Oh, les beaux jours !

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Oh, les beaux jours !, Beckett : la réflexion sur la condition humaine au théâtre

Introduction :

Après la Seconde Guerre mondiale, la littérature française évolue. Les ruines du monde ancien sont le ferment d’une réflexion sur le sens (ou le non sens) de l’existence humaine. Un certain pessimisme se fait jour, relayé par le roman et le théâtre où se développe la théorie de l’absurde. Les romans d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre en sont l’illustration. La littérature se fait alors le cadre d’une peinture de la condition humaine, représentée dans ses aspects les plus tragiques. Samuel Beckett s’inscrit dans cette mouvance comme en témoignent ses pièces les plus célèbres : En attendant Godot (1952), Fin de partie (1957) et Oh, les beaux jours ! (1961).

Nous étudierons dans un premier temps la notion d’« absurde » telle que ces écrivains l’ont employée. Puis nous verrons quels moyens dramaturgiques, selon Beckett, caractérisent cette condition dans Oh, les beaux jours !. Enfin, nous montrerons ce qui ressort de cette peinture.

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Astuce

Les éditions de référence, pour ce cours et le renvoi aux sources, sont les Éditions de Minuit (1963).

Le théâtre de l’absurde

Origines

Les villes en ruine, les bombes atomiques, et les atrocités des camps de concentration, ont éveillé un sentiment de perte de sens. On assiste, durant les années qui succèdent à la guerre, à une remise en question des anciennes valeurs qui n’ont pu empêcher ces abominations. On interroge donc le concept de nature humaine, et toutes les certitudes passées s’effondrent.

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Astuce

Remarque :

L’expérience de l’absurde s’inscrit dans la continuité de la pensée du philosophe Nietzsche qui, dans Ainsi parlait Zarathoustra (1885), entérine la mort de Dieu et le nihilisme qui en découle.

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Définition

Nihilisme :

Du latin nihil qui signifie « rien », le nihilisme proclame le règne du rien, l’absence de raison et de but. Au plan moral, le nihilisme désigne une disposition d'esprit caractérisée par le pessimisme et le désenchantement.

Dans le prologue de Zarathoustra, le dernier homme est l’homme des temps modernes :

« Je vais leur parler de ce qu'il y a de plus méprisable, à savoir le dernier homme.

Et Zarathoustra parla ainsi au peuple :
"Il est temps que l'homme se propose un but. Il est temps que l'homme plante le germe de son espérance la plus haute. Son sol maintenant est encore assez riche. Mais cette terre un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître."

Le dernier homme est l’antithèse du surhomme, et il est chacun de nous.

Willie et Winnie enterrée (« will », « win » et « we » en anglais) ensemble mènent un combat quotidien, surhumain et digne contre le silence, contre le temps, contre la mort, avec la volonté de gagner, refusant de capituler, de devenir les derniers hommes méprisables.

Winnie est déterminée à passer, chaque jour, une journée heureuse. Son corps disparaît, sa parole demeure. La mort approche mais reste la vie. Et comme au commencement, à la fin sera le verbe, du recommencement peut-être.

Zarathoustra dit :

"J’aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au delà."

"J’aime ceux qui ne cherchent pas, derrière les étoiles, une raison pour périr ou pour s’offrir en sacrifice ; mais ceux qui se sacrifient à la terre, pour qu’un jour la terre appartienne au Surhumain." »

Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche (1883)

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À retenir

Des philosophes romanciers et dramaturges comme Sartre et Camus ont construit leur pensée sur l’expérience de l’absurde même s’ils le pensent et le représentent avec des nuances propres à leur personnalité et à leur sensibilité, Sartre prônant l’engagement politique, Camus la révolte personnelle.

En 1942, Camus publie un essai intitulé Le Mythe de Sisyphe.

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Rappel

Dans la mythologie grecque, le héros Sisyphe est puni par les dieux. Si les différentes versions du mythe divergent pour expliquer la cause du châtiment, toutes s’accordent sur le châtiment lui-même : Sisyphe est condamné à pousser un rocher en haut d’une montagne d’où il retombe de manière inéluctable en roulant sur l’autre versant.

  • Sisyphe devient ainsi le symbole de l’homme et de l’absurdité de sa condition terrestre.

Sa vie est tendue vers un lendemain qui le conduit vers la mort. Cette existence est dépourvue de sens mais l’Homme continue à s’y accrocher en feignant d’ignorer sa condition de mortel. Ni la raison, ni la science, ni la religion ne peuvent délivrer d’explication.

