La société et les échanges

Introduction :

La société humaine n’a pas toujours existé. Aussi, réfléchir sur la société implique deux questions. Premièrement : comment l’Homme vivait-il avant l’apparition des sociétés ? Et deuxièmement : pourquoi et comment l’Homme est-il passé de la nature à la société, pour quelles raisons et par quels moyens ? Ainsi, penser la société revient inévitablement à penser ses fondements.

Toute société se définit par l’échange. Toute société est un réseau d’échanges. Un échange est une pratique par laquelle je donne à autrui un bien – objet ou service – contre un autre bien. Tout échange est intéressé : nous ne donnons qu’en échange d’une contrepartie. Ce qui signifie, puisque les sociétés reposent sur les échanges, que les rapports sociaux ne sont jamais complètement gratuits.

Reste à savoir, comme pour la société, d’où vient la nécessité des échanges : les échanges entre les hommes, échanges économiques et échanges humains en général, sont-ils naturels ?

Premièrement, nous verrons la théorie naturaliste de la société selon Aristote : c’est par nature que l’Homme est un être social et un être d’échange. Deuxièmement, nous verrons la théorie contractualiste de la société selon Hobbes : le société n’est pas naturelle, elle n’existe qu’en vertu d’un pacte social, un contrat, un échange qui est de l’ordre de l’arrangement et sur lequel les hommes se sont mis d’accord. C’est pourquoi on parle de « contractualisme ».

La théorie naturaliste de la société selon Aristote

Dans son livre intitulé La Politique, Aristote définit la société comme une association.

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Définition

Association :

Une association est un groupement d’êtres humains organisé selon le principe du besoin.

L’Homme a des besoins : se nourrir et se protéger. Ces besoins sont naturels et relèvent du souci de conservation de soi. Puisqu’il est plus commode d’être plusieurs pour se nourrir et se protéger et puisque la conservation des êtres humains a plus de chance d’avoir lieu dans le regroupement que dans la solitude, dès lors, la société est une association naturelle.

  • Elle est inscrite dans la nature de l’Homme.

Aristote écrit : « La nature pousse donc instinctivement tous les hommes à l’association politique. »
Mais selon quelle organisation la société vit-elle ?

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À retenir

Pour Aristote, l’organisation sociale est naturelle : c’est donc la nature qui impose une hiérarchie entre les êtres humains.

Sur ce point, l’argument d’Aristote repose sur deux idées courantes durant l’époque antique :

  • l’esclavage,
  • et la supériorité de l’homme sur la femme et les enfants.

Aristote écrit : « C’est la nature qui, par des vues de conservation, a créé certains êtres pour commander, et d’autres pour obéir. » Ainsi, la nature distribuerait les rôles : certains êtres, doués de raison et de prudence, seraient faits pour administrer la société et d’autres pour être administrés. Certains êtres auraient une aptitude naturelle aux activités intellectuelles, et d’autres la capacité d’effectuer un travail physique. Certains seraient faits pour les échanges sociaux dans le monde extérieur, et d’autres pour les tâches domestiques.

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À retenir

La société s’est développée selon trois dimensions, trois échelles : celle de la famille, celle du village – une communauté de familles – et celle de la Cité, c’est-à-dire l’État dans son autosuffisance.

Mais dans tous les cas, une autorité existe : le chef de famille, le chef de village ou le roi. La famille est naturelle et constitue le micro-modèle de la société : aussi, la composition de la société est naturelle, c’est-à-dire donnée par la nature et inscrite dans la nature humaine.

C’est donc en ce sens qu’Aristote énonce sa célèbre formule : « l’homme est un animal politique ». Ici, le mot « politique », qui vient du grec polis, la cité, s’entend au sens de la dimension politique, sociale de tout homme, dimension dans laquelle s’inscrit la capacité à vivre ensemble de façon organisée. Le mot « animal », quant à lui, désigne l’être naturel : c’est naturellement que l’homme est un être social.

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À retenir

Si la société est naturelle et si la société repose sur les échanges, alors les échanges reposent eux aussi sur la nature.

Si chacun œuvre selon ses capacités, alors il est naturel, dans une société, que celui qui sait faire du pain devienne boulanger et que celui qui sait réparer les chaussures devienne cordonnier. Le commerce de l’un et le commerce de l’autre répondent aux besoins naturels de tous, ici se nourrir et se chausser.

  • C’est en ce sens qu’Aristote parle d’« échanges naturels ».
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Réflexion

Aristote et les « échanges artificiels »

En revanche Aristote signale et condamne un autre type d’échange qui, lui, n’est pas naturel et devient donc condamnable. C’est ce qu’Aristote nomme les « échanges artificiels » ou encore la « chrématistique ». L’échange est artificiel quand il ne répond pas à un besoin naturel mais à un désir artificiel, comme le désir de l’argent pour l’argent. La spéculation financière n’est pas une pratique naturelle : elle consiste à acheter une matière pour la revendre plus cher, sans aucun travail de transformation. Ou encore, vendre de l’argent pour en tirer un bénéfice n’est pas naturel : ainsi, Aristote condamne le prêt bancaire à intérêts, qu’il considère comme un échange injuste. Ce qu’il nomme « la monnaie » est un moyen et non une fin : elle ne doit servir qu’à faciliter les échanges naturels.

