Le modèle néoclassique

Introduction :

Le chômage est un des grands problèmes des sociétés modernes. En Europe, il touche tous les pays, à des degrés différents. En France par exemple, une personne sur dix en âge de travailler est au chômage. Mais en Espagne, ce chiffre atteint une personne sur cinq et plus d’une sur deux parmi les moins de 25 ans. Pour aborder ce problème, nous allons raisonner à partir de modèles, c’est-à-dire des représentations simplifiées de la réalité. On s’appuiera aussi sur des raisonnements et des calculs provenant de plusieurs grands courants de la pensée économique, sans oublier de regarder tout ça avec l’œil du sociologue, car le travail a aussi une incidence sociale, notamment sur l’intégration des individus.

Nous allons ici nous concentrer sur une grille de lecture particulière : il s’agit de l’analyse néoclassique du chômage. À partir de cette vision néoclassique, nous allons tout d’abord analyser le fonctionnement du marché du travail. Puis, nous détaillerons les mécanismes qui favorisent l’apparition d’une forme particulière de chômage : le chômage volontaire.

L’organisation du travail en marché

L’offre et la demande de travail

À la fin des études, une grande partie des diplômés commence à chercher du travail, et le premier réflexe est souvent de s’’inscrire à Pôle Emploi. Pôle Emploi est une agence de l’État qui met en contact les personnes qui recherchent du travail avec ceux qui proposent du travail, les employeurs.

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Définition

Offre de travail :

On appelle les personnes qui recherchent un travail « l’offre de travail », c’est-à-dire les personnes qui acceptent d’échanger leur force de travail contre une rémunération.

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Définition

Demande de travail :

Les employeurs eux, constituent la « demande de travail » : ce sont eux qui demandent une certaine quantité de travail en échange d’un salaire.

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Attention

Il faut donc faire attention à ne pas confondre demandeurs d’emploi et offre de travail, car ce sont les mêmes personnes ! Les demandeurs d’emplois sont ceux qui offrent leur force de travail. De même, ce sont les entreprises qui constituent la demande de travail et qui, paradoxalement, publient les « offres d’emploi ».

Revenons au Pôle Emploi. Le conseiller qui reçoit le demandeur d’emploi cherche quelles seront les exigences du demandeur, autrement dit à quelles conditions il acceptera une offre. Cela peut être le niveau du salaire, le lieu, les horaires ou le type de missions. De la même façon, un patron aura ses propres exigences, il n’embauchera que si le demandeur correspond aux compétences qu’il recherche et s’il y a un accord sur le salaire.

  • Les choix des travailleurs (l’offre de travail) et des employeurs (la demande de travail) se font donc à partir de plusieurs critères qui leur permettent de sélectionner la meilleure situation pour chacun.

Ce sont ces mécanismes de sélections entre employeurs et employés qui correspondent au « marché du travail » qui a été étudié et analysé par les économistes néoclassiques. Ce modèle néoclassique repose sur une première hypothèse fondamentale : le travail est une marchandise comme les autres.

Le travail, une marchandise comme les autres

L’économie néoclassique désigne un courant de l’analyse économique né à la fin du XIXe siècle et qui s’est développé tout au long du XXe siècle. Elle repose sur une analyse de la société en termes de marchés organisés en concurrence pure et parfaite. Cette concurrence pure et parfaite suppose que les marchés soient toujours équilibrés et que les individus adoptent des choix rationnels. Pour appuyer ces théories, les néoclassiques introduisent des mathématiques et des représentations graphiques pour modéliser ces comportements rationnels.

Nous avons déjà abordé plusieurs économistes néoclassiques dans les cours précédents : Pareto, Ohlin ou Pigou par exemple. Pour eux, le travail doit être abordé comme une marchandise comme les autres, au même titre que n’importe quel autre bien ou service.

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À retenir

Marché du travail = offre globale de travail + demande globale de travail

Ce marché du travail est supposé être un marché de concurrence pure et parfaite, comme tous les autres. Il satisfait donc à cinq conditions :

  • l’atomicité, le fait qu’il y ait un très grand nombre d’agents qui constituent l’offre, et un très grand nombre d’agents qui constituent la demande ;
  • l’homogénéité, autrement dit que pour chaque secteur d’activité, tous les travailleurs disposent des mêmes compétences et que tous les employeurs proposent les mêmes types de postes ;
  • la transparence, pour que tous soient parfaitement informés ;
  • la libre entrée et sortie, qu’il n’y ait pas de barrières juridiques ou institutionnelles pour entrer sur le marché ;
  • et la mobilité, notamment du côté des travailleurs, pour qu’ils puissent se déplacer là où du travail est proposé.

