Le drame du XIXe siècle : Lorenzaccio, Alfred de Musset

Introduction :

Suite à la Révolution au XVIIIe siècle, la société française a beaucoup évolué. Pour rompre avec le classicisme qui n’acceptait de mettre en scène que des personnages nobles, les auteurs du XIXe siècle souhaitent changer les règles. Ils veulent désormais inclure des personnages de tous les milieux sociaux.

Victor Hugo par exemple, dans Ruy Blas, met en scène un domestique qui se retrouve Premier ministre de la reine d’Espagne.

En clair, au XVIIIe siècle, le drame bourgeois mettait en scène le quotidien des bourgeois. C’est le cas notamment de Beaumarchais dans L’Autre Tartuffe ou la Mère coupable en 1792. Au XIXe siècle, le drame prend la forme du drame romantique.

Nous allons retracer brièvement l’histoire du drame romantique et évoquer ses principales caractéristiques. Puis, nous nous intéresserons à un extrait de Lorenzaccio, qui est un drame romantique d’Alfred de Musset écrit en 1834.

Définition et origine du drame romantique

Contexte du drame romantique

Après les rebondissements historiques de la Révolution française, les règles établies par les auteurs classiques ne correspondent plus à la société du XIXe siècle. Un renouveau s’impose donc à travers le mouvement romantique.

bannière à retenir

À retenir

Le romantisme est un courant qui touche toute l’Europe dès la fin du XVIIIe siècle et qui apparaît en réaction au classicisme.

Il y a à cette époque un véritable rejet du classique. La représentation de la première œuvre considérée comme un drame romantique, Hernani, cristallise ce conflit. Lors des premières représentations de la pièce de Victor Hugo en 1830, des affrontements éclatent car l’œuvre choque le public conservateur.

Les détracteurs du drame romantique viennent pour perturber le bon déroulement de la pièce, déclenchant une querelle entre classiques et romantiques, c’est-à-dire entre anciens et modernes. Les affrontements deviennent même violents, mais les amis de Victor Hugo réussissent toutefois à faire accepter la pièce à la suite d’une véritable bataille.

  • Cet épisode reste d’ailleurs connu sous le nom de bataille d’Hernani.

Définition du drame romantique

  • Le drame est un sous-genre du théâtre dans lequel le courant romantique a trouvé le moyen de s’exprimer.
bannière à retenir

À retenir

Victor Hugo a théorisé le drame romantique dans la préface de Cromwell en 1827.

Considéré comme le texte fondateur du drame romantique, il y exprime ses idées et explique qu’il considère ce genre comme « une peinture totale de la nature ».

bannière à retenir

À retenir

Inspiré principalement par les pièces de Shakespeare, dramaturge anglais de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, le drame romantique ne fait pas de distinction sociale et mêle « le sublime et le grotesque ».

Victor Hugo écrit dans sa préface de Cromwell :

« Shakespeare, c’est le Drame ; et le drame, qui fond sous un même souffle, le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère propre […] de la littérature actuelle. »

En effet, selon Victor Hugo, la nature ne fait pas de clivage, tout est mêlé, le bon comme le mauvais, le beau comme le laid, le tragique comme le comique. Les auteurs romantiques proclament leur appartenance à la nature et veulent en rendre compte dans toute sa complexité.

Ainsi le drame romantique peut jouer sur différents tons, aussi bien du comique que du pathétique, du tragique ou encore du lyrique.

bannière definition

Définition

Lyrisme :

Il s’agit d’un genre littéraire permettant l’expression des sentiments personnels.

bannière definition

Définition

Pathétique :

Le registre pathétique cherche à émouvoir en exprimant les passions, la souffrance. Il génére des émotions telles que la pitié ou la douleur.

Les auteurs de drames romantiques, comme Alfred de Musset, Victor Hugo ou encore Paul Claudel veulent s’affranchir des règles comme la règle des trois unités (temps, lieu, action), mais aussi la règle de bienséance, qui sont des règles propres au théâtre classique du XVIIIe siècle.

