Le naturalisme : l'observation scientifique des milieux modernes

Introduction :

Le naturalisme est un courant littéraire qui intervient dans les années 1870, dans la lignée du réalisme. C’est Émile Zola qui emploie pour la première fois l’expression « écrivains naturalistes » dans la préface de Thérèse Raquin en 1867. Il définit le mouvement ainsi :

« Toute l’opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier le mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale. »

Émile Zola, Le Roman expérimental, 1880

Le romancier naturaliste s’assigne donc une tache de scientifique dans l’observation de la société, qu’il retranscrit dans son œuvre. Ne laissant nulle place pour l’embellissement de la réalité, le regard naturaliste est un regard cru sur le monde qui n’hésite pas à en dévoiler toute la laideur.

Ce cours permettra d’étudier le contexte historique et les auteurs principaux de ce mouvement, ainsi que les thèmes et procédés d’écriture privilégiés.

Le contexte historique

Dans la continuité du réalisme, le naturalisme naît sous le règne de Napoléon III et se développe entre les années 1865 et 1880. C’est une période de faste économique comme en témoignent l’apparition de grandes fortunes et la création des banques que nous connaissons aujourd’hui.

  • L’argent est une donnée qui régit de plus en plus le monde moderne et de nombreux romans en font leur intrigue principale, comme Eugénie Grandet de Balzac ou L’Argent et La Curée de Zola.

Le paysage se transforme lui aussi par la construction des chemins de fer et des usines. De même, Paris est métamorphosée par l’architecture d’Haussmann. C’est par ailleurs l’époque de la création de grands magasins comme « Le Bon Marché », qui inspirera Zola et son roman Au Bonheur des Dames.

  • La société elle aussi se retrouve transformée : de nouvelles classes émergent de ce monde moderne comme celle du prolétariat et avec lui de nouvelles revendications quant aux conditions de travail et de vie en général.

La fin du XIXe siècle est également marquée par des progrès scientifiques considérables, notamment grâce à Claude Bernard et à sa conception de la médecine expérimentale, basée sur l’observation, qui influencera grandement les écrivains naturalistes. La théorie de l’évolution de Darwin, mais aussi les thèses d’Hippolyte Taine et du docteur Lucas sur l’influence du milieu et l’hérédité inspireront quant à elles l’œuvre entière d’Émile Zola.

  • Ces nombreuses mutations et modifications transforment le roman qui se doit de représenter au plus près la réalité de cette nouvelle société.

La doctrine et les auteurs du naturalisme

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À retenir

Le naturalisme repose sur l’observation et l’expérimentation du réel.

Le romancier est en ce sens un scientifique qui retranscrit la réalité dans son exactitude, et rejette l’imagination. Le roman est alors un laboratoire où l’on étudie les influences du protagoniste avec son environnement.

« Le roman expérimental est une conséquence de l’évolution scientifique du siècle ; il continue et complète la physiologie, qui elle-même s’appuie sur la chimie et la physique ; il substitue à l’étude de l’homme abstrait, de l’homme métaphysique, l’étude de l’homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu ; il est en un mot la littérature de notre âge scientifique […] »

Émile Zola, Le Roman expérimental, 1880

On compte peu d’écrivains naturalistes que l’on étudie encore aujourd’hui. Léon Hennique, auteur du mouvement peu connu, nous donne la liste des partisans du naturalisme dans Les Soirées de Médan, où il raconte comment se passaient leurs réunions hebdomadaires du jeudi soir chez Émile Zola  :

« Et nous sommes à la table d’Émile Zola, dans Paris, Maupassant, Huysmans, Céard, Alexis et moi, pour changer. On devise à bâtons rompus ; on se met à évoquer la guerre, la fameuse guerre de 70. Plusieurs des nôtres avaient été volontaires ou moblots. »

Émile Zola est donc l’instigateur du mouvement et de son appellation. Son œuvre, les Rougon-Macquart, est composée de vingt volumes qui observent les tares héréditaires de ses personnages sur plusieurs générations. Aussi Gervaise par exemple, modeste lingère dans L’Assommoir, est-elle condamnée à l’alcoolisme et à la misère comme l’était son père Antoine Macquart que l’on suit dans La Fortune des Rougon, La Conquête des Plassans et Le Docteur Pascal. Fainéant et ivrogne, il meurt imbibé d’alcool d’une combustion spontanée à cause de sa pipe allumée.

