Histoire et mémoires : l’exemple de la guerre d’Algérie

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Introduction :

Le 1er novembre 1954, les évènements de la Toussaint rouge (ou Toussaint sanglante) marquent le début de la guerre d’Algérie, souvent qualifiée de « guerre sale ». À la violence radicale et aux exactions du Front de libération nationale envers les civils, répondent en effet l’utilisation massive de la torture et l’assassinat des prisonniers par l’armée française.

Les conflits de la guerre d’Algérie sont également internes aux deux camps. En France, la IVe République est ébranlée par les accusations de torture et l’agitation de l’armée, et finit par avouer son impuissance. L’arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir ne résout pas le conflit, pas plus qu’elle n’apaise les partisans de l’Algérie française, qui tentent même de se soulever contre le président de la République. En Algérie, le FLN élimine les autres factions algériennes avant de connaître de très fortes luttes intestines entre la direction politique et la direction militaire de l’ALN (Armée de libération nationale). L’indépendance du 5 juillet 1962 s’accompagne du massacre des harkis (Algériens ayant combattu dans l’armée française) et de l’exode massif des Européens (pieds-noirs) vers la métropole. En Algérie, le FLN monopolise le pouvoir en s’appuyant sur sa propre version de l’histoire du conflit. Comment les mémoires de la guerre d’Algérie se sont-elles construites à partir d’une histoire difficile à écrire ?

Pendant de nombreuses années, le conflit est vu à travers le récit officiel, qui a intérêt à « ensevelir » l’histoire pour mieux contrôler la mémoire. L’histoire de la guerre d’Algérie met ainsi longtemps à pouvoir être écrite avant qu’un « réveil des mémoires » ne se fasse à partir des années 1990. Mais ce réveil n’a pas abouti à l’apaisement d’une mémoire franco-algérienne partagée, bien au contraire.

Il est important de distinguer tout au long de ce cours l’histoire de la mémoire.

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Définition

Histoire :

Étude scientifique et objective du passé à partir de multiples sources.

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Définition

Mémoire :

Souvenir du passé propre à un individu ou à un groupe, vision d’un événement ou d’une époque qui contient une part de subjectivité.

Le conflit et ses lendemains, de la guerre des mots à l’ensevelissement

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Rappel

La conquête française de l’Algérie commence en 1830 avec la prise d’Alger, et se poursuit pendant plusieurs décennies, devant notamment faire face à la résistance de l’émir Abd el-Kader entre 1832 et 1847. Les régimes successifs de la France s’efforcent d’en faire une colonie de peuplement (à la différence des autres colonies françaises), ce qui fait que plus d’un million d’Européens (Français mais aussi Espagnols et Italiens) y vivaient en 1950.

En France, une guerre sans nom

Le 8 mai 1945, à l’annonce de la fin de la Seconde Guerre mondiale, une grande manifestation pour l’indépendance algérienne est réprimée dans le sang à Sétif. L’armée française tire sur la foule et tue des dizaines d’Algériens.

  • Le massacre de Sétif est considéré comme un signe avant-coureur, dont la France ne tient pas suffisamment compte.

Prônant une lutte armée totale, le FLN lance son insurrection le 1^^er^ novembre 1954. La rébellion s’étend rapidement, obligeant l’État français à renforcer la présence militaire sur place, y compris en y envoyant les jeunes appelés du service militaire. Le discours officiel français continue de considérer les départements Algériens comme partie intégrante du territoire national, et parle de ces renforts comme d’une vaste opération de police contre les « hors-la-loi ».

Sous prétexte qu’une partie de la population adhère au FLN (par conviction ou sous la menace) en cachant et en aidant les combattants, l’armée française torture les rebelles capturés, puis les civils soupçonnés de leur venir en aide. Au cours des « corvées de bois », certains prisonniers sont tout simplement exécutés, parfois sur la base d’une simple suspicion.

  • La France viole ainsi les conventions internationales sur le droit de la guerre ainsi que les principes inscrits dans sa propre Constitution.

Sa présence en Algérie bafoue le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les Musulmans ne sont pas des citoyens à part entière. En outre, il est interdit de torturer et d’exécuter des prisonniers, même irréguliers.

