De la guerre entre États à de nouvelles formes de conflits

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Introduction :

Avec la fin de la guerre de Cent Ans (1337-1453), le schéma féodal de la guerre évolue vers une conception interétatique de la guerre, considérée comme un instrument de violence détenu légitimement par le pouvoir politique afin d’anéantir les forces offensives et défensives de l’adversaire et de le contraindre à exécuter la volonté du vainqueur. Ce schéma est théorisé à l’époque des guerres napoléoniennes par le général prussien von Clausewitz avec son ouvrage De la guerre, et fonde la pensée stratégique des États contemporains. Ce schéma scientifique de la guerre trouvera son apogée dans les guerres totales du XXe siècle, tout en se voyant remis en cause par la multiplication des guerres irrégulières.

On peut dès lors se demander comment a évolué la conception de la guerre, de l’époque de la guerre de Sept Ans à nos jours.
Nous verrons d’abord qu’à l’époque moderne, la guerre moderne trouve son essence dans la guerre de Sept Ans et les guerres napoléoniennes, puis devient « la continuation de la politique par d’autres moyens » d’après le modèle de Clausewitz. Cependant, l’émergence de nouvelles formes de conflits, comme les guerres irrégulières liées au terrorisme ou les cyberguerres remettent en cause ce modèle de la guerre dite classique.

La guerre entre États : l’exemple de la guerre de Sept Ans et des guerres napoléoniennes

La guerre de Sept Ans est le premier modèle de guerre à l’échelle mondiale. Elle oppose les principales puissances européennes de 1756 à 1763 simultanément sur plusieurs continents (Europe, Amérique et Asie), certaines batailles ayant même eu lieu, quoique de façon beaucoup plus marginale, sur le continent africain, comme la bataille de Gorée en 1758. Pour ces raisons, elle a été considérée comme la première guerre mondiale par des historiens et des observateurs aussi avisés que Winston Churchill dans son Histoire des peuples anglophones.

La guerre de Sept Ans, une première guerre mondiale ?

Le 1er mai 1756, la France et l’Autriche s’allient dans le cadre du premier traité de Versailles pour contrecarrer les ambitions territoriales de la Prusse de Frédéric II (1712-1786) et l’influence grandissante de l’Angleterre sur le continent. Craignant un déséquilibre de l’Europe, la plupart des autres monarchies européennes entrent à leur tour dans le conflit. La guerre est à la fois :

  • continentale, puisqu’elle oppose la Prusse à ses adversaires dont l’Autriche et la Russie ;
  • maritime et coloniale, avec les affrontements entre France et Grande-Bretagne sur les mers et dans les colonies.

Produit de la première colonisation, la Nouvelle-France, vaste région d’Amérique du Nord, s’étend de la Louisiane au Canada et de l’Acadie aux Antilles françaises. C’est un territoire mal défendu du fait de la faiblesse des colonies de peuplement françaises et particulièrement convoité par les Britanniques, ce qui explique qu’il fut un important théâtre d’opérations entre anglais et français, soit directement, soit à travers l’affrontement de leurs alliés amérindiens.

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Astuce

Ce dernier conflit fut d’ailleurs adapté au cinéma dans les films Barry Lyndon de Stanley Kubrick en 1975 et Le dernier des Mohicans, de Michael Mann en 1992.

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Définition

Première colonisation :

La première colonisation désigne le mouvement de conquête et de peuplement de territoires africains, asiatiques et américains par les puissances européennes entre le XVe siècle et le début du XIXe siècle. Le premier espace colonial français, comprenait presque un tiers de l’Amérique du Nord entre le Québec et la Louisiane, une partie des Antilles, les Mascareignes et des établissements en Inde (Pondichéry) et en Afrique. Il s’étendait sur pas moins de 10 000 000 kilomètres carrés, soit dix-huit fois la superficie de la France actuelle.

En 1760, la guerre continentale tourne à l’avantage de la France et de ses alliés. Battu par les troupes russes et autrichiennes sur l’Oder, le 12 août 1759 Frédéric II manque d’être capturé et voit ses ennemis entrer dans Berlin. C’est la mort de la tsarine Élisabeth le 5 janvier 1762 et l’accession au trône de son neveu, Pierre III, qui va sauver Frédéric. Fervent admirateur de Frédéric II, le nouveau tsar lui restitue en effet les territoires conquis et se retire de la coalition.

