Les personnages amoureux dans La Princesse de Montpensier

Introduction :

Le thème de l’amour est au cœur de La Princesse de Montpensier. Il y est décliné sous plusieurs formes, chacune d’elles étant incarnée par un couple de personnages : la princesse et le prince, la princesse et Chabannes, la princesse et Anjou, la princesse et Guise. Chaque homme amoureux de l’héroïne représente un type d’amant particulier. Le mot « amant », au XVIIe siècle, désigne celui qui aime une femme, même si son amour reste platonique.

Nous étudierons donc la typologie des amants telle qu’elle apparaît dans la nouvelle en rappelant ce qui caractérise les relations de l’héroïne avec chacun des hommes concernés.

Le duc de Guise : l’amant adoré, passionné mais inconstant

Guise n’a que treize ans quand il tombe amoureux de l’héroïne. Il la fréquente car elle est promise à son frère ; il connaît donc bien la très jeune fille qu’elle est et « voit en elle les commencements d’une grande beauté ». Il admire aussi son esprit. Son amour est sérieux car il souhaite « ardemment » l’épouser, mais il ne se déclare pas pour des raisons familiales (« la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de père »).

La princesse admire sa bravoure : quand elle apprend ses exploits à la guerre, elle en a beaucoup de joie. C’est le seul amour réciproque de la nouvelle, comme le montre bien l’association dans une même phrase des voix active et passive :

« en devint amoureux et en fut aimé ».

C’est un amour qui trouve ses racines dans l’enfance. Il est donc spontané et irréfléchi. Le terme « inclination » est employé à plusieurs reprises pour nommer l’attirance de la princesse pour Guise.

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Définition

Inclination :

Élan amoureux spontané et naturel.

Mais, dès le début, on se doute que l’ambition de Guise pourra le détourner de cette passion puisque le désir d’épouser celle qui n’est pas encore la princesse est associé, dans la narration, à une ambition encore peu développée :

« Le duc de Guise, qui n’avait pas encore autant d’ambition qu’il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l’épouser. »

Parce qu’elle est mariée au prince, il se détourne d’elle une première fois puis, après l’avoir retrouvée trois ans après, il se laisse aller à ses sentiments et renonce même à « l’honneur d’être beau-frère » du roi pour lui prouver qu’il ne peut « désirer un autre cœur ». C’est ainsi qu’il présente son renoncement alors que le lecteur sait par ailleurs que le duc d’Anjou a auparavant conseillé à son frère, le roi, de s’opposer à cette union.

Guise est un sanguin, ses sentiments sont violents. L’annonce du mariage de la princesse avec le prince de Montpensier est vécue par lui comme un « affront insupportable » qui provoque sa colère et « une haine entre eux qui ne finit qu’avec leur vie ». Il éprouve du « ressentiment », « il s’emport[e] avec […] violence »… Les hyperboles sont nombreuses.

Guise a du mal à contrôler sa passion : il devient progressivement « violemment amoureux ». Des expressions traduisent l’intensité de son ardeur : « cette passion […] si fort augmentée », « sa violence », « je suis assez hardi pour vous adorer ».

Au cours de l’entrevue organisée chez la duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise, il a la joie « de se pouvoir jeter à ses pieds, de lui parler en liberté de sa passion ». Mais il s’éprendra finalement de la marquise de Noirmoutier avec la même « passion démesurée ».

L’amour entre Guise et la princesse pourrait déboucher, la nuit du rendez-vous à Champigny, sur un rapprochement physique, mais celui-ci ne peut avoir lieu. Est-ce aussi pour cette raison que Guise, homme d’action, oublie ensuite la princesse pour se tourner vers une autre femme présentée comme plus légère : « Madame de Noirmoutier était une personne qui prenait autant de soin de faire éclater ses galanteries que les autres en prennent de les cacher » ?

Pour moderniser l’action, Bertrand Tavernier n’hésite pas, dans son film, à créer une tension érotique entre les deux personnages : à leur première apparition, ils s'isolent sous un arbre. Guise se fait entreprenant, il cherche à embrasser la jeune femme. Le cinéaste montre le désir partagé et plus tard, ajoute à son scénario une scène d’amour.

Dans la nouvelle, l’amour est chaste, selon l’esthétique précieuse ou classique ; le cinéaste, lui, le préfère charnel, de manière à nous rendre les personnages plus proches.

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À retenir

Guise est donc un amant passionné mais il se lasse et est inconstant.