En métropole, la torture est rapidement connue et dénoncée par de nombreux acteurs. Le Parti communiste français, ouvertement opposé à la colonisation, dénonce l’intervention française à travers ses élus et ses militants. Certains aident le FLN en tant que « porteurs de valises », c’est-à-dire qu’ils transportent des fonds et des faux-papiers pour les agents du FLN qui opèrent en métropole. Dans le monde intellectuel, la torture est dénoncée aussi bien par des figures de gauche (Jean-Paul Sartre) que de droite (François Mauriac). Parmi les militaires, Henri Alleg ou le général Pâris de la Bollardière témoignent des agissements dont ils ont été témoins et sont emprisonnés ou attaqués. Si la Radiodiffusion-télévision française, sous contrôle direct du ministre de l’Information, soutient la ligne officielle, en revanche, la presse écrite se fait l’écho de la dénonciation de la torture. En 1957 par exemple, le quotidien L’Express, témoigne des excès commis en Algérie tant par l’armée que par le FLN, comme notamment les exécutions sommaires.

Au sein de l’armée et des pieds-noirs se forme l’Organisation armée secrète (OAS), qui commet des attentats contre tous les opposants à l’Algérie française. Après la fin du conflit, celle-ci tente d’exercer une politique de la terre brûlée puis de se venger du Général de Gaulle, ce dernier sera la cible de plusieurs attentats en métropole. Le 22 août 1962, par exemple, au Petit-Clamart, un commando de l’OAS cribla de balles la voiture qui conduisait de Gaulle à Villacoublay..

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À retenir

Ainsi, avant et après l’indépendance, le gouvernement français n’emploie jamais l’expression de « guerre d’Algérie » mais parle des « évènements d’Algérie ». Le terme permet de nier la légitimité du sentiment national algérien mais aussi de ne pas reconnaître les violations du droit de la guerre commises pendant celle-ci. Ce n’est qu’en 2002 que l’appellation de « guerre d’Algérie » apparaît dans un texte de loi français, sous l’effet du réveil des mémoires.

En Algérie, une mémoire confisquée

Tout au long de la guerre d’Algérie, certains indigènes combattent pour l’armée française. Appelés « harkis », ils restent du côté des autorités coloniales par loyauté mais aussi pour mettre fin aux campagnes de terreur du FLN parmi les Algériens. Lors des négociations de l’indépendance, le gouvernement français prévoit de ne pas les rapatrier en métropole mais obtient du FLN la promesse qu’aucune représailles ne seront exercées.

  • Cette promesse n’est pas respectée et des dizaines de milliers de harkis sont massacrés.

Certains parviennent à gagner la métropole, souvent grâce à la complicité de leurs officiers.

Le combat du FLN est dirigé contre la France mais aussi contre les autres factions rivales, comme le Mouvement national algérien de Messali Hadj. Il applique également une politique de terreur envers les populations civiles, ciblant aveuglément les Européens et n’hésitant pas à massacrer les Algériens refusant de le soutenir. Des factions rivales apparaissent au sein du FLN, et les lendemains de l’indépendance voient l’Armée de libération nationale (dirigée par les « durs » du FLN) échapper au contrôle du Gouvernement provisoire de la république algérienne pluripartite.
Le nouveau gouvernement s’appuie sur la légitimité de vainqueur de la « Guerre de libération nationale » et met en avant une version idéalisée du conflit. La guerre est présentée comme un soulèvement spontané de tous les Algériens contre l’impérialisme français, qui aurait coûté plus d’un million de vies (en réalité autour de 300 000). L’élément arabe de l’identité algérienne est mis en avant, éliminant l’héritage des siècles de contact avec les Européens et le rôle important des Amazighs (ou Berbères) dans la guerre comme par exemple en Kabylie.

En 1965, Houari Boumédiène prend le pouvoir grâce à un coup d’État. Le FLN devient le parti unique et martèle désormais sa version officielle du conflit. Le Centre national historique algérien fondé en 1972 reste sous le contrôle étroit de l’État et garde jalousement ses archives et ses témoignages. Des historiens comme Mohammed Harbi ont ainsi dû fuir le pays pour éviter les représailles de l’État pour leurs travaux.

L’ensevelissement du conflit dans la mémoire française

En France, au lendemain des accords d’Évian qui mirent fin à la guerre, la majorité des anciens acteurs du conflit choisissent de maintenir le silence. Les 800 000 pieds-noirs rapatriés se font discrets par peur d’être associés à l’OAS. Surtout, ils ont perdu la plupart de leurs biens en Algérie et dépendent désormais de l’État pour subsister, une situation qui fait honte à beaucoup d’entre eux. Les Algériens vivant ou immigrant en métropole n’évoquent pas le FLN en France par crainte d’être victimes de représailles. Les harkis qui ont pu se réfugier en France vivent dans des camps de réfugiés et sont considérés comme des « collabos » par les autres Algériens.