  • Reconstituant son armée (la plus moderne de l’époque) et recourant à des manœuvres rapides, Frédéric II, souvent présenté comme un précurseur de Napoléon, remporte une série de batailles contre les armées autrichiennes dont la victoire de Burkersdorf (juillet 1762) qui pousse les Autrichiens à entrer dans le processus de négociation de paix.

La guerre maritime et coloniale, elle, tourne rapidement à l’avantage des Anglais. Défaite en 1759 lors de la bataille navale dite des Cardinaux, dans la baie de Quiberon, la France perd les forts de Louisbourg, Québec et Montréal (verrous de la Nouvelle-France) l’année suivante, avant de perdre également le comptoir de Pondichéry en Inde, en 1761.

  • Face à de nouveaux théâtres d’opérations et des finances au plus bas Louis XV est poussé à faire la paix avec l’Angleterre.

En 1763, le traité de Paris, particulièrement défavorable à la France qui y perd une grande partie de son premier empire colonial, met fin à la guerre de Sept Ans.

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Définition

Traité de Paris :

Signé le 10 février 1763, le traité de Paris mit fin à la guerre de Sept Ans en consacrant la victoire de l’Angleterre sur la France. Selon les termes du traité, la France accepte de céder à sa rivale la majeure partie de ses possessions coloniales, dont le Canada, l’Est de la Louisiane, une partie des Antilles et le Sénégal, faisant de l’Angleterre la première puissance mondiale.

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Engagée sur mer et sur terre et mobilisant l’ensemble des ressources des pays en guerre (y compris leurs colonies), la guerre de Sept Ans marque un tournant dans l’histoire militaire. À travers la figure de Frédéric II, elle couronne une nouvelle façon de faire la guerre faite de mouvements rapides, d’armées modernes organisées en corps distincts et de batailles décisives dont l’enjeu n’était ni plus ni moins l’annihilation des forces adverses afin de contraindre l’adversaire à la capitulation.

  • En cela, la guerre de Sept Ans est le prélude du modèle de Clausewitz.

Les conséquences de la guerre de Sept Ans seront particulièrement importantes.

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Exemple

En France, pour éviter la banqueroute, Louis XV (1715-1774) augmente taxes et impôts, se rendant particulièrement impopulaire, tandis que l’Angleterre décide de taxer les colons américains sans leur accorder de représentation au Parlement, ce qui sera la principale cause de la guerre d’indépendance américaine (1775-1783).

Davantage encore que la guerre de Sept Ans, ce sont les guerres napoléoniennes qui illustrent le mieux le modèle de Clausewitz.

Les guerres napoléoniennes

Les guerres napoléoniennes, qui prolongent les guerres de la Révolution française, peuvent se diviser en deux grandes périodes. La première, celle des succès, s’étend de 1800 à 1809, année qui constitue un tournant à partir duquel les défaites et les résistances des peuples conquis l’emportent sur les victoires. La deuxième période s’étend donc de 1809 à la première abdication de l’Empereur en avril 1814, précédent son exil sur l’île d’Elbe.

  • Ces guerres renforcent l’armée, qui prend le pouvoir en 1799 sous la conduite du général Bonaparte, qui devient Premier consul puis Empereur.

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À retenir

La bataille d’Austerlitz qui eut lieu le 2 décembre 1805, surnommée « la bataille des Trois Empereurs » est considérée comme la victoire la plus aboutie de Napoléon.

En 1802, la France et l’Angleterre, exsangues après dix années de guerre, signent un traité de paix à Amiens, connu sous le nom de paix d’Amiens. Cependant, dès l’année suivante, William Pitt, Premier ministre anglais, ne respecte pas l’accord en refusant d’évacuer Malte. En 1803, le Premier consul Bonaparte décide d’envahir l’Angleterre.

  • Dans cette optique, il rassemble la Grande Armée le long du littoral nord de la France, créant ainsi le camp de Boulogne.

Or, si la flotte britannique domine les mers, l’Angleterre ne possède pas d’armée suffisamment forte pour résister à un débarquement français.
Le gouvernement anglais décide donc de détourner l’attention de Napoléon en formant une nouvelle coalition contre la France, avec l’Autriche, la Russie et la Suède dont les souverains s’inquiètent de la proclamation de l’Empire le 18 mai 1804 et de ses visées expansionnistes.