Un exemple de drame romantique : Lorenzaccio d’Alfred de Musset

La pièce

Musset incarne « le Mal du siècle » de la jeunesse de 1830. Sa vie tumultueuse et passionnée l’inspire dans ses œuvres.

bannière definition

Définition

Le « Mal du siècle » :

C’est une expression utilisée pour définir l’état d’âme qui régnait à la chute du premier empire en France, en 1815. Il s’agit d’une sorte d’état de dépression, d’angoisse et de désillusion. C’est ce que Baudelaire a appelé le « spleen » dans ses poèmes.

En 1834, Lorenzaccio est injouable, comme de nombreux drames romantiques.

bannière à retenir

À retenir

Sa structure trop complexe la rend impossible à mettre en scène.

Lorenzaccio, Affiche de théâtre d’Alfons Mucha pour le théâtre de la Renaissance, 1896. Lorenzaccio, affiche de théâtre d’Alfons Mucha pour le théâtre de la Renaissance, 1896

Elle ne sera d’ailleurs jamais jouée du vivant de son auteur. La première représentation date de 1896, avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Lorenzo. Mais la pièce est tronquée partiellement car injouable. Elle connaitra cependant un grand succès au XXe siècle.

Lorenzaccio est une histoire de conspiration inspirée d’une chronique italienne du XVIe siècle dont Musset a modifié la fin.

Le héros, Lorenzo, est le cousin du duc Alexandre de Médicis qui règne sur Florence en tyran. Lorenzo se rapproche de lui et devient son favori, dans le but de le tuer et de rétablir la République. Son plan semble voué à l’échec dès le départ.

Dans la scène 3 de l’acte III, Lorenzo laisse tomber le masque et avoue dans sa tirade son projet d’assassiner son cousin à Philippe Strozzi, qui lui aussi conspire contre le tyran.

bannière definition

Définition

Tirade :

Au théâtre, une tirade est une longue réplique prononcée par un seul personnage qui n’est pas interrompu.

« LORENZO :
Suis-je un Satan ? Lumière du Ciel ! Je m’en souviens encore ; j’aurais pleuré avec la première fille que j’ai séduite, si elle ne s’était mise à rire. Quand j’ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice, comme un enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable. Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. J’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant - ô Philippe ! j’entrai alors dans la vie, et je vis qu’à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité. J’ai vu les hommes tels qu’ils sont, et je me suis dit : Pour qui est-ce donc que je travaille ? Lorsque je parcourais les rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés, je regardais autour de moi, je cherchais les visages qui me donnaient du cœur, et me demandais : Quand j’aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ? - j’ai vu les républicains dans leurs cabinets ; je suis entré dans les boutiques, j’ai écouté et j’ai guetté, j’ai recueilli les discours des gens du peuple. »

Une vision pessimiste de l’Homme

Lorenzo expose une vision négative du pouvoir en place à Florence qu’il qualifie de tyrannique mais aussi de corrompu. On peut en effet relever le champ lexical des malversations avec des termes comme « corruption », « masque » ou encore « confrérie du vice ». Musset a également recours à un vocabulaire issu du merveilleux.

bannière astuce

Astuce

Au brevet, pour identifier un champ lexical, il faut relever au moins trois termes.

bannière definition

Définition

Merveilleux :

Le merveilleux est un registre littéraire qui plonge le lecteur dans un monde irréel, comme les contes de fées.

Musset évoque des « monstres », une « monstrueuse nudité », un « fantôme » et un « géant », tout cela afin d’illustrer son dégoût pour l’humanité mais aussi pour amplifier son caractère effrayant. Enfin, le vice s’étend partout et semble tout détruire.

« L’humanité » tout entière est concernée. Les énumérations telles que : « J’ai vu les républicains dans leurs cabinets, je suis entré dans les boutiques, j’ai écouté et j’ai guetté » permettent d’insister sur le fait que plus rien n’est bon dans l’humanité.

bannière definition

Définition

Énumération :

Une énumération est une figure de style qui consiste à apposer des mots ou expressions à la suite, donnant ainsi un effet de liste.

