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Croquis parisien, de Paul Verlaine
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Sujet de type brevet :
La poésie ne sert pas qu’à chanter la beauté de la nature ; elle a su avec le temps trouver de nouvelles sources d’inspiration dans le monde moderne de la société des hommes, notamment à travers la ville. Les Poèmes saturniens de Verlaine ont été écrits en 1866. Cet extrait, « Croquis parisien », évoque le Paris du second Empire.
Croquis parisien
« La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu’un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d’étrange et grêle façon.
Moi, j’allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias1,
Et de Salamine et de Marathon2,
Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz. »
Paul Verlaine, Poèmes saturniens, 1866
1 Platon est un philosophe grec du Ve siècle avant J.-C. et Phidias était un sculpteur et un architecte de la Grèce antique.
2 Salamine est une île grecque et Marathon une ville célèbre de l’Antiquité grecque.
Observez la disposition du texte, et les types de vers employés : que remarque-t-on de particulier ? Que peut-on en déduire sur la modernité du poème ?
La première chose que l’on remarque ce sont les vers de longeurs différentes : les deuxièmes vers de chaque strophe, c’est-à-dire les vers 2, 6 et 10, sont à chaque fois plus courts et même décalés. Voilà donc déjà un premier aspect du texte qui ne ressemble pas à l’idée que l’on se fait de la poésie classique et traditionnelle, où tout doit être harmonieux et symétrique.
C’est trois vers ont une métrique différente :
La / lu / ne / pla / quait / ses / tein / tes / de / zinc (décasyllabe)
Par / an / gles / ob / tus (pentasyllabe)
Des / bouts / de / fu / mée / en / for / me / de / cinq (décasyllabe)
Cinq est un chiffre impair, ce qui crée une disharmonie dans le poème, c’est-à-dire le contraire d’une harmonie.
Ce deuxième vers ne fait que la moitié de la longueur des autres, ce qui crée une sensation étrange, comme s’il manquait quelque chose. Peut-être que la ville nous enlève une partie de nous-même. On revient ensuite sur du décasyllabe. Le deuxième vers semble incomplet, comme si on lui avait retiré la moitié de sa substance, comme si, au sein de cette ville, il ne pouvait être qu’à demi.
Finalement, la disposition du texte s’avère relativement moderne en ce qu’elle se veut atypique.
Verlaine semble ici casser les codes de la poésie classique pour aller chercher du côté de la disharmonie, car il considère la ville disharmonieuse. La forme de son poème est la fidèle représentante de cette entité moderne que constitue la ville.
Quelle figure de style semble utiliser Verlaine pour décrire les éléments autour de lui ? Quelle image de la ville est alors renvoyée au lecteur ?
Dès le titre, on apprend que le poète est à Paris. Pourtant, curieusement, le premier vers a pour sujet « la lune », un élément naturel. Celle-ci est associée à un verbe d’action : « plaquait ». Ce verbe appartient au registre de la métallurgie (on plaque un métal, c’est-à-dire qu’on le recouvre d’un autre métal par chauffe et par pression). Pourtant, plaquer est une action humaine :
Un autre élément naturel est personnifié de la sorte : « la bise pleurait ». Tout ce qui relève du naturel dans ce poème a en fait beaucoup de personnalité, jusqu’au chat : « un matou frileux et discret // Miaulait d’étrange et grêle façon ».
Le dernier élément personnifié se trouve à la fin du poème. Il s’agit des « becs de gaz », qui ont un « œil clignotant ». On peut bien sur l’interpréter comme une image : les réverbères étaient à l’époque alimentés au gaz et fonctionnaient souvent mal, d’où le clignotement. Mais l’œil reste néanmoins dérangeant :
Les éléments autour du poète semblent donc s’animer de leur propre chef, la ville cessant d’être un décor pour devenir un personnage à part entière. L’image de la ville est une image inquiétante, elle est une espèce de monstre. Mais c’est aussi peut-être l’état second auquel le poète parvient à la fin du poème qui lui donne cette impression, et qu’il transmet au lecteur.