Le prince de Montpensier : le mari malaimé et jaloux

Dans la nouvelle, le prince joue surtout le rôle du mari épousé par contrainte pour lequel on a une certaine estime mais pas d’amour : la princesse « demeura fort triste des périls où la guerre allait exposer son mari ». Cette relation est déséquilibrée car Montpensier, lui, est réellement amoureux de son épouse et ressent une « douleur extrême » à l'idée de la quitter.

Il est d’un tempérament jaloux. Sachant sa femme courtisée par d’autres ou seulement susceptible de plaire à d’autres, il est jaloux de ses rivaux jusqu’à les haïr : dans le texte de la nouvelle, sur les quatorze occurrences de mots issus de la famille jaloux(se)/jalousie, huit sont associées au prince. À deux reprises, cette jalousie est qualifiée de « naturelle » puis de « furieuse » (cet adjectif est employé une fois, puis remplacé par le substantif « fureur ») ce qui montre son aggravation. À deux reprises également, cette jalousie est associée au terme « chagrin ». Elle débouche finalement sur de la « haine », de la « rage ».

  • Le prince n’est pas « maître de sa jalousie ».

Quand il rentre de la guerre, il découvre que sa femme s’est encore embellie et prévoit que sa beauté attisera la convoitise des autres hommes :

« Il fut surpris de voir la beauté de cette princesse dans une si haute perfection, et, par le sentiment d’une jalousie qui lui était naturelle, il en eut quelque chagrin, prévoyant bien qu’il ne serait pas le seul à la trouver belle ».

Parce que son épouse a fait preuve d’hospitalité à l’égard de Guise et d’Anjou, il est « mal content », il trouve « mauvais[e] » cette rencontre hasardeuse. Il en éprouve une « jalousie si furieuse » qu’il ressasse le passé et découvre que l’emportement du duc de Guise lors de son mariage avec la princesse était déjà une preuve de son amour pour elle. Or, le propre du jaloux est bien de ruminer des événements passés. Lorsqu’il interrompt l’aveu du duc de Guise à la princesse, il s’emporte « avec des violences épouvantables » et ordonne à sa femme de rester à Champigny. Il n’est plus maître de lui même.

À la fin de la nouvelle, se croyant trompé, il se détourne de sa femme, son honneur ayant été bafoué.

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À retenir

L’amour du prince est une passion au sens étymologique du terme : il en est l’esclave et la subit. Cet amour est synonyme de souffrances.

Le duc d’Anjou : l’amoureux galant et manipulateur

Anjou tombe amoureux de la princesse dès qu’il la voit : c’est un amour coup de foudre, qui repose en partie sur une bravade, une compétition avec le duc de Guise :

« Les uns disaient au duc de Guise qu’il les avait égarés exprès pour leur faire voir cette belle personne [la princesse], les autres, qu’il fallait, après ce qu’avait fait le hasard, qu’il en devînt amoureux ; et le duc d’Anjou soutenait que c’était lui qui devait être son amant. »

Ce début laisse douter des véritables sentiments d’Anjou ; c’est plutôt son attirance physique qui est montrée : « Anjou […] n’avait encore rien vu qui lui parût comparable à cette jeune princesse » et son goût du pouvoir.

Il est avant tout un courtisan et un homme qui impose son autorité sur son entourage. Frère du roi, il s’oppose au mariage de Guise et de sa sœur Marguerite pour se venger. Il cherche à discréditer Guise en disant à la princesse : « C’est un homme qui n’est capable que d’ambition. » Il ne tolère pas que la princesse lui soit insensible et à la cour, il la « sui[t] continuellement ». De plus, le texte le dit « galant » et capable de cacher ce qu’il ressent : « la dissimulation […] lui était naturelle ».

Cependant, le texte confirme qu’il est « effectivement touché d’amour et de douleur » quand il découvre que Guise est son rival, mais qu’il est la proie d’un mélange de « jalousie », de « dépit », de « rage » et de « haine ».

Il semble malheureux de ne pouvoir être aimé, mais ses paroles de renoncement à la princesse révèlent surtout son orgueil et une forme de préciosité à travers métaphores guerrières et hyperboles ainsi qu’avec l’emploi du verbe « s’opiniâtrer » qui signifie s’entêter :

« je ne m’opposerai pas à une fortune que je méritais sans doute mieux que lui ; je m’en rendrais indigne, si je m’opiniâtrais davantage à la conquête d’un cœur qu’un autre possède. C’est trop de n’avoir pu attirer que votre indifférence : je ne veux pas y faire succéder la haine, en vous importunant plus longtemps de la plus fidèle passion qui fut jamais. »

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À retenir

Il semble finalement se dégager de ces sentiments sans difficulté. Anjou incarne la figure du galant.

