Le politique et le religieux au Moyen Âge : les liens historiques entre le pouvoir et la religion

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Introduction :

Historiquement, sur le plan institutionnel, il existe des liens anciens entre le religieux et le politique.
Cette relation entre le pouvoir et la religion remonte à l’Antiquité.

Afin de comprendre quels sont les héritages du lien entre ces deux champs d’action, nous nous appuierons sur une étude de cas de trois empires au Moyen Âge : l’Empire byzantin, l’Empire abbasside et l’Empire carolingien.

Nous nous intéresserons d’abord aux sources d’inspiration de la relation entre religion et pouvoir politique, puis nous évoquerons les différentes interprétations et caractéristiques de cette relation selon les régions du monde. Enfin, nous nous intéresserons à la question de la liberté religieuse dans les sociétés byzantine, abbasside et carolingienne.

La religion comme source de légitimité du pouvoir politique

Un héritage de l’Antiquité

Au Moyen Âge, au temps de Charlemagne, des empereurs byzantins et des califes abbassides, les relations entre le politique et le religieux sont profondément marquées par les héritages de l’Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles).

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Définition

Calife :

« Successeur de l’envoyé d’Allah » (khalifa rasûl Allâh), chef politique et religieux de la communauté musulmane après la mort de Mahomet.

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Définition

Abbassides :

Dynastie arabe qui a régné sur le califat abbasside de 750 à 1258.

empire romain carolingien byzantin abasside

À partir de 395, durant l’Antiquité tardive, l’Empire romain est divisé en deux : l’Empire romain d’Occident à l’Ouest, l’Empire romain d’Orient, appelé par la suite Empire byzantin, à l’Est. Cette division a initialement pour but de mieux assurer la défense de l’Empire face aux peuples barbares qui se pressent à ses frontières.

  • La chute de l’Empire romain d’Occident en 476 marque l’entrée dans la période du Moyen Âge.

L’Empire byzantin se considère alors comme l’unique empire romain chrétien, établi au IVe siècle par Constantin (310-337) et surtout par Théodose Ier (379-395).
Au cours de son règne, Constantin se convertit au christianisme alors que cette religion est encore minoritaire dans l’Empire. L’empereur rompt donc avec la politique de persécutions à l’encontre des chrétiens menée par ses prédécesseurs. Théodose ira plus loin, en faisant du christianisme la religion officielle de l’Empire.

L’idée d’empire survit en Occident à la chute de Rome et à la disparition de l’Empire romain d’Occident en 476.
Un peu avant 800, le cercle de lettrés et d’ecclésiastiques que Charlemagne parvient à réunir autour de lui à Aix-la-Chapelle, au sein de l’Académie palatine, lui suggère de restaurer l’Empire. En l’an 800, Charlemagne est couronné empereur des Romains à Rome par le pape Léon III.

  • Ce souhait de renaissance de l’Empire romain en Occident est connue sous le nom de renovatio imperii.

De leur côté, les structures gouvernementales et les conceptions politico-religieuses des califes omeyyades (661-750) puis abbassides (750-1258) sont certes marquées par l’islam, mais héritent également de l’Empire byzantin et de l’Empire perse sassanide (224-651).

  • Or, dans l’Empire romain chrétien comme dans l’Empire perse, la religion est la source de légitimité du pouvoir politique.
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À retenir

Ainsi, Charlemagne et son entourage ecclésiastique et lettré, tout comme les califes omeyyades et abbassides, veulent s’inspirer de l’Empire byzantin et de son héritage de l’Empire romain tardif.

La conception du lien entre religion et pouvoir politique

L’Empire romain de Constantin, et surtout de Théodose Ier, est officiellement chrétien :

  • en 391, Théodose interdit les sacrifices polythéistes ;
  • en 392, il interdit le culte public et privé des religions polythéistes dans tout l’Empire ;
  • à partir de 392, le christianisme « catholique » est une religion d’État, la seule religion légale et autorisée.

Mais l’Empire romain tardif n’est pas une théocratie pour autant.

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Définition

Théocratie :

Forme de gouvernement dans laquelle le souverain est considéré comme un représentant divin.

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À retenir

Dans l’esprit des empereurs romains chrétiens, si la religion est bien associée à l’État, elle ne prime pas pour autant sur le pouvoir politique.
C’est plutôt l’inverse : le pouvoir impérial est certes présenté comme l’émanation de Dieu (l’empereur exerçant son pouvoir politique par la volonté de Dieu), mais l’empereur dirige seul et l’Église romaine n’a pas d’autorité sur ses actions.