Guy de Maupassant, quant à lui, se rapproche d’abord des réalistes puis des naturalistes. Il définit sa perception du roman dans la préface de Pierre et Jean (1888) :

« Le romancier, au contraire, qui prétend nous donner une image exacte de la vie, doit éviter avec soin tout enchaînement d’événements qui paraîtrait exceptionnel. Son but n’est pas de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à penser, à comprendre, le sens caché des événements. […] Pour nous émouvoir, comme il l’a été lui-même par le spectacle de la vie, il doit le reproduire devant nos yeux avec une scrupuleuse vraisemblance. »

Mais il entend nuancer sa perception de la doctrine et son appartenance à un cadre. En effet, il dit lui-même dans une lettre à Paul Alexis en 1877 :

« Je ne crois pas plus au naturalisme et au réalisme qu’au romantisme. Ces mots, à mon sens ne signifient absolument rien et ne servent qu’à des querelles de tempéraments opposés. »

Il adhère donc à l’ambition naturaliste mais en montre les limites. Il remet en question par exemple le rôle d’observateur neutre que le naturalisme donne au romancier. En effet, il y a toujours selon lui une relation affective entre l’écrivain et son personnage car ce dernier est inspiré de sa propre vie :

« Les partisans de l’objectivité (quel vilain mot) prétendent nous donner la représentation exacte de ce qui a lieu dans la vie […] Pour eux, la psychologie doit être cachée dans le livre […] C’est donc toujours nous que nous montrons dans le corps d’un roi, d’un assassin… car nous sommes obligés de nous poser ainsi le problème : “Si j’étais roi, assassin […] qu’est-ce-que je ferais, qu’est-ce-que je penserais, comment est-ce-que j’agirais ?” […] L’adresse consiste à ne pas laisser reconnaître ce moi par le lecteur. »

Préface de Pierre et Jean, 1888

Joris-Karl Huysmans, autre membre du clan naturaliste, est un célibataire endurci, réputé pour sa misogynie et dont les œuvres sont chargées d’un profond pessimisme. Ses personnages sont le plus souvent enfermés dans la solitude et l’ennui, comme les héros de Marthe, À vau-l’eau ou En ménage. Il voit le naturalisme comme un « réalisme de la laideur » (selon une expression tirée de L’Histoire de la Littérature française de P. Brunel). Dans un article intitulé « En Marge », Huysmans définit ainsi le travail des romanciers naturalistes :

« […] nous sommes des hommes qui croyons qu’un écrivain aussi bien qu’un peintre doit être de son temps, nous sommes des artistes assoiffés de modernité, nous voulons l’enterrement des romans de cape et d’épée, […] nous allons à la rue, à la rue vivante et grouillante, aux chambres d’hôtels aussi bien qu’aux palais, aux terrains vagues aussi bien qu’aux forêts vantées; nous voulons essayer de ne pas faire comme les romantiques des fantoches plus beaux que nature, remontés, toutes les quatre pages […] nous voulons les faire agir [les personnages], dans un milieu observé et rendu avec un soin minutieux de détails, nous voulons démonter, si faire se peut, le mécanisme de leurs vertus et de leurs vices, disséquer l’amour, l’indifférence ou la haine qui résulteront du frottement passager ou continu de ces deux êtres ; nous sommes les montreurs, tristes ou gais, des bêtes ! »

Le romancier naturaliste doit, selon lui, proscrire toute forme d’idéalisme et représenter la réalité dans ce qu’elle a de moins noble afin de disséquer les milieux et instincts humains les plus bas.

Les thèmes privilégiés et les procédés d’écriture du naturalisme

Les thèmes du récit naturaliste

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À retenir

Les thèmes de l’adultère, des addictions et de la violence humaine sont récurrents dans les œuvres naturalistes.

Dans Une Vie de Maupassant par exemple, Jeanne est une jeune femme rêveuse et romantique qui sera bientôt rattrapée et désenchantée par les multiples adultères de son mari, véritable brute sexuelle, perfide et avare. Elle reproduit par ailleurs le schéma de sa propre mère, idéaliste et soumise face à son mari.

