La République et les inégalités sociales : le Front populaire et Mai 68

Introduction :

République, démocratie et citoyenneté : ces trois idées sont souvent réunies, comme si la République était toujours une démocratie universelle, et que la démocratie impliquait la participation de tous les citoyens. En réalité, il existe une série de subtilités, de nuances, de différences entre ces trois termes qu’il faut connaître et comprendre afin d’analyser l’histoire du XXe siècle français.

Dans ce but, nous allons étudier dans ce chapitre la République à travers l’histoire des droits sociaux. Certaines catégories sociales ont dû lutter de manière violente contre la République afin d’obtenir une reconnaissance politique. Nous étudierons tout d’abord le droit des travailleurs au XIXe siècle, puis nous analyserons les avancées sociales au début du XXe siècle. Enfin, nous terminerons ce cours par une présentation de la rupture provoquée par les événements de mai 1968 et des défis qu’elle soulève.

La République et les droits des travailleurs au XIXe siècle

La Révolution et l’égalité sociale

  • Comment concilier les valeurs de la République et l’égalité sociale ?

Le socialiste Jean Jaurès, au début du XXe siècle, a tenté de théoriser ce problème, notamment avec l’idée d’une « république sociale » : « La république sera achevée lorsqu’elle sera sociale » affirme-t-il.

La Révolution de 1789 fut une révolution bourgeoise et libérale. Elle excluait donc de la notion de citoyenneté une grande partie de la population : les pauvres, les femmes, les étrangers et les esclaves. La loi Le Chapelier de 1791 interdit d’ailleurs toute forme d’association dans le monde du travail, et empêche donc la lutte collective des ouvriers.

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À retenir

Le XIXe siècle fut une période de lutte du monde ouvrier pour obtenir des droits dans le monde du travail et sur le plan social.

  • Autrement dit, les révolutions du XIXe siècle ont amené des évolutions sur le plan politique mais n’ont pas provoqué en France une égalité sociale.

Les premiers droits sociaux

Le mouvement ouvrier s’est organisé au fur et à mesure que s’est développée la révolution industrielle. Le droit de grève fut accordé en 1864 et le droit syndical en 1884.

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Définition

Droit syndical  :

Le droit syndical est le droit des travailleurs de se réunir en syndicats afin de se protéger mutuellement.

Le but du mouvement ouvrier est d’améliorer les conditions de travail, de réduire le temps de travail et d’augmenter les salaires. Les ouvriers français et européens, en cette fin de XIXe siècle, sont influencés par le marxisme, cette théorie qui vise une société sans classe sociale. Pour y arriver, il faut lutter contre le capitalisme. Karl Marx avait publié le Manifeste du Parti communiste puis Le Capital entre les années 1860 et 1890. Largement diffusées en Europe, ses œuvres donnèrent naissance à plusieurs types d’interprétations.

  • Certains marxistes estiment que la seule méthode pour parvenir à éradiquer le capitalisme est la révolution : ce sont les marxistes révolutionnaires, que l’on nommera plus tard les communistes.
  • D’autres pensent que pour parvenir à une société plus égalitaire, il n’est pas nécessaire de provoquer une révolution mais plutôt de lancer une série de réformes profondes, afin de mettre en place des lois sociales, autrement dit, d’adapter le capitalisme : ce sont les marxistes réformistes, futurs socialistes.

Le monde ouvrier est alors partagé.

Les marxistes fondent en France la SFIO en 1905, Section française de l’Internationale ouvrière.

Cependant, en 1920, lors du fameux Congrès de Tours, la SFIO se scinde entre les révolutionnaires et les réformistes, ce qui donne naissance au PCF. Parti communiste français, et à la SFIO socialiste, futur Parti socialiste.

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À retenir

C’est également à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que les premiers syndicats se forment. Le plus ancien est la CGT, Confédération générale du travail, fondée en 1895 et fortement influencé par le marxisme révolutionnaire.