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Définition

Galant :

Au XVIIe siècle, un galant est un homme qui a les manières agréables de la cour et tente de plaire, surtout aux femmes. Dans son acception négative, c’est un homme habile et manipulateur.

Le comte de Chabannes, l’amant fidèle, désintéressé et protecteur

Chabannes est d’emblée présenté comme un homme « doux et agréable ». Il aime la princesse pour l’ensemble de ses qualités : « Chabannes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté, d’esprit et de vertu » et il a pour elle « un respect et une amitié proportionnés à sa qualité et à son mérite. » Il est d'ailleurs celui qui la connaît le mieux car il reste seul avec elle pendant deux ans au château de Champigny alors que le prince fait la guerre. Ce sont les relations entre la princesse et Chabannes qui sont analysées le plus précisément dans la nouvelle : elle éprouve pour lui « estime », « confiance » et « amitié » ; et elle lui manifeste de la « bonté ».

Leur relation se démarque également parce qu’il existe entre eux une différence d’âge et de rang, comte étant un titre de noblesse inférieur à prince et duc. Chabannes est plus âgé et il devient l’éducateur de la princesse ; il la forme essentiellement sur le plan moral :

« se servant de l’amitié qu’elle lui témoignait pour lui inspirer des sentiments d’une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées. »

Tavernier développe cet aspect de leur relation et fait de Chabannes le maître à penser et le professeur de la princesse en de multiples disciplines.

De même, il est son confident, ce qui le fait souffrir puisqu’elle lui parle de son inclination pour Guise. Ces « marques de confiance » finissent par lui devenir « insupportables ». Il n’est jamais dupe de ses confidences, il comprend avant la princesse elle-même qu’elle n’a jamais cessé d’aimer Guise et observe l’évolution de son amour. Il l’interroge même :

« Il ne put s’empêcher de lui demander quel effet avait produit en elle la vue du duc de Guise. »

C’est grâce à ces échanges entre la princesse et le comte de Chabannes que le lecteur est informé des états d’âmes de la princesse.

Chabannes, contrairement aux autres amants de la princesse, sait se maîtriser : il devient « passionnément amoureux » et l’aime « de la plus violente et de la plus sincère passion qui fut jamais » mais il garde le silence pendant un an avant d’avouer ses sentiments. Il incarne l’amant courtois et précieux : il ne veut pas déranger la princesse et respecte les codes de la bienséance. Néanmoins, sa passion l’amène finalement à lui avouer son amour. Il éprouve de « l’affliction » quand elle lui rappelle qu’il est un ami et pense « mourir à ses pieds de honte et de douleur », hyperbole caractéristique de la fin’amor.

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Définition

Fin’amor :

Amour courtois représenté dans les romans de chevalerie du Moyen Âge qui unit un chevalier à sa maîtresse, dame idéalisée et interdite.

Ce qui frappe chez Chabannes c’est son sens du sacrifice. L’essentiel pour lui est que la princesse soit heureuse ou ne connaisse pas de problèmes domestiques. Il tente de la rapprocher de son époux rentré de la guerre :

« Le comte, avec une sincérité aussi exacte que s’il n’eût point été amoureux, dit au prince tout ce qu’il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer ; et il avertit aussi madame de Montpensier de toutes les choses qu’elle devait faire pour achever de gagner le cœur et l’estime de son mari. »

Quand le prince est jaloux, Chabannes empêche qu’ils ne se brouillent. À la fin de la nouvelle, par fidélité, il accepte la demande de Guise d’organiser un rendez-vous nocturne avec la princesse. Cela causera sa perte puisque pour permettre à Guise de fuir, il fait diversion en entrant dans la chambre de la princesse où le prince le trouve. Il s’offre alors à l’épée de celui qu’il a trahi. Il quitte finalement Champigny et est tué à Paris la nuit de la Saint-Barthélemy.

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À retenir

Chabannes est à tout point de vue un homme et un amant exemplaire. Les termes qui lui sont le plus souvent associés sont « la passion » et « la douleur » : c’est sans doute l’amant le plus profond et celui qui souffre le plus dans la nouvelle.

Conclusion :

La nouvelle présente donc un quatuor de personnages masculins tous différents et symbolisant chacun une forme d’amour différente. C’est visiblement le comte de Chabannes qui correspond à l’idéal amoureux des précieuses du XVIIe siècle. Ce n’est pourtant pas celui qui a les faveurs de l’héroïne.