L’État a, quant à lui, toutes les raisons d’oublier un épisode qui a failli tourner à la guerre civile en France. En 1958, le putsch des généraux français à Alger, mit en évidence le risque de guerre civile entre partisans et opposants à l’ouverture de négociations de paix avec le FLN. Sur la scène internationale, la France se retrouva également de plus en plus isolée dans le contexte de la guerre d’Algérie. En pleine guerre froide, les États asiatiques et africains, ainsi que l’URSS furent d’actifs soutiens de la cause algérienne, tandis que la position américaine, quoique plus ambigüe puisque les États-Unis étaient désireux de conserver la France dans l’OTAN, évolua progressivement en faveur des indépendantistes algériens La décolonisation étant assimilée au déclin du pays, la France gaullienne cherche à tourner la page à tout prix. En 1968, des lois amnistient la plupart des acteurs du conflit.

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À retenir

Ainsi, nous voyons que le récit d’un évènement s’écrit en temps réel, et que la désignation qu’on lui donne a des implications profondes. Les États français et algériens ont ainsi chacun instrumentalisée la mémoire en fonction de leurs intérêts du moment, à savoir la préservation de l’image de la France et la justification du pouvoir du FLN.

Le réveil des mémoires à partir des années 1970

L’émergence de mémoires divergentes

Les acteurs du conflit connaissent un réveil mémoriel progressif à partir des années 1970. Ce réveil montre la divergence de vision des évènements. Nostalgiques de leur vie en Algérie, les pieds-noirs entretiennent une vision idéalisée du temps de la colonisation et accusent Paris de les avoir abandonnés par calcul politique. Tout comme les anciens de l’OAS ou certains militaires ayant défendu la torture, ils considèrent la colonisation comme globalement bénéfique pour l’Algérie et la rébellion du FLN comme une manipulation des indigènes par l’URSS.

Concernant les harkis, ils sont toujours vus comme des « collabos » par l’État algérien tout en étant victimes du racisme et de la pauvreté en France. Ils s’estiment ainsi doublement trahis par l’État français, qui les a abandonnés à leur sort en 1962 avant de traiter les survivants avec mépris. Suite aux accords d’Évian, entre 25 000 et 80 000 harkis seront assassinés sur le sol algérien après avoir été désarmés. Les survivants et leurs familles, rapatriés dans un premier temps clandestinement en France à l’initiative de leurs officiers français, sont répartis dans des centres d’accueil et de reclassement où ils sont marginalisés.

Enfin, les communistes et les anciens partisans français du FLN réclament l’ouverture des archives et la reconnaissance des crimes de l’armée.

Un travail entamé par l’histoire et le cinéma

Certains historiens des années 1960 et 1970 étudient la guerre d’Algérie après y avoir pris part, comme Pierre Vidal-Naquet, qui a combattu la torture. Dès les années 1960, le récit de l’État est ainsi remis en cause par des travaux historiques. Mais ceux-ci restent limités par l’impossibilité d’accéder aux archives de l’armée ou d’enquêter en Algérie.

Le cinéma s’empare également de la question avec des films comme La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966). Cette production italo-algérienne raconte la traque et la mort du chef FLN Ali Ammar, représenté comme un héros affrontant une armée tortionnaire. Le film remporte de nombreuses récompenses mais est interdit de salle en France jusqu’aux années 2000. Il dépeint en effet l’ambiguïté et la violence de la campagne de terreur du FLN tout en montrant la légitimité de son combat. Il filme la violence de façon crue, en reproduisant fidèlement les attentats et les interrogatoires.

La « prise de conscience mémorielle »

Le réveil des mémoires a des conséquences sur les anciens acteurs du conflit, qui s’organisent au cours des années 1970. Les Français qui ont fait leur service militaire en Algérie obtiennent le statut d’ancien combattant. Les pieds-noirs obtiennent des indemnisations, tandis que les harkis se révoltent contre leurs conditions de vie indigne. Le Front National, fondé en 1972 avec Jean-Marie Le Pen (qui a combattu et est accusé d’avoir torturé en Algérie) à sa tête se développe en promouvant la mémoire de l’Algérie française.

Un pas vers l’apaisement mémoriel est cependant franchi en 1983 : la grande Marche pour l’égalité et contre le racisme réunit des enfants de membres du FLN et des enfants de harkis côte-à-côte pour dénoncer le racisme qu’ils subissent tous en France. La même année, les « évènements d’Algérie » entrent dans les programmes scolaires.