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À retenir

L’absurde naît de la confrontation d’un monde dépourvu de sens et du besoin de l’Homme d’en trouver un malgré tout.

Ionesco et Beckett

Au théâtre, deux nouveaux auteurs représentant cette avant-garde se font connaître du public entre 1950 et 1953. Il s’agit

Samuel Beckett théâtre absurde Samuel Beckett en 1977

Samuel Beckett est un auteur irlandais (né à Foxrock, près de Dublin, en 1906 et mort à Paris en 1989) qui composa dans ses deux langues (anglais, puis français) après la Seconde Guerre mondiale. Pendant cette période, il participe à la Résistance en France et s’installe définitivement à Paris par la suite. Ses premières œuvres, des romans : Molloy (1951), Malone meurt (1951) et L'Innommable (1953) ne trouvent pas leur public. En revanche, sa pièce En attendant Godot, parue en 1953, connaît un grand succès.

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À retenir

Oh, les beaux jours ! est créée à New York en 1961 sous le titre Happy Days. En 1962, la pièce est traduite en français par Beckett lui-même.

La première représentation, avec Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, a lieu en septembre 1963 au Festival du Théâtre de Venise et elle est reprise, en octobre 1963, à Paris, au Théâtre de l'Odéon, avec les mêmes acteurs. Les archives de l’INA conservent une version filmée de la pièce.

Le prix Nobel de littérature couronne l’œuvre de Beckett en 1969.

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À retenir

Son théâtre opère une mutation considérable du genre, non seulement :

  • par le type de personnages qu’il met en scène ;
  • par ses intrigues quasi-inexistantes ;
  • et par l’important travail réalisé sur la poésie des gestes et du langage.
  • Ces audaces impliquent un renouvellement de la dramaturgie.
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Définition

Dramaturgie :

La dramaturgie est l’art de composer une pièce de théâtre en usant des moyens propres à ce genre littéraire.

  • C’est ce renouvellement complet de l’écriture théâtrale qui a valu à cette forme nouvelle l’appellation d’ « anti-théâtre ».

Les moyens dramaturgiques mis en œuvre dans Oh, les beaux jours !

Oh, les beaux jours ! est une pièce en deux actes pour deux personnages, un couple composé :

  • de Winnie, qui débite un quasi-monologue ;
  • et de Willie, peu visible derrière le mamelon, qui ne se manifeste que rarement dans la pièce.
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Astuce

  • Winnie = win = la victoire ;
  • Willie = will = la volonté.
  • Wi = we = un couple, d’un même moule – comme deux automates de même fabrication, d’après leurs prénoms si semblables – indissociables mais incapables de communiquer.

On ne peut pas dire qu’ils « évoluent » sur scène puisqu’ils sont tous les deux presque toujours statiques. Le cadre les contraint, en effet, à l’immobilité.

Madeleine Renaud Jean-Louis Barrault Oh, les beaux jours ! Beckett Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault sont les deux premiers acteurs à incarner Winnie et Willie sur les planches.

Le décor et les accessoires

  • Décor
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À retenir

Comme le montre les didascalies d’ouverture, nombreuses et détaillées, Beckett accorde une importance considérable au décor.

  • Le décor se caractérise par un « maximum de simplicité ».

Au fond de la scène est tendue une toile en trompe l’œil, technique très rudimentaire et peu recherchée pour figurer un espace. La simplicité va de pair avec la symétrie, recherchée elle aussi (« maximum de simplicité et de symétrie ») : le centre de la scène est occupé par un « petit mamelon » au centre « précis » duquel se tient Winnie.
Les éléments sont tous caractérisés par leur dénuement : « étendue d’herbe brûlée », le ciel peint sur la toile est « sans nuages » et la « plaine dénudée » (p. 9) et évoquent le vide.

  • Accessoires
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À retenir

Les accessoires des personnages appartiennent au quotidien le plus banal : une ombrelle et un sac.

Winnie en sortira un miroir de poche, une brosse à dents et son tube de dentifrice, des lunettes et leur étui, une toque genre bibi (petit chapeau rond), un flacon de liquide rouge dont on comprend qu’il s’agit d’un médicament, un peigne et une brosse à cheveux, une loupe.
Seul élément insolite parmi ces accessoires : le revolver ; lui aussi est contenu dans ce sac et Winnie le sort pour l’embrasser. Cette arme est dotée d’un nom : Brownie, comme s’il s’agissait d’un personnage ou d’un animal domestique, (alors que Brownie est en réalité une marque : « Vieux Brownie ! » (p. 44)).

