Victor Hugo, « Exil » : l'absence et le manque (XIXe siècle)

Introduction :

L’exil subi par Victor Hugo a nourri l’auteur tant dans ses idées que dans ses écrits. Dans le poème « Exil », il exprime ses sentiments face à sa situation.

Dans ce cours, nous étudierons tout d’abord l’amour de Hugo pour sa patrie, puis nous nous pencherons ensuite sur la souffrance de l’exil.

Exil

Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
Hélas !

Si je pouvais, – mais, ô mon père,
Ô ma mère, je ne peux pas, –
Prendre pour chevet votre pierre,
Hélas !

Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
Hélas !

Si je pouvais, ô ma colombe,
Et toi, mère, qui t'envolas,
M'agenouiller sur votre tombe,
Hélas !

Oh ! vers l'étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
Hélas !

Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j'écoute le glas ;
Je voudrais fuir, mais je demeure,
Hélas !

Pourtant le sort, caché dans l'ombre,
Se trompe si, comptant mes pas,
Il croit que le vieux marcheur sombre
Est las.

Victor Hugo, Les Quatre Vents de l'esprit (1881)

L’amour de la patrie

Le lien sentimental qu’entretient Hugo avec la France, sa patrie, apparaît ici à travers l’évocation de la nature.

Une nature omniprésente

Dès les premiers vers, la nature est présente, positive et vivante car le pays qui manque à l’auteur est avant tout une terre.

Il s’agit certes de la terre où sont enfouis les morts, mais également de la terre des beautés de la nature : « amandiers », « lilas », « herbe fleurie ».

  • La flore est plus que jamais vivante, comme autant de symboles de souvenirs heureux de son pays entretenus par le poète.

La nature est également celle, plus aérienne, du ciel : « colombe », « envola », « étoile », « lèverai les bras ».

Dans ce poème, la nature devient le décor des espoirs du poète, un lien fort avec la France qu’il souhaite retrouver.

La présence de la nature participe également du lyrisme du poème.

Le lyrisme

Le lyrisme peut se manifester sous diverses formes et avec diverses intentions. Mais la passion en demeure un élément incontournable. Dans le poème « Exil », il s’agit de la passion du poète pour la France.

Cette passion se manifeste à travers différents thèmes : la mort, la nostalgie et l’espoir.

  • Il ne s’agit plus seulement d’un exil politique mais d’une profonde douleur associée à ces trois éléments qui nourrissent la vie du poète.

Le lyrisme s’exprime également par l’omniprésence de la première personne du singulier : « je », « me », « m’ », « ma », « mon ». Le poète se place au cœur de cette déclaration d’amour à son pays. Hugo évoque ses sentiments personnels, sa famille, ses souvenirs.

Enfin, l’amour pour la France est fortement marqué par une autre thématique caractéristique du lyrisme : le temps qui passe. Mélancolie et nostalgie sont ici au service de l’attachement du poète à son pays.

La musicalité du poème

Le terme « lyrisme » est dérivé de « lyre », un instrument de musique. En plus d’évoquer une forme d’amour, le lyrisme s’exprime par le chant.

Le poème de Victor Hugo présente une certaine musicalité, notamment grâce aux rimes du texte. Celles-ci s’articulent et varient autour du son [a]. La douceur de ce son se retrouve dans chaque strophe, avec de surcroit le « hélas » qui clôture la majorité des strophes. Ce terme, tel un refrain, apporte à la fois une cohérence thématique et une harmonie dans les sons.

La musicalité du texte est enfin exprimée dans sa dimension vivante par la ponctuation et les interjections « oh » et « ô ».

  • Le poète ne semble pas résigné ni abattu ; son amour pour sa patrie demeure vif et enthousiaste.

La souffrance de l’exil

La douleur de l’exil forcé s’exprime à travers une forme de nostalgie.