  • L’intégration de la classe ouvrière à la République devient alors l’une des problématiques centrales de la vie politique française. Dépeintes dans l’œuvre de Zola, en particulier Germinal, les conditions de vie des travailleurs français, et tout particulièrement des mineurs, ne cesseront désormais d’occuper le débat français et les nombreux conflits sociaux du début du XXe siècle illustrent ces problèmes.

Les conflits sociaux au début du XXe siècle

Clemenceau et la CGT

La question ouvrière représente le principal point de discorde de la République jusqu’en 1914. Entre la création des syndicats et le début de la Première Guerre mondiale, les grèves se multiplient et deviennent de plus en plus violentes.

Voici quelques exemples emblématiques de la lutte parfois violente entre syndicalistes et pouvoir républicain.

  • Lors d’un affrontement entre les dockers de Nantes et la police, en avril 1907, on comptabilise un mort et des centaines de blessés.
  • En juillet de la même année, les ouvriers du textile des Vosges affrontent l’armée dans des heurts qui font une trentaine de blessés graves.
  • Toujours en 1907, les viticulteurs du Sud, dans la région de Narbonne, se mettent également en grève. C’est ce qu’on appelle « la révolte des vignerons ».
  • Confrontés à une crise de surproduction, les vignerons du midi débutent une grève fiscale.

Georges Clemenceau, président du Conseil de 1906 à 1909, a d’ailleurs pris le surnom de « briseur de grèves », pour avoir envoyé les forces de l’ordre réprimer les manifestations de manière très violente. En effet, peu disposé à négocier, il envoie l’armée comme unique réponse aux vignerons.

  • Cependant, le fameux « 17e régiment d’infanterie de ligne », bien loin de tirer sur la foule, fraternise avec les vignerons et se mutine contre la République.

À la suite de nombreux débats à l’Assemblée nationale, et devant la fragilité du gouvernement républicain, l’État accorde finalement certains privilèges et aides financières aux vignerons.

  • À Villeneuve-Saint-Georges, en 1908, une grève ouvrière éclate et entraîne des heurts entre ouvriers grévistes et non-grévistes. La gendarmerie intervient : 2 morts et 10 blessés sont à déplorer. Suite à ces affrontements et aux obsèques qui ont suivi, 4 000 ouvriers manifestent, et l’armée intervient encore une fois, et le bilan est lourd  :4 morts, des centaines de blessés chez les ouvriers et 69 soldats blessés.

Cette lutte entre Clemenceau et la CGT n’est qu’un aspect des violences constantes entre l’État et la classe ouvrière depuis le milieu du XIXe siècle. De nombreux problèmes sont également soulevés par le cas des fonctionnaires français, instituteurs ou postiers principalement, qui exigent le droit de se syndiquer, puisque jusqu’alors, les fonctionnaires publics ne pouvaient pas adhérer à un syndicat.

Une législation sociale

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À retenir

Face à la montée du mouvement ouvrier ainsi qu’au pouvoir grandissant de la SFIO, face à l’impopularité de la répression policière sur les manifestants, les républicains modérés et les radicaux commencent à mettre en place une législation sociale pour améliorer le sort de cette classe ouvrière.

  • En 1892, on promulgue l’interdiction du travail des enfants de moins de 13 ans.
  • En 1898, les patrons ont désormais l’obligation d’indemniser les ouvriers victimes d’accidents du travail.
  • En 1900, la journée de travail est abaissée à 11h.
  • En 1906, l’instauration d’une journée de repos par semaine est votée.
  • En 1910 : l’Assemblée Nationale vote une loi incitant à la création d’une caisse de retraite.
  • En 1916, en pleine guerre, le travail de nuit pour les jeunes filles âgées de 18 à 21 ans est interdit.
  • En 1919 une loi sur la semaine à 48 heures de travail est votée.

Le Front populaire de 1936

Il faut attendre 1936 et le Front populaire pour voir la classe ouvrière obtenir des avancées sociales significatives. 1936 est une date mythique pour le mouvement ouvrier français. Dès l’annonce de la victoire du Front populaire, une vague de grèves éclate. On compte 2,2 millions de grévistes.