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Astuce

D’un point de vue dramatique, le revolver pourrait annoncer la tragédie ou la tentation d’un suicide. Mais dans cet univers absurde, il se retrouve lui aussi vidé de sa fonction, n’en subsiste que la marque.

Willie quant à lui est caractérisé par son canotier (chapeau de paille) et par le journal qu’il lit.

  • Scène

La scène est lumineuse. La plaine est un désert aride noyé de soleil, sans ombre.

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À retenir

Winnie est enterrée jusqu’à la taille dans le mamelon. La moitié inférieure de son corps est donc invisible. Elle ne peut bouger que le buste, les bras et la tête et se tourne à plusieurs reprises vers sa droite pour apercevoir Willie que le mamelon cache en grande partie au public : de lui on n’apercevra dans l’acte 1 que son chapeau, son crâne, ses mains.

Les deux personnages sont donc par ces choix dramaturgiques condamnés à l’immobilité. Dans l’acte 2, Winnie est enterrée jusqu’au cou. Ses mouvements sont limités à ses yeux. Le mamelon devient une sorte de tumulus ou de tombeau dont l’évolution attendue est qu’il recouvre complètement le personnage.

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À retenir

Cette esthétique sert le propos de la pièce et illustre la condition humaine selon Beckett.

Par un procédé de mise en abyme, il reproduit les questions que peuvent se poser des spectateurs surpris par ce parti pris audacieux : dans l’acte 2, Winnie se rappelle le dernier couple à s’être fourvoyé dans ce lieu ; l’homme s’était ému de la scène devant sa compagne « À quoi qu’elle joue – dit-il – à quoi que ça rime ? – dit-il – fourrée jusqu’aux nénés – dans le pissenlit… ça signifie quoi ? » (p. 57).

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Définition

Mise en abyme :

Enchâssement (emboîtement) d'une œuvre à l'intérieur d'une autre œuvre de même nature ou de même genre (récit dans un récit, tableau dans un tableau, théâtre dans le théâtre) et traitant du même sujet. Beckett, dans l’acte 2, insère dans la pièce une reproduction en miniature de la pièce en faisant jouer au couple évoqué par Winnie le rôle de spectateurs regardant jouer son personnage et s’interrogeant sur le sens de la pièce.

Willie réside lui dans un trou dont il sort et où il rentre quand il a trop pris le soleil.

L’absence d’intrigue

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À retenir

La pièce est dépourvue d’action au sens de développement progressif d’une intrigue.

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Attention

D’ordinaire, le passage d’une scène à une autre est justifié par l’entrée ou la sortie d’un nouveau personnage.

  • Ici, rien ni personne ne vient perturber le quotidien de Winnie et Willie, la pièce n’est donc pas découpée en scènes.
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À retenir

Les deux actes suggèrent le passage du temps souligné par une sonnerie perçante à chaque début, l’enfouissement de Winnie symbolise la mort qui se rapproche.
L’action est remplacée par des gestes et des mouvements banals : faire sa prière sans vraiment penser à ce que l’on dit, se laver les dents, observer leur état dans un miroir, se tourner pour voir l’autre, lire son journal, se remémorer le passé. En somme, s’occuper : tuer le temps, combler le vide, s’aider des objets pour passer la journée, et recommencer le lendemain.

Certains analysent le mamelon, dans laquelle est enterrée Winnie, comme la métaphore de l’accouchement difficile : le corps immobilisé cherche à naître chaque jour, s’en sortir et exister. Mais Winnie s’enlise, est absorbée.

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À retenir

Cet enlisement, de même que les allers et venues de Willie dans son trou, figure un accouchement inversé, une autre lecture de la vieillesse, de la mort et de l’enterrement.

  • Il faut donner la vie (mais le corps de Winnie et la stérilité du couple ne le permettent plus) et rendre la vie : tout un résumé de la condition humaine.

Le dialogue est souvent réduit au commentaire des gestes accomplis : par exemple, Winnie inspecte ses dents et commente. Paroles et jeu se complètent comme le révèlent les interruptions incessantes des propos de Winnie par des didascalies. La lecture de la pièce est de ce fait hachée.

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À retenir

Les propos de Winnie passent rapidement d’un sujet à un autre ; ce qui leur confère parfois un double sens, souvent comique.

Par exemple, après avoir examiné Willie qui dort, Winnie constate que son tube de dentifrice est bientôt fini mais ses phrases brèves, souvent nominales, peuvent avoir deux référents distincts : le tube et Willie lui-même, proche de sa fin (p. 12) :

« Pauvre Willie (elle examine le tube. Fin du sourire) – plus pour longtemps – (elle cherche le capuchon) – petit malheur (elle dépose le tube) – encore un. »

  • Beckett évoque ici la mort avec humour et dérision.