  • Alors que la Bavière, alliée de la France, est menacée par les armées russes et autrichiennes, Napoléon donne l’ordre aux sept corps d’armées formant la Grande Armée de quitter leurs campements du nord de la France le 25 août 1805.

Le 2 décembre 1805, après avoir remporté une victoire préliminaire sur une partie de l’armée autrichienne à Ulm, Napoléon se présenta face aux armées des deux empereurs ennemis (autrichien et russe) sur un terrain qu’il avait choisi, à Austerlitz. Feignant de fuir, Napoléon attire l’armée ennemi à sa poursuite jusqu’au champ de bataille. Ses ennemis tombent dans le piège et Napoléon fait manœuvrer les différents corps de son armée de sorte à encercler l’adversaire. Le succès est total. Surprises et totalement désorganisées, les troupes coalisées se débandent. Au soir du 2 décembre, les Français, qui étaient pourtant inférieurs numériquement à leurs adversaires sont maîtres du terrain. S’ils comptent plus de 1500 morts dans leurs rangs, leurs adversaires, eux, laissent plus de 16 000 hommes sans vie sur le champ de bataille.

  • Le lendemain, le 3 décembre, son armée anéantie, François II, empereur d’Autriche, rencontre Napoléon et demande la conclusion d’un traité de paix. Jamais l’empereur des Français n’est apparu aussi puissant.

À partir de 1809 cependant, la puissance de Napoléon décline. La guérilla menée par les partisans espagnols contre l’armée française qui occupe leur pays depuis 1808 oblige à diviser les forces impériales.
Cependant, c’est la campagne de Russie qui va définitivement condamner Napoléon. En 1812, ce dernier rassemble pas moins de 600 000 hommes au sein de la Grande Armée et marche sur Moscou. Échaudé par le souvenir cuisant de la bataille d’Austerlitz, Koutouzov, général en chef des armées russes pratique la politique de la terre brûlée et ne cesse de se dérober devant Napoléon.

  • Le 14 septembre 1812, la Grande Armée entre dans Moscou que l’armée russe ne défend pas.

Du 14 au 18 septembre, la ville brûle presque entièrement suite au déclenchement de plusieurs incendies, vraisemblablement par des partisans russes. À partir du 18 octobre, la Grande Armée est continuellement harcelée par des éléments de l’armée russe, dont la cavalerie cosaque qui décime les unités isolées. Elle entame sa longue retraite dans la rigueur de l’automne puis de l’hiver russes. Puis, l’hiver gagnant en intensité en novembre, les chevaux et les hommes, qui ne sont pas équipés pour affronter le froid, sont décimés.

Malgré la victoire obtenue lors de la bataille de la Bérézina (26-29 novembre 1812) sur l’armée de Koutouzov, la campagne de Russie est un désastre pour Napoléon : 200 000 soldats sont morts tandis que plus de 150 000 ont été capturés par les Russes. Sur le plan politique, ses conséquences sont encore plus dramatiques : elle démontre avec netteté que l’empereur peut-être vaincu, ce qui encourage à la révolte les populations des pays conquis.

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À retenir

La guerre de Sept Ans et les guerres napoléoniennes sont les premières illustrations de la guerre classique qui sera définie par Clausewitz. Ces guerres opposent en effet des coalitions d’États autour d’enjeux transnationaux. Ces conflits ont néanmoins mis en évidence pour la première fois l’insuffisance du schéma classique de la guerre dans certaines configurations. Les Britanniques surent ainsi renoncer à la tactique classique impliquant des attaques en formation et l’ordre linéaire de bataille dans leurs colonies pendant la guerre de Sept Ans au profit d’alliances avec les populations locales tandis que lors de la retraite de Russie, la Grande Armée a été décimée par le froid russe et le harcèlement incessant des cavaliers cosaques.

Le modèle de Clausewitz de la guerre : la « continuation de la politique par d’autres moyens »

Conçue comme une ordalie au Moyen Âge, c’est-à-dire un jugement de Dieu, la guerre, perçue comme juste et réservée aux membres de la noblesse, qui se livrent parfois des guerres privées. Elle devient absolue et le monopole de l’État à l’époque moderne. Clausewitz est le principal théoricien de cette transformation au début du XVIIIe siècle.

