L'analyse économique du développement durable

Introduction :

Ce cours met en évidence le réel prix de la croissance dont on commence à prendre conscience, qui ne cesse de s’élever et qui concerne tous les habitants de la planète : l’impact sur l’environnement. Nous allons donc nous interroger sur les liens qui existent entre la création de richesse et les atteintes à l’environnement.

Pour savoir si la croissance est réellement compatible avec la préservation de l’environnement, nous allons voir dans un premier temps les limites écologiques de la croissance, puis dans un second temps l’influence d’un nouveau concept, celui de développement durable, qui va chercher à redéfinir les conditions de la création de richesse.

Les limites écologiques de la croissance économique

Les effets de la croissance sur l’environnement

Impact écologique et développement économique sont liés : jamais le monde n’a autant produit qu’aujourd’hui. On le voit très bien sur la courbe ci-dessous : depuis 1960, le PIB mondial n’a cessé d’augmenter – à part en 2009 à cause de la crise.

Si on fait le parallèle avec les évolutions de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et les flux dus aux énergies fossiles, on se rend compte que jamais dans l’Histoire nous n’avons autant pollué. Là aussi, la plus forte augmentation débute aux alentours de 1960.

Le réchauffement climatique est un fait avéré : notre planète se dégrade, son environnement est soumis à des pressions sans précédents qui portent directement atteinte à l’Humanité.

Prenons l’exemple des gaz à effets de serre. Ce sont des microparticules contenues dans certains gaz qui ont la particularité de s’accumuler dans l’atmosphère et qui empêchent les rayons du soleil de repartir vers l’espace. Ils contribuent ainsi à augmenter sensiblement le réchauffement de l’air sur Terre. Les gaz à effets de serre sont naturellement rejetés dans l’atmosphère. Mais le développement continu des activités économiques depuis le début du XIXe siècle a multiplié par vingt leur production.

Les émissions de gaz à effets de serre de 1860 à 2010

L’émission de CO2 dans l’atmosphère est stimulée :

  • par la déforestation : les arbres, pour se développer, fixent le CO2 et produisent de l’oxygène. Quand on coupe des arbres, on libère tout le CO2 qu’ils ont accumulé au fil des ans. Depuis les années 1950, toutes les grandes forêts du monde sont surexploitées : on défriche, on coupe, on arrache, pour replanter des productions rentables, comme, par exemple les palmiers pour produire de l’huile de palme. On le voit en vert sur le graphique, depuis 1950 la déforestation est irrégulière car liée au développement du commerce international.
  • par l’exploitation du charbon qui est une source d’énergie dans de nombreux pays où il sert à produire de l’électricité,
  • par l’extraction du pétrole et les diverses industries pétrochimiques ;
  • par l’extraction et la consommation de gaz ;
  • par la calcination de la chaux, un procédé lui aussi utilisé pour produire de l’énergie.

La multiplication de toutes ces émissions pose plusieurs problèmes auxquels réfléchit le GIEC, Groupe international d’experts sur l’évolution du climat. D’après leurs analyses, le développement des activités économiques conduira à une hausse de 4,8 degrés Celsius d’ici à 2100. En faisant fondre les glaciers, le niveau global des océans montera d’un mètre, entraînant la disparition de nombreuses îles et inondant les côtes. Mais cela provoquera aussi des cyclones, des tsunamis, des pluies diluviennes, et simultanément, des sècheresses.

L’agriculture sera en première ligne, et de profondes difficultés à nourrir les milliards d’êtres humains surviendront. Aujourd’hui déjà, dans de nombreux pays pauvres, des populations se révoltent car elles ne parviennent plus à se nourrir correctement, notamment en raison des dérèglements climatiques.

Le réchauffement est aussi un problème de santé publique : l’augmentation de la concentration en CO2 dans l’air entraîne la recrudescence des cas de bronchiolites et d’asthme. Des températures plus élevées favoriseront l’arrivée de nouvelles maladies directement liées à l’environnement.

La biodiversité, elle aussi, est concernée : de nombreuses espèces vivantes disparaissent chaque année. Nos ressources halieutiques, les produits vivants issus de la mer, sont surexploitées en raison de la pêche industrielle qui ne respecte ni les temps de reproduction ni les habitats. À très court terme, de nombreuses espèces marines comme le thon rouge en mer Méditerranée sont menacées d’extinctions.

Plus globalement, le développement des activités économiques porte atteinte à l’évolution des stocks naturels. Il s’appuie sur l’utilisation de ressources naturelles non-renouvelables comme le pétrole, qui s’épuisent définitivement faute de pouvoir se reconstituer.