Cependant, n’existe-t-il pas une coupure radicale entre l’Homme naturel et l’Homme social ? Et d’ailleurs s’agit-il du même Homme ? La société n’est-elle pas ce qui sort radicalement l’Homme de la nature ?

La théorie contractualiste de la société selon Hobbes

En ce sens, Hobbes développe, quant à lui, dans son livre Le Léviathan, une conception contractualiste de la société.

  • Selon lui, il n’existe pas de transition progressive entre nature et société mais au contraire une rupture qui a pour but de transformer l’Homme radicalement.

Mais pourquoi transformer l’Homme ? Pourquoi le sortir de la nature et le faire entrer dans la société ? Pour Hobbes, l’Homme est mauvais par nature, et le passage marqué à une société est pour lui vital.

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Réflexion

Hobbes et l’état de nature

Hobbes a mis en place une hypothèse devenue classique en philosophie politique : « l’état de nature ». Ici, le mot « état » s’écrit avec un « e » minuscule car il ne désigne pas l’État en tant qu’institution. L’hypothèse de « l’état de nature » permet de concevoir la situation de l’Homme avant l’apparition des premières sociétés.
Il ne s’agit pas d’un moment historique et réel, mais d’une supposition sur les raisons logiques du passage de la nature vers la société.

Pour Hobbes, dans cet état de nature, l’Homme est donc foncièrement mauvais. Pour exprimer cette idée, il reprend la célèbre phrase antique : « L’homme est un loup pour l’homme ».

  • La nature est un état de guerre de tous contre tous.

Pourquoi ? Les hommes sont égaux par nature et leurs différences ne sont pas assez significatives pour que le plus fort un jour soit le plus fort toujours. Autrement dit, la violence est permanente.

Hobbes écrit : « Nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelle : premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance ; troisièmement, la fierté. »

  • Ainsi, de l’égalité naît la rivalité. Chacun va tout mettre en œuvre pour être le plus fort et posséder les meilleurs biens de la nature.
  • Puis de la rivalité naît l’anticipation : la meilleure défense réside dans l’attaque. Chacun est méfiant et sait qu’il sera attaqué par l’autre : il s’agit donc, dans les relations humaines, d’attaquer le premier.
  • Enfin, de l’anticipation et de la méfiance naît l’orgueil. Chacun se sent touché dans sa dignité.

Hobbes écrit : « […] Ils usent de violence […] pour des bagatelles, par exemple, pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime ».

Tel est le tableau de la nature selon Hobbes : les échanges sont de l’ordre du conflit. Dès lors, les hommes savent que, s’ils ne changent pas leur mode de vie, ils courent à leur perte. Un accord est nécessaire, un contrat. Hobbes introduit alors un second concept : « le pacte social ».

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Définition

Pacte social :

Selon Hobbes, le pacte social est une convention par laquelle chacun accepte de renoncer à l’exercice de sa force et de sa liberté individuelle sur autrui, à condition que tous en fassent autant.

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Réflexion

Hobbes et le pacte social

L’objectif premier de ce pacte social est la sécurité. Moins de liberté, mais davantage de sécurité : tel est le principe sur lequel repose la société selon Hobbes.

Mais dans la mesure où l’Homme, malgré cet accord, reste naturellement mauvais, alors il lui faut un chef, une puissance politique forte, afin de faire respecter le pacte. Hobbes nomme ce chef « Léviathan », en référence à un monstre biblique. Il faut un monstre puissant pour que l’Homme vive dans un ordre social.

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À retenir

Dès lors, le pacte social se renforce ainsi : chacun accepte de renoncer à l’exercice de sa force individuelle et la remet entre les mains du chef politique.

Ainsi, le Léviathan représente la somme des pouvoirs de chacun. Tout le monde est d’accord pour que son rôle soit de définir les lois qui garantissent la sécurité de la société et de punir celui qui se met hors-la-loi, c’est-à-dire hors du pacte social.

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À retenir

Ainsi, puisque pour Hobbes la société va volontairement contre la nature de l’Homme, l’origine de la société ne peut que reposer sur le fondement d’une décision, d’une convention.

Conclusion :

Mais, pour Aristote comme Hobbes, la question du chef politique (qui gouverne la société et régule les échanges) pose problème : l’un accepte l’esclavage, l’autre la tyrannie, c’est-à-dire, dans les deux cas, une forme de violence légale (conforme à la loi). Or, la violence légale est-elle moralement acceptable ?