Le modèle classique de la guerre selon Clausewitz

Né en 1780, Carl von Clausewitz entre dans l’armée prussienne à l’âge de treize ans, dans une Europe bouleversée par les guerres de la Révolution française puis par l’épopée napoléonienne. Commandant à trente ans, nommé général à trente-huit ans, il participe à la campagne de 1806 contre Napoléon et à l’anéantissement de l’armée prussienne lors de la bataille d’Iéna cette même année, au cours de laquelle il est fait prisonnier par l’armée française. Libéré, il participe à la réorganisation de l’armée prussienne sur le modèle de l’armée napoléonienne.

  • Il est donc un témoin privilégié des évolutions de la guerre moderne, dont il va devenir le principal théoricien.

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De 1818 à 1830, Clausewitz devient directeur de l’École de guerre de Berlin, où il rédige le canevas de son ouvrage majeur : De la guerre, un traité de stratégie militaire dans lequel il expose sa théorie de la guerre moderne.
Pour Clausewitz, la guerre constitue « un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté. » Il ne conçoit donc la guerre que comme un « conflit absolu » entre États qui n’a pas d’autre but que l’anéantissement total de l’ennemi.

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Définition

Conflits interétatiques et intra-étatiques :

Le terme conflit interétatique désigne une guerre entre États. Il s’oppose donc, étymologiquement, au conflit intra-étatique, c’est-à-dire interne à un État. À notre époque cependant, la distinction s’estompe, les conflits intra-étatiques intégrant de plus en plus une dimension interétatique.

Dans De la guerre (1832), Clausewitz cherche donc à définir une théorie scientifique de la guerre dans laquelle le stratège conserve néanmoins une importante liberté d’initiative. D’après lui, l’art de la guerre se manifeste chez le stratège dans sa capacité non pas à exterminer ou conquérir l’ensemble du territoire de son adversaire, mais à le priver de ses capacités défensives et offensives en déterminant le centre de gravité sur lequel il convient de faire porter ses efforts.

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Exemple

Ce centre de gravité peut, bien sûr, être l’armée de l’adversaire. Mais il peut également s’agir de sa capitale, d’un point stratégique de son territoire ou plus simplement son opinion publique.

En effet, pour Clausewitz, la guerre n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un instrument à disposition de l’autorité politique pour parvenir à ses fins comme l’indique la célèbre citation : « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens ».

  • Dès lors, Clausewitz opère une stricte distinction entre la tactique (l’usage des forces militaires sur le champ de bataille) et la stratégie (les objectifs que le politique cherche à atteindre grâce au succès de cette tactique).
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Définition

Guerre (classique) :

Affrontement armé entre États, considéré comme un phénomène historique et social.

Clausewitz à l’aune d’autres stratèges

Pour Clausewitz, la guerre est un combat à grande échelle qui n’échappe pas aux lois du hasard et dépend de nombreux facteurs exogènes. Ce « brouillard de guerre » peut être atténué par l’étude des conflits armés antérieurs, en particulier des guerres et batailles dirigées par Napoléon, omniprésent dans la pensée de Clausewitz, pour lequel il est le modèle honnit du stratège idéal. C’est en étudiant Napoléon que le théoricien développe son schéma tactique révolutionnaire de la guerre.

L’imprévisibilité des batailles peut déjouer le meilleur plan conçu à l’avance. C’est pourquoi Clausewitz préconise de généraliser la partition de l’armée en différents corps d’armée autonomes en adaptant leur organisation et leur disposition à la topographie du terrain et aux spécificités du conflit. Que ce soit dans De la guerre, publié à titre posthume, ou dans son manuel intitulé Principes fondamentaux de stratégie militaire, rédigé en 1812, au moment où Napoléon est encore le maître de l’Europe, Clausewitz rompt donc fondamentalement avec la vision d’Ancien Régime de la guerre en prônant la guerre absolue. Il introduit tout de même un principe de régulation de l’usage de la force dans ses écrits que les stratèges des deux guerres mondiales ne prendront pas en considération en appliquant ses principes.

En un sens, la pensée de Clausewitz s’inscrit dans la continuité de celle de Machiavel (1469-1527). L’auteur du Prince rédigea aussi un manuel des affaires militaires intitulé L’art de la guerre (rédigé entre 1519 et 1520), dans lequel il lie étroitement la création d’une armée professionnelle aux succès politiques d’un souverain.