  • De Constantin aux empereurs byzantins, les empereurs chrétiens ne se privent pas d’intervenir dans les controverses théologiques et n’imaginent pas du tout une théocratie pontificale qui signifierait que le pape de Rome donnerait à l’empereur ses consignes et instructions pour gouverner.
    Au contraire, à partir de Constantin, l’empereur agit comme s’il était lui-même homme d’Église. C’est l’Empereur en effet qui convoquent les conciles (assemblées d’évêques) et parfois les préside, définit le dogme et, plus généralement, préside au gouvernement de l’Église : on parle alors de césaropapisme.
  • Les empereurs chrétiens voient donc en l’Église une institution à leur service.
  • Le calife abbasside n’est pas davantage subordonné au pouvoir religieux, d’autant plus que l’islam est dépourvu de clergé et donc de patriarche et de pape. Le calife n’a de compte à rendre à aucun théologien, même s’il se doit d’être le digne successeur de Mahomet.
  • Les califes abbassides s’estiment en droit de définir l’orthodoxie et d’imposer par la force leurs conceptions religieuses aux théologiens et aux croyants.
  • Quant à Charlemagne, il ne partage pas du tout les conceptions du pape Léon III. Alors que le pape souhaite un Empire romain chrétien où la primauté symbolique serait exercée par l’évêque de Rome, Charlemagne estime que l’Empire doit certes être chrétien et de culture romaine, mais doit avant tout être un Empire franc gouverné par lui-même.
  • La double idée de non-séparation du politique et du religieux et de primauté du politique sur le religieux est ainsi reprise par les empereurs byzantins, Charlemagne et les califes omeyyades et abbassides.

Des héritages ambivalents et spécifiques

Toutefois, les héritages de l’Antiquité tardive sont complexes et différents selon les États et les sociétés.

Pouvoir politique et religion chez les héritiers de l’Empire romain chrétien

Une différence distingue l’Occident latin de l’Orient grec, et cela avant même la disparition de l’Empire romain d’Occident en 476.

Les évêques de l’Empire byzantin acceptent l’intervention du pouvoir impérial dans les affaires intérieures de l’Église et ne contestent pas le droit de l’empereur de définir l’ensemble des doctrines officiellement enseignées par l’Église chrétienne.

Dans l’Occident latin, il n’en va pas de même.
Ainsi, Ambroise, évêque de Milan (374-397), conteste la prééminence du pouvoir impérial.
S’il accepte l’existence de liens étroits entre le pouvoir politique, l’État impérial romain, et le magistère religieux, l’Église chrétienne, il refuse l’instrumentalisation et la domination du pouvoir politique sur l’institution religieuse.
Au contraire, Ambroise estime que l’Église, en charge du salut de l’humanité, détient la prééminence, a le droit et même le devoir d’exercer sa tutelle spirituelle sur le pouvoir impérial – mais il ne songe pas à la théocratie pontificale, théorie qui ne date que du Moyen Âge (XIe-XIIIe siècles).

  • C’est ainsi qu’en 390, après le massacre de plusieurs milliers de personnes dans la cité grecque de Thessalonique, massacre ordonné par Théodose (dernier empereur de l’Empire romain unifié), Ambroise ose exclure l’empereur de la communauté chrétienne et lui demande de se repentir.
    Théodose accepte, ce qui permet à l’évêque de Milan de le réintégrer dans l’Église le jour de Noël 390.

L’Église latine n’oubliera jamais cet épisode, à la différence de l’Église grecque.

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À retenir

Les papes du Moyen Âge en tireront plus tard un argument pour proclamer la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, c’est-à-dire de l’Église sur le politique.

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Définition

Pouvoir spirituel :

Pouvoir reconnu à l’Église et exercé sur les âmes dans le cadre de la religion.

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Définition

Pouvoir temporel :

Pouvoir des souverains relatif aux affaires humaines et à l’ordre social, et exercé sur les corps et les biens.

Pouvoir politique et religion chez les Empires omeyyades et abbassides

Une seconde différence, majeure du fait de la différence religieuse, distingue les Empires byzantin et carolingien des Empires omeyyades et abbassides.

Les Empires byzantin et carolingien sont chrétiens et ils héritent donc directement des pratiques et de la culture de l’Empire romain tardif.