Elles s’opposent aux ressources renouvelables qui se trouvent dans la nature en quantité infinie, comme l’air ou le soleil. Le capital naturel fait référence aux ressources telles que minéraux, plantes, animaux, air, pétrole, qui sont vus comme des moyens de production de biens et services écologiques. On y trouve la production d’oxygène, l’épuration naturelle de l’eau, la prévention de l’érosion ou la pollinisation des cultures par exemple. Or, ce stock de capital naturel s’épuise sans retour possible.

Cela pose le problème des biens communs. Les biens communs sont des biens accessibles à tous les individus mais qui ne peuvent pas être consommés en même temps par les agents économiques. On dit qu’ils sont non-exclusifs (ils sont accessibles à tous) et rivaux (leur utilisation par un agent empêche celle d’autres agents). Prenons l’exemple de la cueillette de mûres en été : c’est gratuit, mais rival. Si je cueille toutes les mûres, il n’en reste pas pour les autres promeneurs. Or, le « bon » climat est considéré par certains économistes comme un bien commun : par nos consommations présentes, nous détruisons le « bon climat » sans en payer un coût, et au détriment des générations futures.

Au-delà de ces phénomènes, on constate aussi un déséquilibre entre les pays du Nord et les pays du Sud dans la prise de conscience des enjeux. Alors que certains pays du Nord cherchent à réduire leurs atteintes sur l’environnement, les pays du Sud veulent toujours plus stimuler leur croissance économique pour se développer rapidement au prix d’un impact écologique plus important, pour eux comme pour le monde entier.

Ces éléments attestent que la croissance se heurte à toute une série de limites écologiques. Ce qui met en question les outils de mesure de la croissance : sont-ils réellement capable de refléter le bien-être des populations ?

Croissance, développement et bien-être

Croissance et développement sont deux notions bien distinctes. Alors que la croissance mesure une quantité fixe, la production de biens et de services, le développement désigne lui la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire accroître cumulativement et durablement son produit réel global.

La croissance n’est pas toujours synonyme de développement. Des pays qui connaissent une croissance forte voient par exemple s’accroitre les inégalités sociales entre leurs habitants, la pauvreté ou des risques climatiques. Le PIB, qui mesure cette croissance, n’intègre pas des facteurs comme l’environnement dans son calcul, alors que celui-ci impacte directement la vie des agents économiques, mais aussi leurs choix, leurs stratégies et leurs anticipations.

Face à ce problème, des indicateurs alternatifs avaient été élaborés. On trouve l’IDH, qui prend aussi en compte le niveau d’éducation et l’espérance de vie. Mais il n’est pas non plus suffisant pour intégrer les dommages causés à l’environnement dans le calcul du bien-être. Un autre indice nommé IPH, pour indice de pauvreté humaine, ajoute lui des critères liés aux conditions de vie, comme l’accès à l’eau potable, aux services de santé, le taux de chômage, le pourcentage de décès avant 60 ans. Cet IPH est exprimé en pourcentage : plus l’IPH d’un pays est élevé, plus il est « pauvre » et plus les conditions de vie de ses populations sont difficiles.

La France quant à elle a élaboré son propre indice de bien-être, qui s’appelle le BIP 40 et qui prend en compte le niveau de richesses, d’inégalités, la consommation, la sécurité économique. Mais là encore la mesure des dommages environnementaux est compliquée à prendre en compte. La croissance économique génère donc des effets dangereux sur l’environnement. Comme elle ne prend pas en compte le bien-être des populations, elle n’est pas concernée par les effets collatéraux qu’exige la création de richesses. Une nouvelle notion va corriger les objectifs donnés à la croissance à partir de 1987, en lui adjoignant l’idée de développement durable.

La solution envisagée : le développement durable

Le développement durable répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. La notion de développement durable implique une nouvelle approche de la croissance, une croissance soutenable, directement conditionnée à l’évolution de plusieurs capitaux, même si deux conceptions de cette soutenabilité s’opposent.

Stocks de capitaux et croissance soutenable

La notion de développement durable repose sur trois dimensions :

  • une dimension économique : il doit être économiquement efficace ;
  • une dimension sociale : il doit être socialement juste ;
  • une dimension environnementale : il doit être écologiquement soutenable.

Pour mieux comprendre, on raisonne en termes de stocks de capitaux. On en distingue quatre types : le capital physique, le capital naturel, le capital humain et le capital institutionnel. C’est en faisant varier chacun d’entre eux que l’accès au développement durable va devenir possible.