Enfin, même si le modèle de Clausewitz diffère par bien des aspects de celui de Sun Tzu (544-496 av. J.-C.), les deux ouvrages présentent néanmoins une certaine similitude. Sun Tzu, général chinois du Ve siècle avant Jésus-Christ est l’auteur de l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien à nous être parvenu, intitulé L’art de la guerre qui, avec celui de Clausewitz, a sans conteste le plus influencé la stratégie militaire.

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À retenir

Ainsi, si pour Clausewitz la guerre est un moyen de contraindre un adversaire à la volonté du vainqueur, chez Sun Tzu la guerre est le moyen qui doit permettre de contraindre un adversaire à abandonner la lutte.

Chez Sun Tzu cet objectif passe presque exclusivement par l’anéantissement des forces offensives et défensives de l’adversaire, mais tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins y compris le refus de recourir au combat, en usant par exemple de la ruse, de l’espionnage, d’une grande mobilité de l’armée et de l’adaptation de la tactique employée par le stratège à celle de l’adversaire (éléments que l’on retrouve aussi chez Clausewitz mais au sein d’un schéma prédéfini).

  • De ce point de vue, la conception de l’art de la guerre de Sun Tzu répond davantage aux guerres irrégulières que le modèle développé par Clausewitz.

Qui plus est, le modèle de Sun Tzu est plus viable, l’ensemble des moyens préconisés par son auteur pour obtenir la victoire devant être employé afin de s’assurer une victoire au moindre coût humain comme matériel, dans le soucis d’éviter les victoires à la Pyrrhus.

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Définition

Victoire à la Pyrrhus :

Roi d’Épire, région située entre la Grèce et l’Albanie actuelles, Pyrrhus, né vers 318 avant Jésus-Christ, remporta la bataille d’Ausculum contre les légions romaines au prix de la perte d’une grande partie de son armée (septembre 279 avant Jésus-Christ) ce qui l’empêcha de poursuivre sa lutte contre Rome.

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À retenir

La guerre, définie comme un conflit armé entre États dont l’objectif ultime est de soumettre l’ennemi à sa volonté, est appréhendée comme une science visant à l’anéantissement de l’adversaire. Si les écrits de Clausewitz, fortement influencés par l’art de la guerre moderne de Napoléon, sont parfaitement adaptés à des batailles rangées entre armées régulières et peuvent contribuer à la lecture des deux conflits mondiaux du XXe siècle, en revanche, ils apparaissent moins opérants que les écrits de Sun Tzu pour répondre aux enjeux des guerres irrégulières.

L’émergence de nouvelles formes de conflits

Bien que l’on trouve des traces récurrentes de conflits irréguliers depuis l’Antiquité, le modèle classique de l’art de la guerre hérité de Clausewitz n’est pas à même d’y apporter une réponse adaptée puisque les États sont contraints par le droit de la guerre alors que les acteurs irréguliers s’affranchissent plus facilement des lois.

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Exemple

Polybe, historien grec du deuxième siècle avant Jésus-Christ, relate en ces termes la guerre irrégulière qui aboutit à la sécession de la Haute Égypte sous Ptolémée IV (244-204 avant Jésus-Christ) : « mis à part les traits de cruauté et les violations de toutes les règles qui l’accompagnèrent, [cette guerre] n’a été marquée par aucune bataille rangée, par aucun combat naval, par aucun siège, bref, par aucune action mémorable. »

Plus récemment, les conflits classiques entre États sont rendus impossibles par la course aux armements, pilier de la dissuasion nucléaire au cœur de la guerre froide (1947-1991).

  • Dans ce contexte particulier, des mouvements terroristes, de guérilla, voire des insurrections viennent contester le monopole de l’usage de la violence légitime détenu par l’État.

Le modèle de Clausewitz à l’épreuve des « guerres irrégulières » : d’Al-Qaïda à Daesh

Le concept de guerre irrégulière n’est pas aisé à définir. Il s’oppose à la guerre régulière, ou réglée, c’est-à-dire à la guerre encadrée par des lois ou des règles et menée par des réguliers.

  • Si la définition classique de la guerre chez Clausewitz assimile la guerre à un art dont les règles doivent être respectées, la guerre irrégulière, elle, ne suit pas de règles préalablement établies et acceptées de tous.

