Les libertés économiques et les droits sociaux

Introduction :

Les droits et les devoirs des citoyens ne se limitent pas seulement à la participation à la vie politique du pays. Comme le montrent les récentes revendications des mouvements de « gilets jaunes », les droits concernent également les domaines économiques et sociaux.
Nous nous demanderons donc quels sont ces droits et nous tenterons également de comprendre leurs histoires et leurs raisons d'être.

Ainsi, nous étudierons dans un premier temps les libertés économiques, puis nous nous intéresserons aux droits sociaux, avant d'aborder les potentiels conflits entre ces domaines et l'enjeu de la garantie de ces droits par l’État.

Les libertés économiques

Aujourd'hui, chaque individu peut par exemple vendre ou acheter des biens sur Internet librement, dans la limite de la légalité. En France, cela fait partie des libertés économiques garanties par l’État.

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Définition

Libertés économiques :

Les libertés économiques sont les droits des citoyens concernant la production, l'échange et la consommation de biens.

Nous évoquerons l'histoire et les principes de ces libertés, avant de prendre pour exemple la liberté d'entreprendre.

Histoire et principes des libertés économiques

Les libertés économiques découlent de deux principes inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : la liberté et la propriété.

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Rappel

Sur le plan juridique, la liberté du citoyen est le pouvoir de faire ce qu'il veut et que la loi n'interdit pas, sans nuire à autrui.

Il faut noter que les articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont encore valables aujourd'hui puisqu'elle fait partie du préambule de la Constitution de la République française adoptée en 1958. Nombre d'entre eux sont repris dans la Déclaration universelle des droits de l'homme proclamée en 1948.

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À retenir

La liberté et le droit de propriété sont la base des libertés économiques, telles que la liberté d'entreprendre, le libre commerce et la libre concurrence.

Pour les révolutionnaires bourgeois inspirés par les philosophes des Lumières, il s'agit d'appliquer le libéralisme au domaine économique contre les contraintes imposées au commerce et aux entreprises sous l'Ancien Régime.

  • Ainsi, la loi Le Chapelier, promulguée en 1791, interdit les groupements professionnels, en particulier les corporations de métiers qui étaient des communautés de professionnels choisissant et formant leurs membres selon leurs propres règles.

Dès lors, chacun est en théorie libre d'exercer le métier ou d'entreprendre l'activité de son choix.

L'exemple de la liberté d'entreprendre

La liberté d'entreprendre est l’un des aspects de la liberté du commerce et de l'industrie consacrée par la loi Le Chapelier.

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Définition

Liberté d'entreprendre :

La liberté d'entreprendre est la possibilité pour chacun de pouvoir lancer une activité économique.

Pour créer son entreprise en France aujourd'hui, il suffit d'enregistrer officiellement son activité et de prendre les assurances obligatoires.

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À retenir

La justice veille au respect de la liberté d'entreprendre.

  • Le Conseil constitutionnel a par exemple récemment rejeté une loi créant un monopole de l’État sur les fouilles archéologiques préalables aux chantiers de travaux publics. La raison de ce rejet est que ce monopole limitait la liberté d'entreprendre des entreprises privées spécialisées dans les fouilles archéologiques.
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À retenir

Toutefois, il existe plusieurs limitations légales à la liberté d'entreprendre.

  • Premièrement, elle peut être limitée par des contraintes relatives à l'intérêt général.
  • Par exemple, la loi française interdit la publicité pour le tabac au nom de la santé publique.
    Autre exemple, la loi peut nationaliser certaines entreprises jugées essentielles, comme le transport ferroviaire avec la création en 1938 de la SNCF (Société nationale des chemins de fer français).
  • Deuxièmement, il existe des limitations à la libre entreprise qui ont pour but de favoriser la bonne marche des entreprises et de bonnes relations entre elles.
    Elles sont définies par le Code du travail et le Code du commerce.
  • Par exemple, un employé n'a pas le droit de prendre des données à son entreprise pour créer une nouvelle entreprise concurrente de son ancienne.

Les droits sociaux et l’État-providence

Après de longues luttes, les dispositions de la loi Le Chapelier interdisant les syndicats de travailleurs sont abolies par la loi Waldeck-Rousseau de 1884.
Ce droit d'être syndiqué est un des droits sociaux.