Les Empires omeyyades et abbassides sont musulmans.
Ils se réfèrent officiellement aux idées et pratiques de Mahomet, ainsi qu’au Coran et aux hadiths attribuées au Prophète, et dont le corpus est précisément établi sous les Omeyyades et les Abbassides.

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Définition

Hadith :

Propos transmettant les paroles et les faits de Mahomet.

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À retenir

Or, les relations entre le politique et le religieux ne sont pas clairement définies dans l’islam.
Non seulement le Coran ne transmet aucune règle constitutionnelle et ne dispense aucun enseignement politique, mais Mahomet lui-même ne s’est jamais défini comme un souverain politique.

Si Mahomet est à la fois le guide de la communauté musulmane et le chef politique d’un État en formation autour de Médine et de La Mecque entre 622 (date à laquelle il quitte La Mecque pour Médine, c’est ce que l’on appelle l’hégire), et 632 (date de sa mort), il ne porte officiellement ni le titre de roi, ni celui d’empereur : il est l’envoyé de Dieu et le Prophète.

Du reste, à partir de la mort de Mahomet, les guerres civiles entre musulmans montrent que les fidèles du Prophète ne s’entendent pas du tout sur l’organisation politique à établir.

Sur ce point, la différence est grande entre l’Empire byzantin et l’Empire carolingien d’un côté, et les sociétés musulmanes de l’autre.

Ainsi, les monothéismes ne partagent pas tous les mêmes conceptions quant aux relations entre le politique et religieux.

En revanche, en ce qui concerne la pratique religieuse dans la société, l’Empire byzantin, l’Empire abbasside et l’Empire de Charlemagne ont des positions assez semblables.

Des sociétés encadrées par les pouvoirs politiques et religieux

Puisque la légitimité ultime est celle accordée par Dieu aux détenteurs du pouvoir exécutif, séparer le politique et le religieux est littéralement impensable pour les souverains byzantins, abbassides et carolingiens.

La laïcité, autrement dit la neutralité de l’État à l’égard de toutes les religions, ainsi que la liberté de conscience ne sont pas davantage concevables.
Responsables de l’État, les monarques sont aussi responsables du salut de l’âme de leurs sujets, puisque désignés par Dieu : ils ne sauraient se désintéresser des croyances et des pratiques religieuses de leurs peuples.

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À retenir

Dès lors que la religion du souverain est la seule « vraie », elle est la religion d’État, et toutes les autres ne sont au mieux que tolérées, au pire interdites.

L’Empire byzantin : le christianisme orthodoxe

Dans l’Empire byzantin, héritier direct de l’Empire romain chrétien de Théodose Ier, seul le christianisme catholique est autorisé.
Il est encadré par les conciles de Nicée en 325 (Jésus participe de la même substance divine que Dieu), d’Éphèse en 431 (Marie est la « mère de Dieu », Jésus est à la fois de nature divine et de nature humaine) et de Chalcédoine en 451 (le Christ est « un » mais est à la fois « vraiment homme » et « vraiment Dieu »).

Sont donc exclus de la communauté chrétienne byzantine, quoique « tolérés » :

  • les ariens (condamnés en 325), qui niaient l’égalité de substance du Fils avec le Père, considérant donc Jésus, le fils de Dieu, comme une nature inférieure, subordonnée ;
  • les nestoriens (condamnés en 431), qui sont des chrétiens estimant que Marie n’est pas la « mère de Dieu » (Jésus) ;
  • les monophysites (condamnés en 451), qui sont des chrétiens estimant que Jésus a une seule nature, divine.

Sont également « tolérés », mais marginalisés au plan juridique, les juifs.

Sont enfin interdits de culte les fidèles des antiques religions polythéistes (religions croyant en l’existence de plusieurs divinités).

L’Empire abbasside : l’islam de la Sunna

Dans l’Empire abbasside, seule la religion du calife est « vraie ».
L’islam est donc l’unique religion d’État, et qui plus est l’islam sunnite, précisément en cours de définition doctrinale du VIIIe au Xe siècle.

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Définition

Sunnites :

Musulmans se disant les véritables héritiers de la « succession » (sunna) de Mahomet.

L’établissement de l’islam sunnite comme orthodoxie d’État se fait dans un contexte de rivalités religieuses entre les partisans de la sunna et les musulmans qui se disent les véritables fidèles de Mahomet, tels les khârijites et les partisans d’Ali, gendre de Mahomet, et de ses descendants, plus tard appelés les chiites.