En effet des conventions édictent les règles de la guerre, comme celles issues des première et seconde conférences de la Haye de 1899 et 1907 qui s’imposent normalement à tous les États en guerre afin notamment de protéger les droits et d’assurer la sauvegarde des populations civiles.

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À retenir

Mais la guerre irrégulière est une guerre sans frontières, au sens propre comme figuré, puisqu’elle ne tient pas compte des frontières des États et abolit les distinctions communément établies entre domaine civil et domaine militaire. C’est également une guerre sans front distinct et sans armée clairement identifiée.

Thomas Edward Lawrence (1888-1935), officier britannique passé à la postérité sous le nom de Lawrence d’Arabie en raison de son rôle actif dans la révolte arabe (1916-1918) contre l’Empire Ottoman lors de la Première Guerre mondiale, montre la limite du modèle de Clausewitz. Dans ses deux ouvrages de référence, Les sept piliers de la sagesse et Guérilla dans le désert, bien qu’il reconnaisse lui-même avoir dans un premier temps adhéré aux thèses de Clausewitz : « Clausewitz, cependant, les dominait tous de si haut, d’un point de vue intellectuel, et la logique de son livre était si fascinante, qu’inconsciemment j’avais accepté ses conclusions », pour Lawrence, les troupes irrégulières arabes remportèrent la victoire en faisant pression sur les infrastructures et les défenses turques tout en se dérobant systématiquement à la bataille.

Au cours du XXe siècle, les différents mouvements rebelles apparentés aux communistes vont élaborer une théorie et une stratégie de la guerre révolutionnaire. Celle-ci est menée avec succès par Mao Zedong en Chine et Fidel Castro et Ernesto Guevara à Cuba. Les communistes vietnamiens, au prix de décennies de guerre irrégulière, parviennent ainsi à vaincre les Français, les Américains et les Chinois entre 1945 et 1979.
Les penseurs de la guerre révolutionnaire mettent en avant la nécessité pour les combattants irréguliers de gagner le soutien de la population pour pouvoir s’y déplacer « comme un poisson dans l’eau ». En réaction, les armées régulières développent des techniques de guerre contre-insurrectionnelle fondées sur le renseignement et la capacité du gouvernement à regagner l’adhésion des populations.

À partir des années 1970, la lutte insurrectionnelle devient le moyen d’action privilégié d’organisations désireuses de combattre des États. Le meilleur exemple en est Al-Qaida. Fondée en 1987, Al-Qaïda est une organisation terroriste islamiste créée par le Palestinien Abdallah Azam et le Saoudien Oussama Ben Laden.

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Définition

Terrorisme :

Emploi assumé de la violence (attentats, prises d’otages, etc.) par une organisation ou un individu pour atteindre un but politique.

Suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge entre 1979 et 1989, les fondateurs d’Al-Qaïda, soutenus par la CIA, recrutaient des candidats au djihad qui étaient envoyés renforcer les rangs de la résistance afghane contre l’URSS.

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Définition

CIA :

La CIA (Central Intelligence Agency) est l’agence de renseignement des États-Unis également chargée des actions clandestines en dehors du territoire américain.

Avec la fin de la guerre froide, l’organisation terroriste définit de nouvelles priorités : le renversement des dirigeants arabes non islamiques comme le président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak (1981-2011), et la lutte contre les États-Unis et plus largement les sociétés occidentales. Ben Laden s’installe en Afghanistan à partir de 1996, où les talibans, un mouvement islamiste, ont fondé la même année l’émirat islamique d’Afghanistan, faisant appliquer la charia, c’est-à-dire la loi religieuse musulmane. Là, il installe des camps d’entraînements pour les volontaires au djihad qui rejoignent son organisation.

À partir de cette époque, les membres d’Al-Qaïda commettent des attentats de plus en plus spectaculaires à travers le monde. En 1998, Ben Laden cosigne avec d’autres chefs de mouvements terroristes islamistes à travers le monde un « appel au djihad pour la libération des lieux saints musulmans » faisant d’Al-Qaïda une organisation terroriste aux ramifications très étendues.