Un faux dialogue

Winnie se parle à elle-même ; ainsi, elle s’encourage à continuer : « commence ta journée, Winnie » ou à chanter « chante ta vieille chanson, Winnie ».

Mais, le plus souvent, c’est à son mari Willie qu’elle s’adresse. Celui-ci ne lui répond que très rarement et seulement par bribes, ce dont Winnie lui est très reconnaissante comme s’il fournissait de gros efforts pour lui faire plaisir, ce qui crée des effets comiques (p. 31). La parole, qui est le propre de l’homme, est d’ailleurs le seul élément qui distingue Willie d’un animal de compagnie.

« Winnie — Est-ce que tu dirais ça, Willie, que ton temps est à Dieu et à toi ?
Un temps long.
Willie — Dors !
Revenant de face, joyeuse
Winnie — Oh il va me parler aujourd’hui, oh le beau jour encore que ça va être ! »

  • Ainsi, la pièce constitue une sorte de long monologue d’une femme accompagnée mais pourtant seule.

Cette dramaturgie, originale au moment de la création de la pièce, illustre avec efficacité l’absurdité de la condition humaine telle que la voit Beckett.

La condition humaine selon Beckett

Une vie dépourvue de sens

Winnie et Willie sont condamnés à la répétition incessante des mêmes gestes dérisoires : Winnie fait attention à elle, elle se lave les dents, les inspecte ; elle est soucieuse de son apparence physique et reste digne et coquette. Elle se lime les ongles. Sa seconde préoccupation est Willie qu’elle surveille, de peur qu’il ne reste trop longtemps au soleil. Elle l’incite alors à rentrer dans son « trou » et lui rabâche les mêmes recommandations : ne surtout pas y rentrer tête la première (p. 33-34).

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À retenir

Winnie lutte pour se maintenir en vie ; et en l’occurrence, rester vivant c’est uniquement veiller à ce que le corps continue de fonctionner normalement.

Elle s’y emploie en respectant quelques gestes d’hygiène élémentaires ou en avalant quelque potion (le liquide rouge de l’acte 1). Winnie se convainc qu’elle doit de la reconnaissance à la vie car elle ne souffre pas : « Tant de motifs – de reconnaissance – pas de douleur – presque pas – ça qui est merveilleux » (p. 15).

  • Le corps est donc réduit à ses fonctions premières, ce qui le renvoie à une certaine animalité.

L’animalité et les instincts

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À retenir

Willie ne marche pas mais il se meut en rampant jusqu’à son trou. On le voit aussi à quatre pattes. Son activité principale consiste à dormir. Par ailleurs, il semble obsédé par le sexe.

L’annonce de journal qu’il lit à voix haute est plutôt sexuelle que matrimoniale : « recherche un jeune homme vif » ; c’est pourquoi elle éveille chez Winnie des souvenirs de ses premiers émois. Il se délecte d’une carte postale qu’il scrute et qui éveille chez sa femme un mélange d’intérêt et de dégoût, apparemment une scène d’orgie sexuelle (p. 25-26).
Lui qui est souvent muet rebondit sur le mot « sucé » employé par Winnie dans une acception plutôt métaphysique pour évoquer un sentiment de disparition progressive :

« Winnie. — Tu n’as jamais ce sentiment Willie d’être comme sucé ? »
(p. 45)

Le mot qui lui vient quand Winnie aperçoit avec délectation une fourmi portant des œufs est un néologisme : « formication » créé à partir de « fourmi » et « fornication » (p. 40-41). Le premier titre d’article lu : « Monseigneur le révérendissime père en Dieu Carolus Chassepot mort dans son tub » (p. 21) renvoie aussi Winnie à un souvenir étrange où petite fille elle était assise sur les genoux de cet homme d’église. On peut lire alors une suggestion d’acte pervers commis sur la fillette.

La pièce recèle aussi des allusions scatologiques, montrant une préoccupation des personnages pour le bas corporel et les matières fécales. Ainsi, le nom Chassepot (qui se décompose en « chasse » et « pot ») n’est pas innocent. De même, dans le dialogue du couple rapporté par Winnie à la page 58, la femme s’interroge sur le sens de l’existence de son mari et évoque son « baise-en-ville bourré de caca en conserve » comme si un individu se réduisait aux fonctions d’élimination de son corps.

Le temps et le sentiment d’une décomposition

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À retenir

Les journées de Winnie et Willie sont répétitives. Leurs menues actions ne servent qu’à tuer le temps en attendant le soir et le sommeil, pour recommencer le jour suivant.