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Définition

Droits sociaux :

Les droits sociaux sont des prestations et des garanties que l’État apporte aux citoyens pour qu'ils puissent répondre aux besoins de la vie en société.

Nous allons évoquer l'histoire de cette deuxième génération de droits de l'homme, avant de prendre l'exemple du droit au logement.

Les droits sociaux et la formation de l’État-providence

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À retenir

Les principaux droits sociaux dans le droit français actuel sont : la liberté d'association, le droit de grève, le droit d'être syndiqué, le droit au travail, le droit à une protection de santé, le droit à l'éducation, le droit au logement.

La majeure partie des droits sociaux sont postérieurs aux libertés proclamées à la Révolution. On parle donc de deuxième génération de droits de l'homme.

Le texte emblématique des droits sociaux est le préambule de la Constitution de 1946.
Dans le but de reconstruire la France, ce texte proclame le droit au travail, à la santé, au repos pour tous, et le droit à des conditions de vie convenables pour les plus pauvres.
Avec la création de la Sécurité sociale au même moment, il est l’un des piliers de la protection sociale et de l’État-providence en France.

carte vitale La Carte vitale, carte de l'assurance maladie

  • La Carte vitale est la carte de l'assurance maladie en France. L'assurance maladie est un des mécanismes de l’État-providence.
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Définition

Protection sociale :

La protection sociale est le mécanisme collectif de prévention et d'assurance des risques sociaux comme la maladie, la vieillesse, le chômage, etc.

La protection sociale en France couvre plusieurs domaines : la santé (maladie, invalidité et accidents du travail),  la famille, l'emploi (chômage et insertion professionnelle), la vieillesse, l'exclusion sociale, la pauvreté et le logement.
Elle peut prendre la forme de services publics, comme les hôpitaux, ou de prestations accordées aux individus ou aux familles, comme les allocations familiales.

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Rappel

L' État-providence désigne l’ensemble des interventions de l’État dans le domaine social qui visent à garantir un niveau minimum de bien-être à l’ensemble de la population.

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À retenir

Le principe de l’État -providence est que l’État doit garantir des conditions de vie décentes à chacun de ses citoyens afin d'assurer la cohésion sociale.

En effet, la terrible crise économique qui frappa l’Europe à partir de 1929 fit prendre conscience que les individus ne pouvaient faire face seuls aux risques de la vie et que les troubles économiques et sociaux avaient des conséquences politiques graves.

En France l’État-providence combine une logique d'assurance et une logique d'assistance ; assurance car il est financé par les cotisations des travailleurs, mais aussi assistance car il protège tout le monde, même les plus démunis qui ne peuvent pas cotiser.

L'exemple du droit au logement

Certains droits sociaux sont récents et issus de luttes sociales, tel le droit au logement.

Après la Seconde Guerre mondiale, les aides de l’État sont trop faibles face aux problèmes de logement.
Des associations se créent alors, comme Emmaüs.

  • Dans les années 1980, Emmaüs, ATD Quart Monde, l'association Droit au logement et d’autres associations aident les plus démunis à se loger.

Le droit au logement est reconnu en 1990 (loi Besson), mais les citoyens ne peuvent pas contraindre juridiquement l’État à respecter cette obligation. C'est pourquoi les associations demandent ensuite un droit au logement opposable (DALO). Il est finalement proclamé en 2007, après la médiatisation d'un campement de sans-abri installé par l'association Les Enfants de Don Quichotte, au cœur de Paris, en 2006-2007.

tentes sans-abris Paris Enfants de Don Quichotte Tentes pour personnes sans-abris installés dans Paris par l'association Les Enfants de Don Quichotte pour médiatiser la lutte en faveur du droit au logement opposable, en 2006-2007, ©aleske de Paris – Flickr, CC BY 2.0

Depuis, un citoyen dans le besoin qui ne reçoit pas de logement social peut obliger l’État à lui en fournir un. Néanmoins, la mise en œuvre de ce droit reste limitée par des procédures parfois complexes et, surtout, par le manque de logements disponibles.

Conflit ou équilibre entre libertés économiques et droits sociaux ?

Certains politiques ont critiqué le DALO comme une source de dépenses publiques supplémentaire.
Cette critique est récurrente chez ceux qui opposent les libertés économiques aux droits sociaux.
Il nous faut donc étudier cette potentielle opposition.

