Le surréalisme en poésie au XXe siècle

Introduction :

La naissance du surréalisme, aux alentours de 1920, s’explique par la période de crise culturelle et morale que traverse l’Europe au sortir de la Première Guerre mondiale. Ce conflit terriblement meurtrier et dévastateur a en effet provoqué une révolte idéologique absolue, portée par de jeunes poètes provocateurs, bien décidés à exprimer leur mépris des institutions et des valeurs établies. L’art des surréalistes est donc intimement lié à leur engagement politique. Cette révolte face à un monde qui vient de démontrer son absurdité va profondément et radicalement transformer les conceptions esthétiques traditionnelles. Cette transformation intervient dans tous les domaines de l’art : la littérature bien entendu, mais aussi les arts visuels comme la peinture, la photographie ou le cinéma.

Pour saisir la richesse et la singularité du mouvement surréaliste, nous parcourrons dans une première partie les différentes étapes de son évolution. Dans une seconde partie, nous aborderons les principes esthétiques et poétiques qui ont orienté ces créations si étranges que sont les œuvres surréalistes.

Origines et évolutions du mouvement surréaliste

Tout commence en 1916, lorsque Tristan Tzara fonde le mouvement Dada, ou « dadaïsme ». Avant le surréalisme proprement dit, ce mouvement se forme lui aussi en réaction aux atrocités de la Première Guerre mondiale. Le dadaïsme est une révolte artistique d’inspiration anarchiste, contre tout et contre tous. Il se caractérise par des œuvres extrêmement provocatrices. Certains futurs artistes surréalistes participent au dadaïsme, avant de s’en séparer au tout début des années 20. Ainsi, André Breton, le chef de file des surréalistes, écrit dans la revue Littérature qu’il fonde avec ses amis :

« Lâchez tout. Lâchez Dada. Lâchez votre femme, lâchez votre maîtresse. Lâchez vos espérances et vos craintes. Semez vos enfants au coin d’un bois. Lâchez la proie pour l’ombre. Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu’on vous donne pour une situation d’avenir. Partez sur les routes ».

À cette même période, André Breton et Philippe Soupault commencent à expérimenter une nouvelle manière d’écrire : rédiger sans réfléchir à ce que l’on écrit. Le but de cette démarche est d’abolir toute censure de la raison et toute intervention de la logique, pour libérer les associations de l’imaginaire et du langage. Les surréalistes appelleront cette nouvelle méthode de création « l’écriture automatique ».

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À retenir

À partir de l’aventure du texte ainsi produit, les deux auteurs publieront Les Champs magnétiques, premier recueil poétique appartenant clairement au mouvement surréaliste.

En 1924, Breton énonce les principes de ce nouveau mouvement dans son Manifeste du surréalisme. Hormis Breton lui-même, ses principaux représentants sont des poètes comme Paul Éluard, qui publie le recueil Capitale de la douleur en 1926, mais aussi Louis Aragon ou Robert Desnos. Mais le mouvement surréaliste s’exprime aussi à travers la prose avec Nadja, récit d’André Breton publié en 1928. Des peintres comme René Magritte ou Salvador Dalí participent à l’évolution du surréalisme. Certains cinéastes se réclament aussi du même mouvement, comme Jean Cocteau et Luis Buñuel.

Dès l’origine du mouvement, les surréalistes attachent une grande importance à l’engagement politique. Très marqués par les atrocités de la Première Guerre mondiale, ils ne conçoivent pas que la création artistique soit indépendante d’un combat contre l’absurdité de la barbarie guerrière.

Très rapidement, le mouvement surréaliste se lie au marxisme. Aragon, Breton et Éluard adhèrent au parti communiste au milieu des années 20. La revue qu’ils ont créée, et dans laquelle ils s’expriment, change de nom en 1930 et devient Le surréalisme au service de la révolution. Pendant la Seconde Guerre mondiale, certains artistes surréalistes comme Desnos, Éluard et Aragon, participent à la Résistance à travers leurs actes et leurs écrits.