Une mémoire toujours séparée mais qui avance vers le partage

L’inscription difficile dans la mémoire officielle française

En 1990, le gouvernement français ouvre l’accès à la plupart des archives concernant le conflit.

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À retenir

L’Assemblée nationale emploie l’expression de « guerre » pour la première fois en 1999 pour désigner le conflit.

Des témoignages qui confirment définitivement la véracité des accusations de torture sont publiés. En 2002 Jacques Chirac inaugure un Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie. Dix ans plus tard, François Hollande reconnaît officiellement la responsabilité de l’État dans la torture et les souffrances du peuple algérien et désigne le 19 mars (date du cessez-le-feu) comme journée nationale des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie.
Plus récemment, Emmanuel Macron a affirmé son désir de tourner la page du conflit, dont la plupart des acteurs sont vieillissants ou décédés, tout en désignant la colonisation française comme un « crime contre l’humanité ».

Cependant, cette reconnaissance mémorielle n’est pas acceptée de tous. Par nostalgie de l’Algérie française ou par refus de la « repentance ».

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Définition

Repentance :

Reconnaissance publique par un État d’une faute commise ou supposément commise dans le passé et pour laquelle une demande officielle de pardon est formulée.

En 2005, une proposition de loi vise à faire inscrire dans les programmes scolaires le « rôle positif » de la colonisation et déclenche un long débat sur l’attitude de l’État français et sa capacité à faire des lois mémorielles. La loi est votée mais abrogée peu après.

En Algérie, une mémoire toujours sous contrôle

Contrôlée d’une main de fer par le FLN, l’Algérie tente de libéraliser son système politique à la fin des années 1980. Mais le processus démocratique est interrompu en 1992, et le pays bascule dans une guerre civile entre l’armée et les partis islamistes. La décennie noire qui suit fait des centaines de milliers de morts en Algérie.

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Définition

Décennie noire :

Guerre civile qui opposa le gouvernement algérien aux groupes islamistes entre 1991 et 2002. Le conflit se solda par la victoire du gouvernement et un lourd bilan humain. Les estimations varient entre 60 000 et 150 000 victimes.

Durant cette période le pouvoir algérien ne permet toujours pas de diverger du récit officiel du FLN. La seule ouverture faite date de 1995, lorsque Messali Hadj (fondateur du MNA détruit par le FLN) est rangé parmi les pères fondateurs de la nation par le président Bouteflika. Les archives sont toujours interdites d’accès, les harkis sont toujours considérés comme des collaborationnistes et les violences du FLN contre les civils à peine évoquées.

Conclusion :

Nous voyons donc qu’il est important de distinguer l’histoire et la mémoire. Le travail de l’historien ne peut pas céder aux revendications de tel ou tel groupe de privilégier tel ou tel aspect des faits. Il doit restituer objectivement le passé en s’appuyant sur des sources et une démonstration. L’historien cherche à montrer la complexité des faits et maintient une certaine distance par rapport à eux. L’histoire évolue donc en fonction des sources disponibles et des nouveaux éclairages apportés sans arrêt sur de nouvelles questions. Par exemple, pourquoi les harkis s’engageaient-ils ? Le FLN a-t-il recruté en inspirant l’adhésion ou la peur ? Les pieds-noirs ont-ils été vraiment abandonnés par la France ?

À l’opposé, la mémoire produit un récit fondateur du groupe en sélectionnant des épisodes spécifiques parmi les évènements historiques. Elle évolue en fonction des groupes qui la produisent et de l’État qui l’encadre. Il apparaît dans le cas de la guerre d’Algérie que la véritable question est générationnelle : plus une génération a de proximité avec l’évènement, plus la mémoire en est difficile à manier. Ainsi, de Gaulle et Mitterrand (en tant que ministre de l’Intérieur), tous deux impliqués dans la répression de l’insurrection, n’ont pas la même attitude que Jacques Chirac, plus jeune, qui a combattu en tant qu’officier sur le terrain. Nicolas Sarkozy et François Hollande n’y ont pas participé mais ils ont connu la mémoire ensevelie puis le réveil mémoriel. Quant à Emmanuel Macron, il reconnait lui-même que, étant né en 1977, il n’a jamais connu l’Algérie française et peut donc d’autant mieux assumer la colonisation.
En Algérie, les différents clans du FLN se sont affrontés pendant des années avant que la décennie noire ne donne le pouvoir à l’armée. La génération qui a libéré le pays disparaît peu à peu mais la parole ne se libère pas. Le silence contraint par l’État algérien est même étendu à la décennie noire.