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Caligula, d’Albert Camus

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Sujet de type brevet :

Vous répondrez à ces questions de type brevet en organisant vos réponses et en les justifiant.

  • En quoi peut-on dire que l’attitude de Caligula est particulièrement enjouée ? Citez le texte pour justifier la réponse.
  • En quoi la décision prise par l’empereur dans la première partie de l’extrait peut-elle être qualifiée d’arbitraire ? Que peut-on en déduire sur la personnalité de Caligula ? Comment réagissent alors les gens autour de lui ?
  • Expliquez le décret instauré par Caligula. Comment justifie-t-il sa décision ?
  • Quel est le temps employé pour annoncer ce décret ? Quelle est sa valeur ? Quel est l’effet produit par cette valeur ?
  • D’après vous, à qui pourrait s’adresser réellement la dernière réplique de Caligula ?

Albert Camus est à la fois écrivain et philosophe. Dans cette pièce, l’empereur Caligula, personnage principal et éponyme, est en proie à la folie depuis la mort de sa sœur et amante Drusilla. Alors que son règne était jusque-là sans heurt, l’empereur prend une décision pour le moins étonnante…

« Entre rapidement Caligula.

CALIGULA : Pardonnez-moi, mais les affaires de l’État, elles aussi, sont pressantes. Intendant, tu feras fermer les greniers publics. Je viens de signer le décret. Tu le trouveras dans la chambre.

L’INTENDANT : Mais…

CALIGULA : Demain, il y aura famine.

L’INTENDANT : Mais le peuple va gronder.

CALIGULA, avec force et précision : Je dis qu’il y aura famine demain. Tout le monde connaît la famine, c’est un fléau. Demain, il y aura fléau… et j’arrêterai le fléau quand il me plaira. (Il explique aux autres.) Après tout, je n’ai pas tellement de façons de prouver que je suis libre. On est toujours libre aux dépens de quelqu’un. C’est ennuyeux, mais c’est normal. (Avec un coup d’œil vers Mucius.) Appliquez cette pensée à la jalousie et vous verrez. (Songeur.) Tout de même, comme c’est laid d’être jaloux ! Souffrir par vanité et par imagination ! Voir sa femme…
Mucius serre les poings et ouvre la bouche. Très vite.
Mangeons, messieurs. Savez-vous que nous travaillons ferme avec Hélicon ? Nous mettons au point un petit traité de l’exécution dont vous nous donnerez des nouvelles.

HÉLICON : À supposer qu’on vous demande votre avis.

CALIGULA : Soyons généreux, Hélicon ! Découvrons-leur nos petits secrets. Allez, section III, paragraphe premier.

HÉLICON, se lève et récite mécaniquement : "L’exécution soulage et délivre. Elle est universelle, fortifiante et juste dans ses applications comme dans ses intentions. On meurt parce qu’on est coupable. On est coupable parce qu’on est sujet de Caligula. Or, tout le monde est sujet de Caligula. Donc, tout le monde est coupable. D’où il ressort que tout le monde meurt. C’est une question de temps et de patience."

CALIGULA, riant : Qu’en pensez-vous ? La patience, hein, voilà une trouvaille ! Voulez-vous que je vous dise : c’est ce que j’admire le plus en vous.

Maintenant, messieurs, vous pouvez disposer. »

Albert Camus, Caligula, Acte II, scène 9, 1944

En quoi peut-on dire que l’attitude de Caligula est particulièrement enjouée ? Citez le texte pour justifier la réponse.

On comprend que Caligula est enjoué grâce aux phrases exclamatives. Il ne montre pas une animosité particulière. Quand par exemple, il dit : « Soyons généreux, Hélicon ! » ou encore « la patience, hein, voilà une trouvaille ! », il semble rire et enjoindre les autres à rire avec lui.

Les nombreuses questions rhétoriques qu’il emploie montrent également sa jovialité : « Savez-vous que nous travaillons ferme avec Hélicon ? », « Qu’en pensez-vous ? » ou encore « Voulez-vous que je vous dise ».

  • Caligula s’exprime sur un ton léger, anodin, alors même qu’il profère des paroles extrêmement graves… La folie de l’empereur commence à se dessiner.

En quoi la décision prise par l’empereur dans la première partie de l’extrait peut-elle être qualifiée d’arbitraire ? Que peut-on en déduire sur la personnalité de Caligula ? Comment réagissent alors les gens autour de lui ?

Le personnage de Caligula mêle froideur du discours et chaleur de ton. On peut le voir avec la décision qu’il annonce dès sa deuxième réplique : « Demain, il y aura famine. »

  • On a d’abord l’impression qu’il ne s’agit pas d’une décision et que l’empereur annonce une nouvelle, un malheur, contre lequel il serait logique qu’il lutte. Le fait de l’annoncer ainsi pour le lendemain semble donc appeler des solutions qui pourraient être proposées pour l’endiguer. Mais rien de tout cela.
  • Sa réplique suivante nous détrompe : « Je dis qu’il y aura famine demain. Tout le monde connaît la famine, c’est un fléau. Demain, il y aura fléau… et j’arrêterai le fléau quand il me plaira. » Caligula fait part d’une décision. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette famine qui arrive sera donc voulue. Il s’agit ici pour lui d’affirmer son pouvoir, de montrer qu’il peut provoquer une famine s’il le veut, et qu’il ne l’arrêtera que s’il le décide.
  • Caligula semble vouloir offrir ici une véritable démonstration de force, aussi absurde soit-elle. C’est en ce sens que la décision est arbitraire.

