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Sujet bac L 2017 - Français - Corrigé - Commentaire
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Corrigé bac

Commentaire
Alfred de Vigny, Poèmes antiques et modernes, « La Prison », extrait (1826)

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Astuce

Le devoir rédigé ci-dessous n’est qu’une suggestion de ce que l’on pouvait rédiger : il n’y a pas qu’un seul corrigé-type. Un commentaire composé est un exercice d’analyse : attention à la paraphrase.

Introduction :

Dans les premières années du règne de Louis XIV, un mystérieux prisonnier est tenu au secret sous un masque en métal. Devenu une légende un siècle plus tard sous la plume de Voltaire qui le présente comme un frère caché du Roi-Soleil, le Masque de fer a inspiré par la suite de nombreux auteurs. Parmi eux, Alfred de Vigny, figure majeure du romantisme, reprend son histoire dans le poème « La Prison », extrait du recueil Poèmes antiques et modernes publié en 1826.
Comment le poète parvient-il à renouveler l’intérêt du lecteur pour cette légende bien connue du Masque de fer ? Nous montrerons en quoi la forme et la structure choisies pour ce récit renforcent et renouvellent la légende, puis nous analyserons les procédés employés pour créer du suspense et de l’émotion chez le lecteur. Enfin, nous étudierons la nouvelle dimension donnée au personnage.

Une nouvelle forme : le poème

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Attention

Afin que ce soit plus clair, les titres des parties sont ici apparents. Pensez toutefois à ne pas les indiquer dans votre copie le jour de l’examen !

Dans cet extrait de « La Prison », le lecteur découvre un récit qu’il connaît mais proposé sous une forme nouvelle, celle du poème, et structuré par des récits enchâssés.
Ce texte est d’abord un récit, celui de la vie du Masque de fer. Il comporte les caractéristiques habituelles d’un texte narratif. En effet, il met en scène différents personnages : un « vieux moine » (v. 1), le « captif » (v. 4), c’est-à-dire le Masque de fer, « on » (v. 19), « quelques pères » (v. 25), « une Provençale » (v. 29). Aussi, les événements du récit sont rapportés à travers de nombreux verbes d’action, principalement employés aux temps du récit au passé : le passé simple, avec « tomba » (v. 4), « se souvint » (v. 18), « parla » (v. 19), etc. ; l’imparfait, avec « murmurait » (v. 8), « cherchait » (v. 10), « racontait » (v. 21), etc. ; le plus-que-parfait, avec « s’était dérobé » (v. 27), « avait vu » (v. 29), « avait vécu » (v. 33), etc.
Néanmoins, Vigny choisit de donner au récit la forme d’un long poème composé d’alexandrins dont les rimes, très régulières, sont suivies, sans structure remarquable en ce qui concerne les strophes. Cette forme n’est pas sans rappeler celle des épopées telles que l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, l’Énéide de Virgile ou encore la Chanson de Roland. La dimension légendaire de l’histoire du Masque de fer se trouve donc nettement renforcée par le choix de cette forme.
De plus, par le recours aux récits enchâssés, identifiables par le relevé des verbes de parole, l’aspect légendaire du récit est à nouveau affirmé. Le poème commence par le récit de la découverte du Masque de fer par le vieux moine, suivi d’un premier récit enchâssé : celui que fait le vieux moine qui se rappelle (« le prêtre se souvint », v. 18). Dans ce récit en intervient un autre, celui d’un narrateur d’abord non identifié (« on se parla », v. 19, « on racontait », v. 21) puis désigné par les mots « quelques pères » (v. 25). Ce récit en contient un dernier, celui d’« une Provençale » (v. 29). Ce procédé rappelle la dimension orale de la légende ou de l’épopée qui se transmet de génération en génération.

Alfred de Vigny parvient donc à renouveler l’intérêt du lecteur en écrivant la légende du Masque de fer sous la forme de poème. Mais l’auteur maîtrise aussi l’art de la narration, en témoigne la façon dont il parvient à capter l’intérêt du lecteur par la création d’un certain suspense.

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Astuce

N’oubliez pas de faire des transitions pour lier vos parties entre elles.