Comme toutes les autres marchandises, le travail se définit sur un marché en fonction d’un prix, qui est appelé « taux de salaire réel ».

  • « Taux de salaire », parce que c’est le niveau de salaire horaire et pas le total mensuel.
  • « Réel » parce qu’on lui enlève la part correspondant à l’inflation, pour savoir exactement ce qu’il nous permettra de consommer. Autrement dit, il s’agit du salaire horaire déflaté.
  • C’est notamment en fonction de ce taux de salaire réel que se déterminent l’offre et la demande.

Les déterminants de l’offre et de la demande

Ce taux de salaire correspond au montant que sera payé le travail fourni par le travailleur. Comme sur tous les autres marchés, il évolue en fonction de l’offre et de la demande selon des critères précis.

En ce qui concerne l’offre de travail, on considère que les travailleurs sans emploi disposent d’un avantage par rapport à ceux qui travaillent :

  • ils ont du temps libre, (appelé temps de loisir par les néoclassiques) pendant lequel ils peuvent effectuer toutes sortes d’activités ;
  • mais en retrouvant du travail, ils accepteront de perdre une grande partie de ce temps de loisirs afin d’améliorer leur niveau de vie grâce à leur salaire ;
  • ils ne vont alors accepter de travailler que si le niveau de salaire proposé compense la perte du temps de loisirs, en leur permettant de consommer davantage, et donc de vivre mieux ;
  • avant d’accepter un certain niveau de salaire, ils vont arbitrer entre consommer des biens (grâce au travail source de revenu) et consommer du temps (malgré le travail qui prend le temps disponible), afin d’établir à partir de combien d’argent il devient plus intéressant de travailler que de profiter de son temps libre.
  • Le choix de travailler constitue donc, pour l’offre de travail, un arbitrage loisirs/dépenses.

En termes économiques, on dit que l’offre de travail est fonction croissante du taux de salaire réel. On peut l’illustrer à travers ce type de graphique qui représente le nombre de travailleurs prêts à accepter un emploi en fonction du niveau salaire proposé :

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La courbe est croissante : cela signifie que plus le salaire proposé sera élevé, plus le nombre de personnes acceptant de travailler sera important. En revanche, si le salaire est trop faible, la plupart des offreurs de travail préféreront ne pas travailler plutôt que de gagner une somme trop faible. Au point A, le salaire proposé est faible, peu de travailleurs sont disposés à accepter un emploi, alors qu’au point B le salaire qui est nettement plus élevé attire beaucoup plus de candidats.

Si on s’intéresse à présent à la demande de travail, c’est-à-dire aux employeurs, on constate qu’ils raisonnent, eux, exactement à l’opposé. Ils cherchent avant tout à maximiser leur profit, c’est-à-dire que leurs salariés aient la meilleure productivité possible pour le salaire le moins élevé possible. Pour qu’un employeur embauche, il faut donc que deux conditions soient réunies :

  • la première, c’est qu’un employé lui rapporte plus d’argent qu’il ne lui en coûte ;
  • la seconde c’est que l’embauche d’un employé soit moins chère que l’achat de nouvelles machines.
  • Il fait donc un arbitrage entre le facteur travail et le facteur capital, à partir de la productivité marginale de chacun d’entre eux.

Autrement dit, l’employeur calcule la production supplémentaire engendrée par l’ajout d’un facteur de production, c’est la productivité marginale, pour choisir s’il vaut mieux investir, ou embaucher.

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À retenir

Productivité marginale = production supplémentaire engendrée par l’ajout d’un facteur de production

En termes économiques, on dit que la demande de travail est décroissante du salaire réel. Comme pour l’offre de travail, on peut l’illustrer à travers un graphique qui représente cette fois le nombre de recrutements proposés en fonction du niveau de salaire.

demande de travail ses terminale

La courbe est ici décroissante. Cela signifie que moins un salarié coûtera cher à l’entreprise, plus celle-ci sera amenée à embaucher. On le voit bien en comparant le point C au point D. Au point C, comme le salaire est très élevé, il y a très peu de propositions d’embauches, alors qu’au point D, le salaire étant nettement plus faible, leur nombre est beaucoup plus important.