Ce personnage est profondément égoïste : lorsqu’il parle de liberté, c’est uniquement pour évoquer la sienne, qui bien sûr doit être totale : « je n’ai pas tellement de façons de prouver que je suis libre. On est toujours libre aux dépens de quelqu’un ». Ses décisions affectent les gens autour de lui, mais ne lui posent pas le moindre problème de conscience. « C’est normal », dit-il. Les réponses de son entourage sont d’ailleurs très succintes ; tout juste l’intendant essaie-t-il de protester doucement, en commençant deux fois de suite sa réplique par la conjonction de coordination « mais ».

Pour autant, Hélicon le précise un peu plus loin : personne ne leur « demande [leur] avis ». Il ne reste donc plus aux sujets du roi que leurs réactions corporelles, qui trahissent leur envie de révolte.

  • Ainsi, la didascalie précisant que « Mucius serre les poings et ouvre la bouche » est à ce titre fort évocatrice. Les sujets de l’empereur ne partagent pas sa folie. Ils ne peuvent que la subir.

Expliquez le décret instauré par Caligula. Comment justifie-t-il sa décision ?

Le décret de Caligula est un raisonnement absurde. Le principe même de la folie, c’est que les fous pensent toujours agir de façon parfaitement raisonnée et logique. Et c’est exactement ce que l’on retrouve dans ce décret : des connecteurs logiques, qui permettent à une véritable argumentation de se mettre en place.

  • On se trouve en fait face à un sophisme.

Ainsi, après avoir énoncé deux vérités contestables, les deux premières véritables propositions de ce décret nous expliquent les causes de la mort, en utilisant la locution conjonctive « parce que », qui revient donc deux fois de suite.

La reprise anaphorique de la proposition « on est coupable », qui constitue à la fois la fin de la première phrase et le début de la seconde, marque également un enchaînement logique. Les deux conjonctions de coordination « or » et « donc » permettent aux arguments de faire progresser la thèse de l’empereur, et la dernière phrase de ce raisonnement, « D’où il ressort que tout le monde meurt » constitue la résultante d’une démonstration en apparence irréfutable.

Sur le papier, finalement, tout semble se tenir. On a là l’apparence d’un raisonnement parfaitement logique :

  • « on meurt parce qu’on est coupable ».

Néanmoins, cette première proposition n’a aucun sens, on est dans l’absurde le plus total : « On est coupable parce qu’on est sujet de Caligula ». Si on retire la partie répétée, on comprend que l’on meurt parce qu’on est sujet de Caligula. L’affirmation, extrême, est évidemment absurde.

Ce raisonnement, en apparence des plus logiques, se fonde donc sur deux assertions complètement invraisemblables. Il s’agit de la justification d’un fou, persuadé d’être censé et sain d’esprit.

Quel est le temps employé pour annoncer ce décret ? Quelle est sa valeur ? Quel est l’effet produit par cette valeur ?

Afin de donner plus de poids à son argumentaire, tous les verbes conjugués de ce décret sont au présent de l’indicatif :

  • « soulage » ; « délivre » ; « est » ; « meurt » ; « est » ; « est » ; « est » ; « est » ; « est » ; « meurt » ; « c’est ».

Le verbe « être » revient extrêmement souvent. Mais surtout, ce présent a ici une valeur bien particulière : celle de vérité générale, qui permet de donner à ce discours des allures de vérité incontestable.

La juxtaposition des verbes « être » et « mourir » semblent aller dans le sens des idées de Caligula, qui voudrait finalement que toute vie n’existe que pour mieux se terminer.

D’après vous, à qui pourrait s’adresser vraiment la dernière réplique de Caligula ?

Cette hauteur de l’empereur, qui pense avoir tout pouvoir sur ses sujets, et donc sur les hommes en général, se perçoit de nouveau dans sa dernière réplique. Ainsi, quand il proclame : « La patience, hein, voilà une trouvaille ! Voulez-vous que je vous dise : c’est ce que j’admire le plus en vous », on pourrait penser qu’il ne s’adresse pas uniquement aux personnes qui sont à sa table.

Quelque part, on serait tenté de penser qu’il s’adresse peut-être au public. On aurait alors ici un cas typique de rupture du quatrième mur, en ce que le public se retrouve pris à parti par les personnages sur scène. Ce « vous » peut aussi désigner les autres hommes au sens large du terme, et donc l’ensemble de l’humanité.

  • Caligula, par cette dernière réplique, s’affirmerait donc comme un être en dehors du monde des Hommes.

​Conclusion :

Le personnage de Caligula est absurde parce que l’absurdité de la vie semble lui avoir sauté au visage lors de la perte de sa bien-aimée. Le côté arbitraire de la mort lui a fait perdre de vue le droit de vivre propre à chaque homme, et l’a entraîné dans une spirale de folie au sein de laquelle il pense avoir plus que jamais raison. La logique de son raisonnement est donc fallacieuse, puisqu’elle se base sur des vérités générales absurdes qu’il est le seul à admettre.

Caligula pense posséder tout et tout le monde, alors qu’il est au final seul et abandonné. Plus que jamais, il incarne donc le gouvernant du vide, l’empereur enchaîné qui pense être libre, le mort persuadé d’être vivant. Et c’est ce qui fait toute sa tragédie.