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Sujet bac L - Annale français 2017 - Corrigé - Dissertation
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Corrigé bac

Dissertation


« Tout est dit et on vient trop tard depuis plus de 7 000 ans qu’il y a des hommes et qui pensent », disait La Bruyère dans Les Caractères, publié en 1688. Cette opinion était partagée par bien d’autres auteurs du XVIIe siècle qui ont largement pratiqué la réécriture, puisant notamment leur inspiration dans les textes de l’Antiquité. Mais si « tout est dit », pourquoi le réécrire ? Plaçons-nous du point de vue du lecteur et demandons-nous ce qui motive son intérêt pour une réécriture : la ressemblance avec le modèle ou, au contraire, ce que l’on en distingue ? Pour le savoir, nous expliquerons d’abord l’intérêt du lecteur pour une réécriture fidèle à l’œuvre qui l’a inspirée, puis nous mettrons en évidence la richesse qu’il trouve dans les écarts entre l’une et l’autre.

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Astuce

Un plan en trois parties n’est pas obligatoire. Quand le sujet s’y prête, comme ici, mieux vaut une réponse bien construite en deux parties qu’un développement en trois parties peu convaincant.

La ressemblance d’une réécriture avec son modèle conditionne l’intérêt du lecteur. En effet, le lecteur y cherche tout d’abord à retrouver des personnages et des thèmes qu’il connaît et qu’il apprécie, parfois depuis sa plus tendre enfance. Ainsi, en lisant Vendredi ou les limbes du Pacifique ou Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, réécritures du roman de Daniel Defoe intitulé Robinson Crusoé, ce sont surtout les personnages de Robinson et de Vendredi ainsi que les thèmes de la solitude et de la survie sur une île déserte que le lecteur a plaisir à retrouver, s’il les a déjà appréciés dans le modèle. Son intérêt dépendra donc fortement de la ressemblance de la réécriture avec le modèle qu’il connaît et espère reconnaître.

Aussi, en lisant une réécriture, on peut chercher à découvrir ou se remémorer des « classiques » afin de construire ou consolider les éléments de notre culture commune. C’est notamment le cas pour les œuvres qui reprennent les mythes antiques. En assistant à une représentation d’une pièce de Racine, ce sont les héros de l’Antiquité tels qu’Andromaque, Bérénice ou Phèdre et leurs aventures que le spectateur souhaite voir, comprendre et retenir : plus la réécriture ressemblera à son modèle, plus le lecteur ou spectateur sera intéressé et satisfait de pouvoir accéder à un patrimoine qui a traversé les siècles et se l’approprier.

Enfin, le fait, pour le lecteur, de reconnaître des références et allusions à un modèle contenues dans une réécriture crée une complicité intellectuelle avec l’auteur, source de plaisir. C’est le cas dans les Fourberies de Scapin, quand le lecteur initié s’aperçoit que Molière a intégré la phrase « Que diable allait-il faire dans cette galère ? », empruntée à une pièce de Cyrano de Bergerac intitulée le Pédant joué. Cela introduit même une dimension ludique : le lecteur « teste » ses connaissances littéraires et se félicite de saisir des références qui restent cachées à ceux qui les ignorent.

Si le lecteur aime reconnaître le modèle dans une réécriture, il est néanmoins aussi intéressé par ce qui l’en distingue.

Une réécriture peut chercher à développer son modèle, à ajouter de nouveaux éléments narratifs et donner une nouvelle épaisseur au récit et au(x) personnage(s). Les différentes réécritures de la légende du Masque de fer en donnent un bon exemple : alors que Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV, a cherché à s’en tenir aux faits historiques, Victor Hugo donne la parole au personnage et à sa souffrance dans une pièce de théâtre, Les Jumeaux, tandis qu’Alexandre Dumas intègre l’homme au masque de fer aux aventures de ses Mousquetaires dans Le Vicomte de Bragelonne. Chaque texte suscite l’intérêt du lecteur en apportant de nouveaux éléments à la légende, en complétant et en apportant différentes réponses aux questions laissées en suspens par de premiers récits mystérieux.

Aussi, la réécriture peut s’éloigner du modèle en le transposant à une autre époque, en l’adaptant à un nouveau contexte. Ainsi, l’Antigone écrite par Jean Anouilh est bien une réécriture du mythe antique, mais, écrite pendant la Seconde Guerre mondiale et jouée pour la première fois en 1944, elle fait écho à une nouvelle réalité qui l’écarte de son modèle et en renouvelle l’écho. Son auteur lui-même l’affirme :

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Citation

« L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre […]. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. »

Dans la pièce d’Anouilh, le personnage d’Antigone représente la révolte, la Résistance, le refus du compromis avec l’ennemi.
De même, le classique Roméo et Juliette de Shakespeare se voit réactualisé en 1957 dans la comédie musicale West Side Story qui transpose la pièce dans un New York déchiré par les haines raciales et les problèmes posés par l’immigration dans l’Amérique des années 50.

Enfin, réécrire, c’est parfois transposer une œuvre ou un thème dans un style différent : dans ce cas, l’enjeu peut être esthétique, ludique voire humoristique. Ainsi, les auteurs classiques, au XVIIe siècle, reprennent les tragédies antiques : fidèles à leurs modèles, ils cherchent néanmoins à atteindre une perfection qui justifie des modifications telles que le respect de la règle des trois unités et des règles de bienséance et de vraisemblance. De même, Jean de La Fontaine s’inspire fortement d’Ésope et de Phèdre, mais ne se contente pas de les traduire : il renouvelle la fable en accordant au récit une place prépondérante, rendant de ce fait la lecture plus accessible et agréable. Au XXe siècle, Raymond Queneau, quant à lui, s’amuse, dans ses Exercices de style, à écrire la même histoire de 99 façons différentes (« injurieux », « précieux », « télégraphique », « lettre officielle », etc.) : l’intérêt de la réécriture réside ici dans l’inventivité, la créativité de chaque nouveau texte. Ce type de transposition peut même avoir un effet comique dans la parodie.

Le lecteur trouve donc son intérêt pour une réécriture autant dans sa ressemblance avec son modèle que dans ce qui l’en distingue. Ce sont en effet son goût, sa curiosité pour ces modèles, ainsi que la relation particulière que leur connaissance instaure avec les auteurs, qui déterminent l’intérêt et le plaisir du lecteur. Mais c’est aussi la redécouverte de la portée d’une œuvre ou son enrichissement par sa transposition dans une autre époque, un autre genre ou un autre style. Et c’est justement cette dualité qui constitue la richesse et la singularité d’une réécriture.