Les principes poétiques du surréalisme

L’écriture automatique repose sur le refus d’une utilisation rationnelle des mots dans la création poétique. Contre la raison qui, pour eux, résume toute la littérature qui les a précédés, les surréalistes valorisent la spontanéité de l’imaginaire, qui peut s’exprimer librement. Les Champs magnétiques est un texte à deux voix, mais sans véritable auteur puisque les mots y surgissent comme d’eux-mêmes, les deux poètes étant les premiers surpris de ce qui s’échappait de leur plume.

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À retenir

Dans son Manifeste de 1924, Breton définit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur ».

Par la suite, tous les surréalistes pratiquent cette rédaction effrénée, qui produit des images inattendues et semble révéler le vrai fonctionnement de la pensée par des analogies absurdes, des sauts illogiques, des images et des combinaisons sonores inédites. Selon Breton, cette découverte est une critique radicale des principes poétiques traditionnels, et ouvre pour la première fois « cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme ». L’écriture automatique, parfois pratiquée sous hypnose, montre en effet que la poésie fonctionne selon une autre cohérence, proche de celle du rêve, et que les auteurs peuvent s’abandonner au langage, au lieu de vouloir le maîtriser rationnellement.

  • Du fait de cet abandon volontaire de la raison, les surréalistes frôlent sans cesse les limites de la folie.

Dans son Manifeste, Breton écrit : « Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination ». Nadja, le récit de Breton, ainsi que son personnage éponyme, portent clairement la marque de la folie. Ce livre affirme que la liberté humaine authentique implique « l’absence bien connue de frontière entre la folie et la non-folie ». Pour les surréalistes, la raison ne suffit donc plus à définir l’homme, ni même le moi. Le moi vivant, en quête de sa réalisation dans la beauté poétique, se trouve dans les rêves, les désirs, les délires, les passions, partout où le moi n’est plus maître de lui-même. La deuxième phrase du Manifeste du surréalisme définit l’homme comme un « rêveur définitif ».

  • Le surréalisme explore tous les continents que la logique et les normes sociales excluent comme les rêves, mais aussi les hallucinations et les fantasmes éveillés, favorisés par l’hypnose.

Le poète surréaliste cherche l’énergie primitive du désir et de la vie dans les profondeurs de l’âme. C’est pourquoi la découverte de l’inconscient et la psychanalyse de Freud, plusieurs fois mentionnée dans le Manifeste, ont profondément influencé l’esthétique surréaliste. Cette quête poétique de l’inconscient s’effectue par un usage renouvelé de la métaphore et de l’image. « Rosée à tête de chat », « buisson de larmes » : l’image en apparence insensée est la clé de voûte de la poésie surréaliste. Celle-ci provoque alors des associations nouvelles, invente des vérités inconnues.

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À retenir

Les surréalistes cherchent l’image paradoxale qui, contrairement aux métaphores habituelles, ne peut être expliquée par des analogies rationnelles.

C’est le cas lorsque l’on parle de « teint de rose », ou de « perle de larme ». L’image surréaliste est toujours inattendue et imprévisible. Elle cherche à susciter la stupéfaction du lecteur. Elle doit éblouir pour mieux révéler des réalités inaperçues, que les surréalistes appellent précisément la « surréalité ».

Mais les images surréalistes, ce sont aussi les dessins, collages, photographies et peintures qui figurent au sein des recueils, et font partie intégrante de la poésie elle-même. Dans Nadja par exemple, Breton utilise des dessins et des photographies, pour éviter les descriptions lourdes et fastidieuses, qui selon lui appartiennent à la littérature du passé.

Conclusion :

La révolution, qu’elle soit politique ou poétique, est définie par le rejet du passé. Or, toute l’activité surréaliste tend à la révolution et tous les rêves surréalistes la désirent. Cette révolution surréaliste, c’est d’abord la révolte perpétuelle, la libération individuelle des désirs et de l’imaginaire poétique.

La révolution surréaliste est aussi celle qui, contemporaine de Breton, Aragon et Éluard, secoue l’Est de l’Europe en voulant établir une société sans inégalités : la révolution russe de 1917. Les surréalistes s’efforcent d’unir les dimensions poétiques et politiques de la révolution.

C’est cette double dimension qui suscitera dans leur mouvement le plus de débats et ce, jusqu’à la rupture. La révolte surréaliste ne parviendra finalement pas à concilier Rimbaud et Marx : le premier voulait « changer la vie » et le second « transformer le monde ».