Pour produire, l’entreprise utilise une certaine quantité de capital. Avec le développement durable, on va distinguer :

  • le capital physique, qui correspond au capital productif (les biens et les investissements mobilisés dans le processus de production de biens et de services). Par exemple, une entreprise qui produit des confitures utilise des machines pour transformer les fruits : elles correspondent à du capital physique. Mais elle utilise aussi de l’eau pour laver les bocaux : c’est du capital naturel ;
  • le capital naturel correspond à l’ensemble des ressources naturelles mobilisées dans la croissance. La croissance qui respecte les dimensions du développement durable est appelée croissance soutenable. La mise en place d’une croissance soutenable exige que le capital naturel soit de plus en plus réduit pour être remplacé par du capital physique. Elle peut s’obtenir par le développement de stratégies de recherche et développement, par des investissements, pour trouver par exemple les moyens de réduire les quantités astronomiques d’eau qui sont parfois utilisées pour produire, ou pour remplacer l’utilisation du pétrole par des énergies renouvelables, comme les énergies éoliennes ou solaires ;
  • le capital humain regroupe toutes les capacités dont dispose un individu et qui le rendent apte à produire. Il englobe donc la formation, l’expérience mais aussi la santé, l’éducation. Pour améliorer sa fonction productive, l’entreprise peut former ses salariés, faire en sorte qu’ils puissent avoir une bonne mutuelle pour accéder aux soins médicaux. En améliorant le capital humain, elle va accroître sa productivité. À terme, il sera possible de substituer du capital humain au capital naturel, autrement dit de remplacer du capital naturel par des hommes en capacité d’effectuer un travail qui mobilise d’autres ressources que des ressources non-renouvelables ;
  • le capital institutionnel regroupe l’ensemble des dispositions politiques, juridiques et institutionnelles d’un pays. Ce sont les règles qui encadrent le fonctionnement de l’appareil productif.

En fonction des besoins des entreprises en capital naturel, du degré de sa substituabilité en capital physique ou en capital humain, et en fonction des contraintes édictées par les États (le capital institutionnel), une croissance soutenable pourra être mise en place.

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À retenir

En faisant varier ces stocks de capitaux, il pourrait donc y avoir un moyen de combiner croissance et préservation de l’environnement.

On pourrait ainsi continuer à créer des emplois, de la richesse, tout en préservant notre qualité de vie. Pourtant, interchanger les différents capitaux n’est pas toujours facile. Très souvent, cela coûte même très cher. On dit qu’il existe deux types de soutenabilité : la soutenabilité forte et la soutenabilité faible.

Deux conceptions : soutenabilité forte contre soutenabilité faible

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Définition

Soutenabilité :

La soutenabilité est la capacité d’une société à s’organiser de façon économiquement efficace, socialement juste et écologiquement soutenable pour permettre aux générations futures de vivre mieux à leur tour. Autrement dit, sa capacité à produire du bien-être.

Deux stratégies s’affrontent face aux enjeux du développement durable, deux visions différentes :

  • les partisans d’une soutenabilité forte insistent sur le caractère irremplaçable du capital naturel : tout doit donc être fait pour le transmettre aux générations futures dans le meilleur état possible. Il faut préserver son stock et définir les éléments du capital naturel qui doivent être protégés. Le principe de base est la non-substituabilité des capitaux : il est impossible de remplacer du capital naturel par du capital humain, physique ou institutionnel ;
  • les partisans d’une soutenabilité faible pensent l’exact contraire. Les différents types de capitaux sont tous substituables : on peut donc remplacer du capital naturel par du capital physique, humain ou institutionnel, à condition que le volume total de capital reste identique. Dans ce cas-là, les dégradations de l’environnement pourront être compensées par l’augmentation du stock d’une autre catégorie de capital. Par exemple, si la destruction de la forêt amazonienne permet au gouvernement brésilien de développer ses politiques de santé publique pour rendre les soins accessibles à tous, alors on considère que le bien-être final sera identique : le bien-être lié à une amélioration des conditions de santé aura compensé la perte de bien-être lié à la destruction de la forêt.

Des positions intermédiaires existent entre ces deux points de vue. Elles cherchent, par exemple, à définir des limites de capital naturel à utiliser dans le cadre de la croissance, même si la question reste malgré tout de pouvoir définir ces limites.

Conclusion :

La croissance a des effets très négatifs sur l’environnement : gaz à effet de serre, épuisement des ressources naturelles, pétrolifères ou halieutiques, atteintes à la biodiversité, etc. Elle porte atteinte au stock de capital naturel que l’Humanité a à sa disposition et qui diminue dangereusement. C’est un problème qui vient de l’essence même de ce qu’est la croissance : elle sert avant tout à produire de la richesse, et pas forcément du bien-être.

La notion de développement durable va changer cette vision, en incluant des objectifs sociaux et environnementaux. On considère désormais que pour produire il faut s’appuyer sur quatre types de capitaux : naturel, physique, humain et institutionnel. Pour stimuler une croissance soutenable, qui produit du bien-être, il y a deux possibilités. Soit décider que le capital naturel ne peut pas être compensé et qu’il faut le préserver coûte que coûte, on parle alors de soutenabilité forte. Soit décider que le capital naturel peut être remplacé par tout autre type de capital, on parle alors de soutenabilité faible.

Dans tous les cas, le choix entre soutenabilité faible ou forte dépend surtout des dirigeants de chaque pays.