Le 11 septembre 2001, des membres d’Al-Qaïda parviennent à détourner quatre avions de ligne aux États-Unis et crashent deux d’entre eux sur les tours du World Trade Center et un autre sur le Pentagone, le quartier général de l’armée américaine, faisant plus de 3000 morts et entraînant une exposition médiatique sans précédent pour un groupe terroriste, qui lui permit d’étendre son influence au sein de la nébuleuse terroriste.
En réaction à cet attentat, les États-Unis formèrent une coalition internationale sous mandat de l’ONU et attaquèrent le régime des talibans en Afghanistan, soutien d’Al-Qaïda, sans parvenir pour autant à détruire l’organisation. Si Ben Laden fut abattu le 2 mai 2011 par les forces spéciales américaines au Pakistan, l’organisation Al-Qaïda existe toujours. Elle a notamment essaimé au Maghreb avec le groupe AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) créé en 2007, que les pays de la zone saharienne ne parviennent pas à démanteler en dépit de nombreux efforts.

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Daesh, est un groupe terroriste islamiste né de la fusion de cinq groupes djihadistes irakiens avec Al-Qaïda en Irak en 2006, c’est-à-dire trois ans après qu’ait débutée l’occupation du pays par les États-Unis suite aux attentats du 11 septembre. Cette organisation constitue un autre exemple de la difficulté pour les armées régulières de lutter contre les groupes irréguliers. Autoproclamé État Islamique en Irak et au Levant et profitant de la faiblesse de l’État irakien et de la guerre civile en Syrie débutée en 2011, Daesh s’empare d’un important territoire à cheval entre les deux pays et annonce en 2014 le rétablissement du califat, qui prend la forme d’un proto-État.

Combattu d’une part par une coalition de 22 pays menée par les États-Unis, et d’autre part par le régime syrien de Bachar al-Assad, l’état islamique est soutenu par la Russie et l’Iran mais aussi par le gouvernement irakien et les forces kurdes. Il mène une campagne d’attentats à travers le Moyen-Orient et jusqu’en Europe, où il est notamment à l’origine des attentats du 13 novembre 2015. S’il disparaît en tant que proto-État en 2018, il conserve néanmoins une grande partie de son pouvoir de nuisance à travers le monde, non seulement car ses membres survivants sont redevenus des irréguliers, c’est-à-dire qu’ils se fondent parmi les populations, mais aussi parce que de nombreux autres groupes terroristes islamistes lui ont fait allégeance dans le monde, comme Boko Haram au Nigéria.

  • Si le proto-État formé par l’État islamique a pu être défait, le groupe terroriste Daesh, lui, n’a pas disparu.

Ces deux exemples témoignent de la difficulté pour les entités internationales de s’adapter aux guerres irrégulières et de dépasser le modèle de Clausewitz.

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À retenir

Si le modèle de Clausewitz est adapté au schéma des guerres classiques, il semble en revanche inadapté aux guerres irrégulières. Les exemples récents fournis par Al-Qaïda et l’État islamique en témoignent. Si les armées régulières peuvent remporter des succès contre ces groupes, ces succès ne sont jamais définitifs du fait de l’impossibilité de les anéantir complètement.

De la cyberguerre au cyberterrorisme

Il n’existe pas de définition stricto sensu de la cyberguerre en droit international. La limite provient du terme guerre en lui-même, puisque ce dernier désigne un conflit armé sur un théâtre d’opération. Or, peut-on parler de guerre à propos du cyberespace, ce dernier renvoyant à un espace virtuel aux contours flous et mal identifiés ?

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Définition

Cyberespace :

Espace virtuel constitué par les infrastructures interconnectées relevant des technologies de l’information, dont Internet, et par les données qui y sont échangées et traitées.

A priori oui, si l’on entend la cyberguerre comme une confrontation entre États dans le cyberespace ayant des répercussions sur un théâtre d’opération réel et si l’on considère que de nombreux États à travers le monde y ont dédié des services spécialisés depuis le début du XXIe siècle. C’est notamment le cas de la Russie, de la Chine, d’Israël, ou encore de l’Iran. En France, la cyberdéfense, qui comporte une dimension offensive, est principalement assurée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) créée en 2009 et qui compte aujourd’hui un effectif de plus de 700 agents.

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Définition

Cyberdéfense :

Ensemble des mesures techniques qui permettent à un État de défendre ses systèmes d’informations vitaux dans le cyberespace et des activités qu’il conduit afin d’intervenir militairement dans le cyberespace pour garantir l’efficacité de l’action de ses forces armées et attaquer les systèmes d’informations d’un autre État.

