

Selon le sociologue Jean-Claude Thoenig, une politique publique est « un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales ». Les politiques publiques sont donc les moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour atteindre un objectif dans un domaine particulier.

Les politiques publiques présentent plusieurs caractéristiques :

  • elles peuvent être constituées par des décisions concrètes, comme l’adoption d’une loi, ou par des formes de « non décision », comme par exemple refuser d’appliquer une norme internationale ;
  • elles affectent la situation de certains agents, appelés ressortissants de la politique publique ;
  • et elles définissent les buts et les objectifs à atteindre.

Une politique publique peut être contraignante, incitative ou de promotion.

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Définition

Politique publique contraignante :

Une politique publique est contraignante lorsque la mesure prise impose une action aux individus, comme l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou l’obligation de rouler à droite.

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Définition

Politique publique incitative :

Une politique publique est incitative lorsqu’elle a pour objectif d’orienter les comportements des individus, comme par exemple les taxes sur les cigarettes qui visent à dissuader les individus de fumer.

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Définition

Politique publique de promotion :

Une politique publique est dite de promotion lorsqu’elle a pour objectif de développer certains comportements considérés comme positifs pour les individus ou la société, comme par exemple la campagne conseillant de manger cinq fruits et légumes par jour.

L’adoption d’une politique publique fait intervenir un certain nombre d’acteurs publics ou privés : les administrations publiques, les acteurs qui ont impulsé le changement, comme les syndicats et les associations, le Parlement qui vote les lois, le gouvernement, etc.

Une fois la politique publique mise en place, il faut également prévoir des moyens d’évaluation de celle-ci. Il s’agit d’analyser, après un certain temps, si les effets produits par la mesure correspondent aux effets attendus, et quelles difficultés présente l’application de la mesure. Lorsque la mesure soulève des problèmes ou qu’elle n’est pas entièrement efficace, il faut pouvoir la modifier en fonction des attentes.

Ainsi, le revenu minimum d’insertion (RMI) a montré qu’il pouvait décourager la reprise d’un emploi, car la personne perdait le droit à cette allocation. Pour cette raison, ce dispositif a été remplacé par le revenu de solidarité active (RSA), qui permet de conserver une partie de l’allocation lorsque l’individu retrouve un travail pour lequel la rémunération est jugée faible.

Conclusion :

Les problèmes sociaux sont une construction sociale faite par les acteurs qui ont un intérêt à modifier la situation existante. Ces acteurs vont chercher à inscrire leur lutte à l’agenda politique en médiatisant leur problème. Mais la résolution du problème passe par la volonté des hommes politiques à traiter le problème, et dépend donc des intérêts qu’ils peuvent en retirer.

Une fois une politique publique adoptée, et afin de corriger le problème soulevé, il faut pouvoir l’évaluer et modifier les mesures si cela s’avère nécessaire.