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Définition

Khârijites :

Musulmans estimant que tout croyant peut être élu calife, même sans appartenir à la famille ou à la tribu de Mahomet.

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Définition

Chiites :

Musulmans estimant que la succession de Mahomet doit revenir aux descendants de Ali, gendre du Prophète, opposés aux Omeyyades puis aux Abbassides.

Quant aux religions non musulmanes, elles sont soit « tolérées », soit interdites.

  • Sont tolérées les « religions du Livre », le judaïsme et le christianisme, du fait de leur nature monothéiste (religion croyant en un Dieu unique et transcendant) et de leur parenté avec l’islam (les trois religions sont dites procéder d’Abraham), ainsi que le zoroastrisme des Perses.
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Définition

Zoroastrisme :

Religion monothéiste fondée par le prophète Zarathoustra durant le 1er millénaire avant J.-C en Iran.

En échange de cette tolérance, les minorités religieuses devaient s’acquitter d’un impôt, la jizya.
Ce statut juridique défavorable ne les empêchait pas, parfois, d’accéder à de hautes fonctions : le médecin juif Hasdaï ibn Shaprout (915-970) fut par exemple le médecin, diplomate et conseiller du calife de Cordoue Abd al-Rahman III (929-961) et joua à ce titre un rôle politique important à son époque.

  • Sont interdits tous les polythéismes, même si les hindous bénéficieront eux aussi du statut accordé aux juifs, aux chrétiens et aux zoroastriens.

Mais, tout comme les juifs dans l’Empire byzantin, les juifs, chrétiens, zoroastriens et hindous ne sont tolérés que faute de mieux, dans l’attente de leur conversion espérée à la « vraie religion », et sont donc des sujets de seconde zone du calife.

L’Empire de Charlemagne

Dans le royaume franc puis dans l’Empire de Charlemagne, la liberté de culte est tout aussi inconcevable.

Sacré roi des Francs en 768, puis couronné empereur par le pape Léon III en 800, Charlemagne est un chrétien catholique convaincu.
Il est résolu à user de son pouvoir politique et militaire pour faire de son Empire un État véritablement chrétien et, surtout, à faire de ses sujets des croyants authentiques et pas uniquement des chrétiens par le baptême.

Il entend bien, en outre, étendre la chrétienté par des conquêtes.

  • De 772 à 802, Charlemagne impose sa loi politique et religieuse aux Saxons, peuple germanique polythéiste.
  • En 785, le « capitulaire saxon » prévoit la peine de mort pour tout Saxon refusant la domination franque et la conversion au catholicisme.
  • L’expansion territoriale du christianisme se fait également vers le monde musulman, lors de l’expédition d’Espagne en 778.

Comme les empereurs romains chrétiens et byzantins, Charlemagne ne se prive pas d’intervenir dans des débats théologiques, d’autant plus que grandit la rivalité entre l’Empire franc et l’Empire byzantin.

  • En 794, lors du concile de Francfort, il refuse l’iconoclasme, officiel dans l’Empire byzantin. (L’Empire byzantin connut en effet deux périodes d’iconoclasme, la première de 730 à 787 et la seconde de 813 à 843.)
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Définition

Iconoclasme :

Interdiction du culte des icônes et destruction de celles-ci. Les icônes désignent des images religieuses (mosaïques, images peintes, enluminures, etc.) représentant des saints ou le Christ.

Quant aux juifs, ils sont tolérés dans l’espoir qu’ils finiront par reconnaître Jésus comme le Messie.

Conclusion :

Dans les trois Empires byzantin, abbasside et carolingien, les liens entre pouvoir politique et magistère religieux sont certes historiques, dans le sens où ils procèdent de l’Antiquité tardive, mais surtout complexes.
Les monarques sont légitimes par la grâce de Dieu, sont responsables du salut de leurs sujets et du triomphe universel de la « vraie » foi – celle qui constitue la religion d’État –, mais ne sont pas pour autant subordonnés au magistère religieux.

La religion sert ainsi de socle incontestable à l’exercice du pouvoir politique qui, pour autant, ne lui est pas asservi.
Selon les États, le pouvoir temporel et le pouvoir religieux s’articulent de façon plus ou moins définie, avec une prédominance plus ou moins affirmée de l’un ou de l’autre.

La religion du souverain est la religion d’État, seule autorisée. Les autres religions sont au mieux tolérées, quant aux polythéismes, ils sont généralement interdits.