Relisez les vers 8 et 10. Quelle est la particularité de ces deux vers, au niveau de la lecture ? Quel est le sens produit par cette particularité ?
Pour s’accorder avec le reste du poème, ces deux vers doivent se lire en effectuant la diérèse : dédoubler la syllabe permet d’en faire respectivement des vers de 10 et 5 syllabes :
La diérèse ajoute du sens au vers lui-même car elle permet d’entendre le miaulement du chat à l’intérieur du mot.
Le sens de la seconde diérèse est plus pragmatique. Cette diérèse est située dans une énumération : « du divin Platon // Et de Phidias // Et de Salamine et de Marathon ».
Cette énumération a la particularité de recourir à l’anaphore afin de lister et d’insister sur des éléments appartenant tous à l’Antiquité grecque. Le fait d’allonger le nom de Phidias permet de lui donner de l’importance en ajoutant une syllabe. En effet, si on compte les syllabes des éléments de l’énumération, on trouve à chaque fois cinq syllabes. On est donc forcé de faire la diérèse à Phidias pour ne pas laisser retomber le rythme des vers.
Il a malheureusement une chute : tout comme les vers qui l’évoquent, sa rêverie est enfermée dans une ville sinistre qui, de surcroît, le surveille.
La balade du poète : retracez les étapes de celles-ci en vous aidant des différents sens convoqués par Verlaine.
Verlaine est un poète mélancolique. Aussi, ce poème, loin de chanter les beautés de la ville, semble plutôt faire un état des lieux de cet étrange objet du monde moderne qui accapare nos sens en permanence.
Dans la première strophe, le poète fait appel essentiellement à sa vue pour observer « la lune », qui n’est plus ronde et harmonieuse, mais présente des « angles obtus ». Ces figures géométriques cassantes, il les retrouve dans les « hauts toits pointus » et même dans la fumée. Pourtant informe par définition, cette fumée-là est suffisamment solide pour faire des « bouts de fumée », qui plus est « en forme de cinq ». Autrement dit, quelque chose d’antinaturel.
La vue permet aussi de saisir les couleurs du poème : « teintes de zinc », « noirs », « gris », « bleus ». Les teintes sont assez peu variées, trois sont par essence des absences de couleur, et la seule couleur restante, le bleu, est froide, bien qu’émanant des flammes des becs de gaz.
L’ouïe enfin est mise à contribution : « La bise pleurait / Ainsi qu’un basson, / Au loin, un matou frileux et discret / Miaulait d’étrange et grêle façon ».
Les sens du poète sont malmenés et il se réfugie dans la rêverie. Le poète reprend sa place : « moi », nous dit-il pour ouvrir la dernière strophe. Et c’est le basculement dans la rêverie : « Platon », « Phidias », « Salamine », « Marathon », autant de références à la Grèce antique, monde bien plus agréable pour le poète en quête d’inspiration que celui dans lequel il déambule. Les sens s’effacent, seul reste l’imaginaire, l’évasion, l’envie d’un ailleurs autrement plus poétique… Mais « l’œil » des becs de gaz nous ramène à la réalité.
Conclusion :
On le voit, le monde moderne fascine le poète autant qu’il le révulse. Sujet mélancolique, la ville constitue le décor, en même temps que l’essentiel du texte, avant que le poète ne reprenne la parole pour nous montrer que son cœur se trouve ailleurs, aux côtés de Platon, de Phidias… Bref, dans un monde plus propice au rêve, et donc à la poésie.
Ce voyage obscur à travers les méandres de la ville est donc l’occasion pour Verlaine de joindre le fond à la forme, en proposant un texte à la structure atypique, furieusement moderne par sa métrique déséquilibrée, qui retranscrit tout le malaise de cette ville anguleuse et étrange. Le monde change, et la poésie avec lui.