Nous venons ainsi de voir comment s’organise, dans la pensée néoclassique, le marché du travail. Étudions à présent la façon dont ce marché s’équilibre pour comprendre comment se forme le chômage.

Une forme particulière de chômage : le chômage volontaire

D’après les néoclassiques, l’offre et la demande de travail se déterminent en fonction du taux de salaire réel. Leur rencontre permettrait d’équilibrer le marché. Cet équilibre atteint, il n’y aurait aucun chômage en dehors des personnes qui ne souhaiteraient pas travailler.

L’équilibre du marché

Comme sur tous les autres marchés, l’offre et la demande de travail s’ajustent en un point d’équilibre.

Ce point d’équilibre détermine un niveau de salaire, le salaire d’équilibre, et une quantité de main d’œuvre, la quantité d’équilibre.

l’équilibre du marché du travail ses terminale

  • Cela signifie que pour le niveau correspondant au salaire d’équilibre, toutes les personnes qui acceptent de travailler pour ce prix trouvent un emploi et tous les employeurs qui recherchent de la main d’œuvre trouvent des salariés.

Cette situation est un cas d’optimum de Pareto : c’est la meilleure configuration possible, la configuration optimale, que peut créer le marché. Progressivement, les personnes au chômage vont accepter de travailler pour un peu moins cher de façon à être sûres de trouver un emploi, et les employeurs vont augmenter les salaires qu’ils proposent pour être sûrs de trouver des employés.

ajustement du salaire d’équilibre ses terminale

  • Le marché du travail est alors équilibré, et c’est à partir de cet équilibre que l’on peut analyser le développement du chômage.

Une seule forme de chômage possible

Dans le cas d’un équilibre entre l’offre et la demande, il n’y a donc pas de chômage puisque le salaire proposé satisfait tout le monde.

Si le nombre de personnes à la recherche d’un emploi augmente, on peut supposer que davantage de personnes seront prêtes à travailler pour un peu moins d’argent, en raison de la concurrence avec les autres travailleurs. Les entreprises pourront donc embaucher car les salaires leur coûteront moins chers. Naturellement, le salaire d’équilibre va alors s’ajuster à la baisse. Sur le graphique, la courbe de l’offre se décale vers la gauche.

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À retenir

Le marché absorbe automatiquement tout surplus de main d’œuvre en ajustant le salaire d’équilibre.

Le seul chômage possible sera un chômage volontaire puisqu’il concernera les personnes qui refuseront le salaire proposé selon les conditions du marché.

le chômage volontaire ses terminale

Sur notre graphique, le chômage volontaire est donc représenté par l’espace situé juste au-dessus du salaire d’équilibre. Tant que les chômeurs n’accepteront pas de travailler pour un salaire en dessous de leurs attentes, ils resteront au chômage.

Conclusion :

Dans l’analyse néoclassique du chômage, nous sommes en présence d’une offre de travail constituée par les travailleurs, et d’une demande de travail constituée par les employeurs. L’offre et la demande se rencontrent sur un marché qui doit respecter les conditions de la concurrence pure et parfaite. Dans cette configuration, le travail est considéré comme une marchandise au même titre que les autres. L’offre se détermine en fonction du taux de salaire réel, à travers un arbitrage loisirs/consommation. La demande se détermine elle-aussi en fonction de ce taux de salaire réel, mais à travers un arbitrage travail/capital.

L’équilibre du marché peut être modélisé par deux courbes qui se rencontrent en un point d’équilibre appelé « salaire d’équilibre », pour lequel tous les travailleurs qui recherchent un emploi en trouvent un. Le seul type de chômage possible concerne alors ceux qui refusent ce salaire d’équilibre, parce qu’en deçà de leurs attentes, et qui se placent de ce fait dans une situation de chômage dit volontaire. Cette démonstration est un modèle qui doit être confronté à différentes réalités observées. Nous verrons donc dans un prochain cours comment les hypothèses de base du modèle néoclassique sont remises en cause par différents facteurs et les autres courants de pensée.