Un potentiel conflit entre libertés économiques et droits sociaux

  • Les différences sont d'abord juridiques.
    D'un côté, les libertés économiques sont des « droits de », conçus comme des droits-libertés pour lesquels l’État laisse faire les citoyens.
    De l'autre, les droits sociaux sont des « droits à ». Ils sont conçus comme des droits-créances que l’État doit garantir par des actions concrètes (services publics et prestations sociales). En effet, les droits sociaux sont parfois considérés comme une dette de l’État envers les citoyens.
    Par ailleurs, les libertés économiques sont strictement individuelles, tandis que les droits sociaux peuvent être collectifs, c'est-à-dire attachés à des groupes.
  • Par exemple, le droit de grève peut s'appliquer à des syndicats. Les prestations sociales peuvent s'appliquer à des familles.
  • De même, le contexte historique de la guerre froide puis de la crise économique à partir des années 1980 a contribué à accentuer l'opposition entre libertés économiques et droits sociaux.

Durant la guerre froide, les hommes politiques libéraux voient les droits sociaux comme des limites à la liberté des individus et comme une intervention trop forte de l’État dans la vie des citoyens. À l'inverse, pour les hommes politiques communistes, les droits sociaux sont nécessaires pour offrir à tous une égalité réelle de conditions de vie.
De plus, la crise économique et le chômage de masse à partir des années 1970 engendrent une triple crise de l’État-providence :

  • crise de financement car le ralentissement de la croissance diminue les ressources de l’État ;
  • crise d'efficacité car les inégalités demeurent ;
  • crise de légitimité car certains citoyens critiquent le principe même d'une solidarité nationale large.
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À retenir

Dans ce contexte de crise, les droits sociaux sont perçus par les critiques de l’État-providence comme des sources de dépenses et de taxes trop lourdes.

Toutefois, le principe de l'État-providence reste important pour les citoyens.

  • Des études montrent que la protection sociale diminue les inégalités.
    Et le mouvement des gilets jaunes a manifesté l'attachement des citoyens aux services publics.

Une opposition à relativiser

Il ne faut pas trop exagérer l'opposition théorique et historique entre les libertés économiques et les droits sociaux.

Tout d'abord, les distinctions entre économie et social, ou entre droits-libertés et droits-créances ne sont pas toujours évidentes.

  • Par exemple, le droit de grève concerne autant le domaine économique que le domaine social et c'est un droit-liberté et pas un droit-créance. Le droit à la sûreté est quant à lui individuel, mais c'est un droit-créance, car il implique que l’État doit activement garantir la sûreté des citoyens.

De plus, l’État de droit et la séparation des pouvoirs sont à la base de tous les droits des citoyens, libertés économiques comme droits sociaux.
Tous les droits et libertés ont besoin de lois, d'un pouvoir exécutif et d'une justice pour être effectif.

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Rappel

L’État de droit est un État dans lequel la puissance publique est elle-même soumise au droit.

Enfin, il est possible de concevoir les droits sociaux autrement que comme des créances et donc ne plus les considérer comme opposés aux libertés.
En effet, les droits sociaux sont aussi :

  • la contrepartie des devoirs sociaux imposés par l’État. Par exemple, la Charte de l'environnement proclame juste après le droit de vivre dans un environnement équilibré le devoir de chacun de limiter ses atteintes à l'environnement ;
  • les conditions sociales nécessaires pour que les libertés économiques puissent effectivement être exercées par tous. Par exemple, le droit à l'éducation permet que les jeunes talentueux issus de milieux défavorisés puissent accéder aux études et ensuite mettre en œuvre leurs talents pour leur profit et celui de la société.

Conclusion :

Libertés économiques et droits sociaux figurent parmi les droits de l'homme. Ils s'ajoutent aux droits civiques pour permettre à chaque citoyen de participer pleinement à la vie de la nation.

Les libertés économiques découlent des droits à la liberté et à la propriété privée. Elles sont encadrées par l’État pour la sauvegarde de l'intérêt général.
Les droits sociaux fondent l’État-providence qui cherche à garantir à chaque citoyen des conditions de vie décentes.

L'opposition théorique entre les libertés économiques et les droits sociaux doit être relativisée. Ils sont plutôt complémentaires dans la pratique.
L'objectif d'un développement durable nous invite à les associer et à y ajouter les préoccupations environnementales.