La nouveauté, c’est l’occupation des usines et des lieux de travail. Elle s’accompagne de bals, repas, manifestations festives, et l’on remarque une très importante participation des femmes. Le mouvement est pacifiste et aucune violence ni dégradation n’est constatée. Les grévistes souhaitent faire pression sur le nouveau gouvernement de gauche, composé de la SFIO (ou parti socialiste), du parti communiste, et des radicaux.

La fin des grèves intervient avec les accords de Matignon, pour lesquels le gouvernement, le patronat et les syndicats se mettent autour d’une table de négociations.

  • Les salaires sont augmentés de 7 à 15 %.
  • Le droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises et des élections de délégués du personnel sont prévues.
  • Le principe de conventions collectives est adopté.
  • Deux semaines de congés payés sont acquises et la semaine de 40 heures de travail, donc 8 heures par jour, demandée depuis un siècle est aussi obtenue.

Sous l’impulsion de Jean Zay, ministre de l’Éducation et des Beaux-Arts, l’obligation de scolarité passe de 11 à 14 ans.

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À retenir

Malgré l’énorme engouement suscité par les mesures exceptionnelles du Front populaire en 1936 et la prise en compte significative des conditions de travail et de vie des ouvriers par le gouvernement, le Front populaire ne durera que deux ans.

La guerre avec l’Allemagne se profilant alors dangereusement à l’horizon, la République oriente ses priorités économiques et sociales vers sa préparation.

  • Léon Blum, qui sera lui-même déporté dans les camps durant la Seconde Guerre mondiale, démissionne en 1937.

Mai 1968 et ses conséquences

Les sources du conflit social

Ce sont les événements de mai 1968 et les grèves qui les accompagnent qui marquent le mouvement ouvrier après 1945. Mai 68 débute avec des revendications étudiantes qui finissent par gagner le monde ouvrier tout d’abord, puis quasiment toute la population ensuite.

  • Avec plus de 8 millions de grévistes, la France est, pendant plusieurs semaines, totalement paralysée.
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À retenir

Les revendications de mai 1968 sont multiples : il s’agit non seulement de remettre en question la présidence de De Gaulle, d’exiger davantage de droits sociaux, mais aussi de critiquer profondément un modèle politique et culturel en général.

L’explosion sociale de mai 1968

L’explosion de mai 1968 est d’une ampleur incomparable. Les piquets de grèves et les occupations d’usines ne se sont pas faits dans la même sérénité que les mouvements de 1936. Les relations entre le monde ouvrier et le monde étudiant ne furent pas sereines non plus.

Le gouvernement tente de négocier avec les syndicats : les accords de Grenelle signés fin mai 1968 accordent une majoration de 35 % au SMIG (salaire minimum) et tous les autres salaires sont augmentés de 10 %. Une quatrième semaine de congés payés est accordée en 1968 (en dehors de ces accords).

  • La victoire est importante pour le mouvement ouvrier mais pas intégrale : de nombreuses grèves continueront après mai 1968.

L’après mai 1968

À partir de la crise économique des années 1970, le chômage s’installe durablement en France. La succession des partis politiques de gauche et de droite à la présidence (que l’on nomme l’alternance) ne parvient pas à résoudre ce problème. En fait il semble nécessaire de changer de perspectives : la République française ne peut à elle seule résoudre ses problèmes économiques puisqu’elle fait partie de l’Union européenne et doit alors s’aligner sur les politiques de ses partenaires.

Conclusion :

La République française, au XXe siècle, a été traversée par une fracture entre les classes dirigeantes et les travailleurs. C’est au terme de plusieurs étapes importantes que les travailleurs obtiennent des avancées sociales significatives. Cela dit, le chômage est à un taux élevé en France, tandis que les inégalités sociales augmentent : le modèle républicain apparaît alors en crise. La question est de savoir comment refonder la République, afin d’y intégrer tous ces acteurs.