Lorenzo a cherché partout et n’a rien trouvé. On peut percevoir un certain désabusement dans son discours.

bannière definition

Définition

Désabusement :

C’est l’état d’une personne blasée, dégoûtée de tout. C’est un synonyme de désillusion, désenchantement.

bannière à retenir

À retenir

Lorenzo dénonce également le jeu de masques auquel se livre tout le monde.

Il dit : « Tous les masques tombaient devant mon regard ».

bannière à retenir

À retenir

Les hommes cachent en effet ici leur monstruosité sous des masques d’apparence agréable.

Il y a une mise en abyme qui permet de mettre en exergue (mettre en valeur) le caractère hypocrite des hommes et le jeu de l’être et du paraître.

bannière definition

Définition

Mise en abyme :

Il s’agit d’un procédé qui consiste à insérer une œuvre dans une œuvre similaire. Par exemple, dans Lorenzaccio, le jeu de masques et de rôles rappelle le théâtre, on a donc du théâtre dans le théâtre.

Le héros romantique

Un des fondements du romantisme est la concentration autour du Moi, c’est-à-dire que le héros romantique a souvent une tendance à l’introspection.

bannière definition

Définition

Introspection :

C’est le fait de plonger en soi-même afin de mieux se connaître, de se questionner.

La question que Lorenzo se pose sur lui-même en est l’illustration : « Suis-je un Satan ? ». La tonalité lyrique de cet extrait montre également l’égocentrisme de Lorenzo. On note par exemple l’omniprésence du pronom personnel « je » : « j’ai commencé », « je marchais », « je croyais » et « moi ». On remarque également l’exclamation mélancolique « Lumière du Ciel ! » ou encore « Ô Philippe ».

  • Ces exclamations reflètent le désarroi du héros et témoignent d’une tonalité élégiaque.
bannière definition

Définition

Élégie :

Registre littéraire qui exprime la mélancolie, la tristesse.

L’évocation de son passé et de ce qu’il était contribue à la mélancolie de l’extrait. Lorsque Lorenzo dit « je m’en souviens encore », il se remémore son enfance, l’âge où il était encore innocent. Son entrée dans l’âge adulte est brutale puisque lorsque les masques tombent, il prend conscience de la monstruosité de l’humain. La personnification de l’humanité soulevant sa robe est violente.

bannière definition

Définition

Personnification :

Figure de style consistant à attribuer des caractéristiques humaines à une chose, un animal ou une abstraction. Ici il s’agit de l’humanité qui porte une robe et la soulève.

En effet, Musset compare l’humanité à une prostituée prête à se mettre à nu devant le premier venu et dont le corps serait effrayant : « L’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité ».

bannière à retenir

À retenir

Lorenzo est un héros solitaire en quête de la beauté dans l’âme humaine qu’il a cherchée inlassablement jusqu’à ce jour. Il est aujourd’hui déçu par l’humanité. Sa désillusion fait écho au désenchantement ambiant depuis 1815.

Conclusion :

Shakespeare a inspiré le drame romantique. Du comique au tragique, ses œuvres sont capables de faire le grand écart. Pourtant, il n’y a là rien d’étonnant puisque dans la vie elle-même, les épisodes heureux succèdent aux épisodes douloureux. Et c’est bien là la vocation du drame romantique que de révéler la subtilité de la vie et de la nature humaine, si complexe.

Hamlet, le héros de Shakespeare, déclarait : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark ». On peut retrouver un peu de Hamlet en Lorenzo. Il dénonce les travers de la société et ne craint pas de voir la laideur de l’âme humaine, il la regarde en face. Lorenzo, héros romantique, partage donc ses sentiments avec le spectateur et s’interroge sur la nature humaine mais aussi sur lui-même. Il est le révélateur d’une jeunesse en crise, celle de 1830, déçue de l’empire.