« Winnie. — Hé oui, si peu à dire, si peu à faire, et la crainte si forte, certains jours, de se trouver… à bout, des heures devant soi, avant que ça sonne, pour le sommeil, et plus rien à dire, plus rien à faire, que les jours passent, certains jours passent, sans retour, ça sonne, pour le sommeil, et rien ou presque rien de dit, rien ou presque rien de fait. »
(p. 47-48)

  • Les seuls changements sont induits par l’affaiblissement des corps et des esprits : les yeux de Winnie la lâchent, ses souvenirs, celui des noms (p. 14).

La solitude existentielle

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Attention

Winnie et Willie sont côte à côte mais ils ne sont pas vraiment ensemble. La plupart du temps, Willie ne parle pas et n’écoute pas Winnie.

« Simplement te savoir là, à même de m’entendre, même si en fait tu ne le fais pas, c’est tout ce qu’il me faut… »
(p. 36).

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À retenir

Quand un semblant d’échange s’amorce, il n’est d’ailleurs pas certain qu’il y ait un réel partage, chacun n’entendant sans doute pas la même chose.

Winnie en est consciente. Après avoir ri avec Willie sur son jeu de mots « formication » elle s’interroge :

« Ou nous sommes-nous laissés divertir par deux choses totalement différentes ? (Un temps) Enfin, quelle importance ? »
(p. 42)

Mais vivre seul n’est pas non plus envisageable :

« Ah oui, si seulement je pouvais supporter d’être seule, je veux dire y aller de mon babil sans âme qui vive qui entende… »
(p. 28)

Winnie a besoin de se sentir écoutée et regardée (p. 68). Et réciproquement Willie, qui a tendance à se laisser aller, est dépendant de Winnie qui le surveille et le rappelle à l’ordre.

La mort comme réconfort et le suicide comme ultime secours

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À retenir

La mort est le réconfort final, qu’il suffit d’attendre patiemment (p. 24-25) :

« Alors plus qu’à fermer les yeux – (elle le fait) – et attendre que vienne le jour – (elle ouvre les yeux) – le beau jour où la chair fond à tant de degrés et la nuit de la lune dure tant de centaines d’heures. (un temps). Ça que je trouve si réconfortant quand je perds courage et jalouse les bêtes qu’on égorge.

Le revolver Brownie représente une tentation contre laquelle les deux personnages ont lutté (p. 44) :

« Tu te rappelles Brownie, Winnie (un temps), tu te rappelles l’époque où tu étais toujours à me bassiner pour que je te l’enlève. Enlève-moi ça Winnie, enlève-moi ça avant que je mette fin à mes souffrances.

Dans l’acte 2, le revolver sera bien en évidence posé près de la tête de Winnie. Celle-ci l’avait en effet définitivement sorti de son sac :

« Je t’ai assez vu. Je vais te mettre dehors, voilà ce que je vais faire à part entière. Là, tu vas vivre là à partir d’aujourd’hui. » (p. 45).

Si on rapproche la pièce de son titre ou de l’expression de Winnie « Oh le beau jour encore que ça va être ! », il est évident que le contraste est ironique.

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À retenir

Le titre résume à lui seul l’absurde de la vie des deux personnages, représentants de l’humanité tout entière.

Winnie, consciente du vide et de la solitude intrinsèque à son existence, lutte contre son ennui et son désespoir en se forçant à trouver dans la moindre petite chose un prétexte d’admiration, de contentement, de reconnaissance à la vie (« de grandes bontés » p. 48-49) : un mot de Winnie, une fourmi qui passe.

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À retenir

La peinture du désespoir n’est donc pas dénuée d’humour, voire de comique reposant sur le déséquilibre entre l’inanité des choses et l’enthousiasme exprimé par Winnie à certains moments.

Conclusion :

Winnie et Willie incarnent une humanité perdue dans une existence dépourvue de but et de sens. Le théâtre, ou l’anti-théâtre de Beckett se sert de la dramaturgie pour réinterroger le corps et le pouvoir des mots, pour encoder tout en refusant du sens au spectateur. Il donne ainsi à voir et à entendre la condition humaine telle qu’il la conçoit : l’originalité et la force de ce théâtre de l’absurde reposent sur la complémentarité entre action et parole qui ne vont pas l’une sans l’autre, la forme même du dialogue manifestant l'insignifiance de la vie humaine, et sur l’économie de gestes et de déplacements des personnages. Fond et forme atteignent ici une importante synergie.