Un poème exclamatif

Le poème de Victor Hugo est rythmé par les exclamations. Celles-ci closent chaque strophe, comme des sursauts de vie dans le désarroi. Le poète s’exclame, entremêlant enthousiasme et désespoir. Ces exclamations sont signes de vie, mais c’est une vie qui n’est plus, une vie regrettée, passée et inatteignable.

L’exclamation est associée à l’interjection « Hélas » qui revient régulièrement en fin de strophe, comme une plainte récurrente. Cette interjection est encore mise en valeur par le dernier vers qui vient rompre ce refrain dans la dernière strophe : « Est las ». Le passage du « Hélas » au « Est las » (on peut ici parler d’homophonie) marque une forme de sursaut final : l’auteur rappelle au lecteur la force morale du « vieux marcheur » qu’il est. Cette chute du poème propose alors un trait d’esprit, voire une légère provocation : Hugo égraine les « Hélas » tout au long du texte, exprimant une réelle douleur, mais exprime cet ultime rebond pour mieux ôter à ses ennemis tout espoir de le voir à terre.

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Astuce

Le terme « hélas » renvoie le plus souvent à une forme de regret, à un lien avec le passé.

Un inaccessible passé

La souffrance du poète est due à son exil. Celle-ci s’exprime à travers une forte mélancolie. En effet, Hugo est tout entier tourné vers son passé, et notamment sa famille.

Le lien avec le passé est présent à travers la répétition de la proposition subordonnée « Si je pouvais ».

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À retenir

L’expression de l’hypothèse associée à l’utilisation de l’imparfait du verbe « pouvoir » permet à l’auteur d’évoquer une réelle nostalgie.

Dans la conjugaison, un mode exprime particulièrement ce que ressent Hugo, c’est-à-dire une impossibilité de revivre le passé, il s’agit du conditionnel. Celui-ci est présent dans les 5e et 6e strophes : « lèverais », « baiserais », « voudrais ».

Aux subordonnées d’hypothèse des strophes 1 à 4 (« Si je pouvais »), répondent les propositions principales de ces strophes. L’emploi du conditionnel permet au poète de communiquer sa peine, sa douleur de savoir que ce qu’il souhaite ne peut exister.

Victor Hugo, en exil, se rattache à ce qui le rassure, aux heures heureuses de son passé perdu et désormais inaccessible.

Le désarroi du poète est marqué par de nombreuses références au temps passé et même à la mort, omniprésente dans ce poème.

Éloignement et mort

La douleur de l’exil ressentie par Hugo l’amène aux pensées les plus sombres. Le thème de la mort est aussi présent dans le poème que dans la vie passée de l’auteur.

La « pierre » de la 2e strophe renvoie à la tombe de ses parents. Cette métonymie métaphorique traduit à la fois l’éloignement ressenti par Hugo et le manque de ses propres parents, symboles d’une terre perdue, repères inamovibles.

Le « froid cercueil » de la 3e strophe et la « tombe » de la 4e strophe évoquent également les « morts » (6e strophe).

  • L’exil est tel que Hugo, entouré des vivants dans son île, souffre du manque de ses morts.

On trouve une forme de résignation dans le texte du poète, une dimension tragique. En effet, Hugo est face à une fatalité, quelque chose qu’il ne peut combattre. Il est loin de sa terre, des membres de sa famille disparus, de ses souvenirs, et seule l’écriture semble lui permettre de s’en rapprocher. Mais cette résignation est balayée par la chute du texte qui montre un poète plus offensif et énergique.

Conclusion :

Les révolutions du XIXe siècle en Europe, qu’elles soient politiques, industrielles ou artistiques, ont bousculé les mentalités. L’instabilité des pouvoirs en Europe crée de nombreux réfugiés politiques. Victor Hugo appartient à ceux-là.

Son poème « Exil » est né de cet éloignement forcé et exprime non pas une idéologie – celle qui a pu lui coûter son exil –, mais les sentiments liés à son histoire, sa famille, son passé et sa patrie.