Dans un autre registre, la violence de la guerre entre la France et la Prusse à la fin du siècle est retranscrite par Huysmans dans Sac au dos, une nouvelle qui porte un regard cru sur les conditions de vie des soldats, embourbés dans la crasse, les maladies, les infestations de poux et la mort.

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À retenir

Le travail est un thème nouveau au XIXe siècle, que les naturalistes essaient d’illustrer au plus près.

Les frères Goncourt dénoncent eux les conditions de travail de la domestique éponyme Germinie Lacerteux en 1865 et justifient ce sujet dans la préface du roman :

« Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai. […] Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle “les basses classes” n’avait pas droit au Roman […]. Nous nous sommes demandé s’il y avait encore, pour l’écrivain et pour le lecteur, en ces années d’égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés, des catastrophes d’une terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosité de savoir […] si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut. »

Dans la même optique, Germinal de Zola rend compte du labeur et des conditions de travail déplorables des mineurs.

  • Ce sont des romans qui entendent donner voix aux plus faibles et témoigner de la lutte des classes. Le récit naturaliste revêt en ce sens un caractère engagé.

Les procédés d’écriture du naturalisme

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À retenir

Les procédés d’écriture du naturalisme reposent sur la description et la multiplication des détails vrais. Le langage populaire ainsi que les jeux de points de vue et de discours rapportés sont également privilégiés.

Le récit naturaliste met aussi l’accent sur un vocabulaire technique, précis et documenté. Huysmans, dans La Retraite de Monsieur Bougran (1964) met en scène un vieux fonctionnaire à la retraite qui essaie de reproduire chez lui les mêmes taches répétitives et ennuyeuses qu’il avait coutume d’effectuer au ministère. L’auteur s’arrête un moment sur le jargon administratif pompeux qu’il lui fallait employer et crée un effet de réel par l’emploi du discours indirect libre.

« Ah ! cette langue administrative qu’il fallait soigner ! Ces “exciper de”, ces “En réponse à la lettre que vous avez bien voulu m’adresser, j’ai l’honneur de vous faire connaître que”, ces “Conformément à l’avis exprimé dans votre dépêche relative à…”. Ces phraséologies coutumières “l’esprit sinon le texte de la loi”, “sans méconnaître l’importance des considérations que vous invoquez à l’appui de cette thèse…”. Enfin ces formules destinées au Ministère de la Justice où l’on parlait de “l’avis émané de sa Chancellerie. ” toutes ces phrases évasives et atténuées, les “j’inclinerais à croire”, les “il ne vous échappera pas”, les “j’attacherais du prix à”, tout ce vocabulaire de tournures remontant au temps de Colbert, donnait un terrible tintouin à M. Bougran. »

Zola use également, dans la description de l’accouchement de Louise dans La Joie de vivre, d’un vocabulaire très précis et clinique, tout en multipliant les détails anatomiques, afin de reproduire au plus près les douleurs de sa protagoniste :

« D’ailleurs, ce n’étaient plus les contractions involontaires, qui, depuis vingt heures, lui arrachaient les entrailles ; c’étaient à présent des efforts atroces de tout son être, des efforts qu’elle ne pouvait retenir, qu’elle exagérait elle-même, par un besoin irrésistible de se délivrer. La poussée partait du bas des côtes, descendait dans les reins, aboutissait aux aines en une sorte de déchirure, sans cesse élargie. Chaque muscle du ventre travaillait, se bandait sur les hanches, avec des raccourcissements et des allongements de ressort ; même ceux des fesses et des cuisses agissaient, semblaient par moments la soulever du matelas. Un tremblement ne la quittait plus, elle était, de la taille aux genoux, secouée ainsi de larges ondes douloureuses, que l’on voyait, une à une, descendre sous sa peau, dans le raidissement de plus en plus violent de la chair. »

Conclusion :

Le mouvement naturaliste prolonge donc l’ambition réaliste de représenter le réel avec exactitude en mettant l’accent sur une observation méticuleuse et scientifique du monde qu’il décrit. Pessimiste, clinique et cru, le regard du romancier naturaliste n’hésite pas à souligner les instincts incontrôlables de l’homme et à dénoncer les conditions de vie des plus faibles et les malheurs du peuple moderne.