Si les moyens de cyberdéfense mobilisés par les différents États à travers le monde sont sans cesse croissants, c’est parce qu’une guerre numérique pourrait aboutir à une guerre conventionnelle, voire provoquer le chaos au sein d’un État en paralysant ses réseaux de communication et ses infrastructures.

Plusieurs formes d’attaques peuvent être menées dans le cadre de la cyberguerre, de la plus classique, l’espionnage, à l’attaque d’infrastructures sensibles, en passant par la désinformation ou le sabotage d’équipements.

En 2013, Edward Snowden, agent de la CIA puis consultant de la NSA (agence responsable du renseignement d’origine électromagnétique aux États-Unis) révéla que les États-Unis disposaient de programmes de surveillance d’Internet et d’espionnage des télécommunications non seulement des pays ennemis, mais également des gouvernements des pays alliés. Plusieurs États, dont les États-Unis, sont soupçonnés d’avoir mené des cyberattaques contre des États rivaux. En 2010, l’Aman, service de renseignement militaire israélien et la NSA ont été accusées par l’Iran et de nombreux observateurs d’être à l’origine d’une cyberattaque de grande envergure à l’encontre du programme d’enrichissement d’uranium de l’Iran au moyen d’un vers informatique baptisé Stuxnet.

  • Les États usent également de cyberguerre dans le domaine économique et industriel.

C’est particulièrement le cas de la Chine, qui intensifie ses efforts d’espionnage et de déstabilisation des entreprises américaines dans le cadre de la guerre commerciale engagée entre Washington et Pékin depuis l’élection de Donald Trump en 2016. La responsabilité des États dans les cyberattaques est néanmoins difficile à prouver formellement, ces derniers recourant fréquemment à des groupes de hackers qu’ils parrainent afin de procéder au vol de données sensibles sur des cibles géopolitiques.

Comme dans le cas de la guerre conventionnelle, la cyberguerre laisse craindre le risque du cyberterrorisme, c’est-à-dire d’attaques graves des réseaux et des systèmes informatiques d’une société, d’une institution ou d’un État, commises par un mouvement terroriste dans le but d’entraîner une désorganisation générale susceptible de créer la panique. Néanmoins, du fait des moyens financiers et technologiques considérables que nécessite la cyberguerre, les groupes terroristes limitent le plus souvent leurs actions à des opérations de propagande pour recruter de nouveaux adeptes. Cependant, la menace de cyberattentats est prise très au sérieux.

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À retenir

Depuis le début du XXIe siècle, la cyberguerre est devenue une réalité. En réponse, les États augmentent les moyens alloués à la cyberdéfense, conscients qu’une cyberattaque pourrait entraîner leur paralysie, voire mener à une guerre conventionnelle. Le cyberespace devient à son tour un terrain de lutte pour les organisations terroristes qui y sont très présentes, notamment à travers des opérations de propagande et de recrutement à destination de leurs adeptes. C’est une forme de guerre inédite qui pourrait potentiellement donner naissance à des formes de cyberterrorisme dont l’objectif serait de désorganiser durablement les structures d’un État afin de l’affaiblir.

Conclusion :

Conçue à partir du XVIIIe siècle comme une forme de violence légitimement détenue par les seuls États, la guerre classique, théorisée par Clausewitz, a connu son âge d’or à l’époque napoléonienne et lors des deux guerres mondiales qui ont mis en avant sa dimension absolue. Cependant, le modèle de Clausewitz semble aujourd’hui de moins en moins adapté aux nouvelles formes de conflits. Les guerres irrégulières, et notamment les guerres menées par les mouvements terroristes, ne peuvent être définitivement remportées par les forces régulières qui doivent s’adapter à ces nouvelles menaces.
Parallèlement, le développement de la cyberguerre depuis le début du XXIe siècle voit l’émergence d’une nouvelle façon de faire la guerre, virtuelle, en espionnant, désorganisant, voire en s’attaquant à des infrastructures d’un État à distance. Dans ce contexte, les États renforcent leurs capacités de cyberdéfense, tandis que les groupes terroristes se tournent eux aussi vers le cyberespace, en faisant le champ de bataille de demain.