L’adaptation de La Princesse de Montpensier par Bertrand Tavernier : la réécriture

Introduction :

L’étude croisée de la nouvelle de madame de Lafayette (1662) et de son adaptation au cinéma par Bertrand Tavernier (2010) permet de s’interroger sur les relations entre littérature et cinéma. Ici, elles seront envisagées sous l’angle de ce qu’on nomme communément « l’adaptation », c’est-à-dire qu’une œuvre en inspire une autre. Chacune d’elles a donc avec l’autre un rapport d’intertextualité tout en restant autonome puisque littérature et cinéma n’utilisent pas les mêmes moyens d’expression.
Le cinéaste a notamment dû interpréter la langue du XVIIe siècle pour faire ressortir certaines réalités sociales et culturelles de l’époque. Dans un souci de modernisation, le réalisateur a également libéré le texte de sa dimension morale et en a modifié la signification.

Nous examinerons donc les différentes voies empruntées par Bertrand Tavernier dans son travail de cinéaste en nous intéressant tout d’abord au travail sur la langue puis à la réinterprétation de l’œuvre et aux moyens cinématographiques employés.

Le travail sur la langue

Ce travail a représenté un double aspect.

La modernisation

Il s’agissait pour Bertrand Tavernier de traduire la langue de madame de Lafayette, difficile pour un lecteur moyen d’aujourd’hui, en une langue claire et accessible. Le registre employé par les personnages reste cependant parfois soutenu pour certains dialogues. Certains mots surannés ont également été conservés, mais leur sens est éclairé par le contexte.

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Définition

Suranné :

Qui date d’une autre époque, du passé.

Par exemple, après la confusion faite par Marie au cours du bal des Maures entre Guise et Anjou, elle revoit Guise et lui reproche de ne pas l’avoir rejointe au rendez-vous fixé. Il se défend en lui disant que c’est elle qui ne lui a pas adressé la parole. Elle s’irrite et lui répond : « Vous avez le front de… ».

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Astuce

« Front » signifie ici « audace », « toupet ».

Comprenant ce qui s’est passé, Guise conclut : « C’est donc Anjou qui vous a jouée. »

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Astuce

« Jouer » signifie ici « tromper ».

On comprend facilement le sens de ces termes grâce à l’ensemble du dialogue.

Le cinéaste devait aussi traduire certains termes employés par l’auteur de la nouvelle dont le sens s’est obscurci ou atténué pour nous. Dans les différents entretiens qu’il a donnés au sujet du film, il revient sur le terme « tourmentée » employé dans la phrase : « Mademoiselle de Mézières, tourmentée par ses parents d’épouser ce prince, […] se résolut enfin de suivre le sentiment de ses proches. » Alors qu’aujourd’hui, le terme « tourment » fait référence à un trouble ou à une souffrance psychologique, il renvoie, au XVIe siècle, aux tourments de l’Enfer selon la religion catholique : les âmes pécheresses y souffrent dans des flammes éternelles. Les lecteurs du XVIIe siècle saisissaient donc parfaitement la violence du terme, synonyme de « torture ». C’est pourquoi le film montre les violences physiques de Mézières sur sa fille pour l’obliger à se marier. Tavernier rend ainsi explicite le sens de ce terme.

Inventer des dialogues explicatifs

La transformation du récit en dialogue nécessite de développer l’implicite qu’il contient en respectant les réalités historiques et sociales d’une époque. Par exemple, « La maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu’avec envie l’élévation de celle de Guise, s’apercevant de l’avantage qu’elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et d’en profiter elle-même, en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. On travailla à l’exécution de ce dessein avec tant de succès […] » est un passage assez obscur car sa compréhension nécessite certaines connaissances sur les grandes familles citées.

Bertrand Tavernier a travaillé avec l’aide d’un historien, Didier Lefur, pour la décrypter et imaginer les arguments qui auraient pu être présentés au cours de la « transaction » : le père du prince promet à celui de Marie de lui laisser des terres longtemps convoitées et de parler en sa faveur à la reine. De plus, les Guise étant une famille d’origine étrangère, cet aspect des choses est pris en compte dans le dialogue quand le père du prince de Montpensier compare le sang de sa famille, pur, à celui des Guise, issus de la famille de Lorraine, liée aux Habsbourg, maison d’Autriche.

En plus de cet effort de clarification de la nouvelle par le biais du langage, Bertrand Tavernier a voulu débarrasser l’œuvre de madame de Lafayette de sa portée morale et en a réorienté le sens.

La réinterprétation de l’œuvre et les moyens filmiques mis en œuvre

Bertrand Tavernier a donné de l’intensité au caractère de l’héroïne ; il a débarrassé l’histoire de sa dimension moralisatrice et s’est plutôt attaché à montrer l’évolution d’un caractère de femme aspirant à conquérir sa liberté. Il a donc choisi de mettre en relief le roman d’apprentissage d’une jeune personne.

Au cours de sa lecture du texte, le cinéaste a en effet été frappé par la jeunesse des personnages : la princesse se marie à seize ans ; si on se réfère aux dates de naissance des personnages historiques, Guise a le même âge qu’elle, Anjou un an de moins et le prince huit ans de plus. Les personnages sont donc à ce moment de l’intrigue encore des adolescents ; le prince lui-même étant encore un jeune adulte. Pour traduire l’élan de la jeunesse, Tavernier a essentiellement usé de deux moyens : les scènes d’extérieur et la représentation du mouvement.

La multiplication des scènes d’extérieur

Dans la nouvelle, l’allusion aux guerres de Religion auxquelles participent les personnages masculins suggère qu’ils évoluent dans de grands espaces. Mais l’intrigue amoureuse se déroule uniquement dans des espaces intérieurs : le château de Champigny, la cour, etc. Seul l’épisode central de la rencontre a lieu en extérieur ; le décor en est rapidement tracé : « un petit bateau », « une petite rivière ». Aussitôt après, les personnages rentrent au château de Champigny.

Bertrand Tavernier, lui, aime les extérieurs « qui renvoient aux états d’âme et aux émotions des personnages ». Ainsi, dès le début du film, on voit Marie et Henri de Guise dans un paysage naturel à l’extérieur du château ; ils courent en traversant des haies pour s’adosser à un arbre et se cacher des autres. Il fait beau et la nature est verdoyante, reflet des espoirs entretenus par les deux amoureux et du côté naturel de leur rapprochement physique. De plus, en extérieur, les personnages sont en mouvement.

La création du mouvement

La jeunesse est synonyme d’élan vital. C’est ce que retranscrit à l’écran le mouvement des personnages. La nouvelle indique leurs changements de lieu (la princesse quitte le château familial pour celui de son mari, la cour se déplace). Le film, lui, montre les personnages dans ces espaces de transition, dans leur avancée. Ainsi, on y voit beaucoup de chevauchées. Par exemple, Marie, en route pour Champigny, observe Chabannes qui l’accompagne à travers les vitres de son carrosse : c’est une nouvelle période de sa vie qui commence et Chabannes en sera un des piliers.

Conclusion :

L’adaptation de La Princesse de Montpensier par Bertrand Tavernier peut donc être étudiée selon différents axes qui relèvent tous d’un véritable travail de (re)création : création d’une nouvelle langue, réorientation du sens du texte. Le film restitue ainsi l’esprit de la nouvelle tout en faisant preuve d’une grande liberté.