Du suspense et de l’émotion

Le poème fait d’abord entrer en scène le personnage du moine et non pas celui du Masque de fer qui, lui, se fait attendre. Au moment où le visage de ce dernier s’apprête à apparaître, le texte passe au présent de narration avec le verbe « révèle » (v. 11), rapprochant ainsi le lecteur de la scène au moment même où elle est éclairée et dramatisant cet instant de révélation. Et pourtant, la découverte faite par le moine est révélée seulement plusieurs vers plus loin, après avoir été différée deux fois (« ce n’est pas », v. 11 et 13), les mots « masque de fer » (v. 16) étant rejetés à la fin de la strophe.
Or cette découverte ne satisfait pas la curiosité du lecteur qui n’en sait pas plus sur l’identité du prisonnier. Celle-ci reste entourée d’un mystère dont la profondeur est soulignée par l’emploi du pléonasme « sombre mystère » (v. 17), qui est placé dès le vers suivant les mots « masque de fer », et qui prolonge la rime en « r ». L’anonymat du personnage contribue à créer le mystère (« un prisonnier d’État que l’on ne nommait pas », v. 20). On apprend néanmoins quelques éléments à travers l’énumération « de berceau dérobé, de craintes orgueilleuses, de royale naissance et de droits arrachés et de ses jours captifs », mais leur concision entretient le mystère.
De même, dans le récit enchâssé des « pères » (v. 25), le suspense est à nouveau ménagé quant à la la découverte du visage du prisonnier. En effet, les mots « L’on avait vu ses traits » (v. 29) sont mis en valeur par leur rejet après « Et quoiqu'entre leurs mains aisément retombé » (v. 28) et par le recours à l’anacoluthe. Le lecteur s’attend alors à découvrir la vérité sur le Masque de fer grâce au témoignage d’un personnage d’abord non identifié, car désigné par un pronom indéfini, puis désigné comme « une Provençale » (v. 29).

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Astuce

L’anacoluthe est une rupture de construction considérée comme fautive dans un texte en prose mais tolérée dans un texte poétique.

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Exemple

« Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. »

Blaise Pascal

Le suspense entretenu autour de la révélation de l’identité du personnage maintient l’attention du lecteur. La façon dont il est présenté évolue au cours du poème, créant chez le lecteur différentes émotions.
D’abord désigné par les mots « captif » (v. 4), « Chrétien » (v. 7) et « prisonnier » (v. 10), il est présenté comme un prisonnier ordinaire. Sa particularité réside dans le fait qu’il est en train de mourir, ce qui explique la tristesse du vieux moine, perceptible à travers les mots « pleurs » (v. 3), « tomba pesamment » (v. 4), « tremblaient » (v. 6) et « douleur » (v. 9). Le registre pathétique ainsi employé suscite chez le lecteur la même émotion.

Une dimension surnaturelle

À partir de la découverte du masque, le personnage prend une dimension surnaturelle, annoncée par les mots « sans traits, et sans vie, et sans âge » (v. 14), dont la construction en polysyndète met en valeur l’aspect étrange et inquiétant. L’expression « fantôme immobile » (v. 15) confirme cette nouvelle dimension. Le sentiment de peur que provoque alors le personnage chez le moine et le lecteur est exprimé dès les vers suivants : « plein d’horreur » (v. 17), « en tremblant » (v. 19). L’adjectif « merveilleuses » (v. 21), employé dans son sens étymologique (du latin mirabilia qui signifie « choses étonnantes ») oriente alors la perception du personnage vers une autre direction. Suivi de l’énumération « De berceau dérobé, de craintes orgueilleuses, / De royale naissance, et de droits arrachés » (v. 22-23), il rappelle en effets les récits mythologiques : le Masque de fer devient un de ces héros, tentant même une évasion (« aux geôliers un instant il s’était dérobé », v. 27).

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Astuce

La polysyndète est une figure de style consistant à mettre une conjonction de coordination au début de chacun des membres de la (ou des) phrase(s) formant une énumération, le plus souvent alors qu'elle n'y est pas nécessaire.

Le poème se termine alors sur le récit de celle qui a vu le visage du Masque de fer, « une Provençale, / arrivée au couvent de Saint-François-de-Sale / Pour y prendre le voile » (v. 29-31). Dans le portrait qu’elle propose, elle souligne deux aspects, la pureté et la noblesse du personnage, à travers les termes « avait vécu sans crime » (v. 33), « discours pleins de grâce et de foi » (v. 35) et « jeune et beau » (v. 36). On retrouve ainsi l’interprétation déjà connue du lecteur, selon laquelle le Masque de fer serait le frère de Louis XIV (« il ressemblait au Roi », v. 36 ; « c’était un prince », v. 38), enrichie d’une nouvelle interprétation, religieuse, clairement formulée en parallèle : « ou que c’était un ange » (v. 38). Si aucune de ces deux interprétations n’est favorisée, laissant se poursuivre une part de mystère, le héros se trouve en tout cas idéalisé, sublimé, suscitant l’admiration du lecteur, conformément à l’archétype du héros romantique.

Dans cette réécriture de l’histoire du Masque de fer, Vigny en renforce l’aspect légendaire pour la faire accéder au statut de mythe, en choisissant notamment la forme d’un long poème qu’il structure par des récits enchâssés. Il parvient à renouveler l’intérêt du lecteur en ménageant le suspense et en le faisant passer par différents sentiments : de la tristesse à la peur, puis de la peur à l’admiration. Conformément à la sensibilité romantique, le Masque de fer devient finalement un héros idéalisé, victime d'un destin injuste et aveugle, qui inspirera, quelques années plus tard, Victor Hugo. Celui-ci proposera en effet une réécriture inachevée sous la forme d’une pièce de théâtre intitulée Les Jumeaux.