Le Roi se meurt, d’Eugène Ionesco

Sujet de type brevet :

Vous répondrez à ces questions de type brevet en organisant vos réponses et en les justifiant.

  • Les deux épouses du roi : quel vocabulaire caractérise le personnage de Marie ? Marguerite a-t-elle la même attitude que Marie vis-à-vis du roi ?
  • Quel type de phrases domine les répliques du roi dans la première partie du texte ? Qu’en déduire sur sa personnalité ?
  • Dans la dernière réplique du roi, les ordres qu’il donne paraissent-ils réalistes ? Quel sentiment s’empare alors du lecteur ?
  • Qu’en déduire sur la tonalité générale de la pièce ? Est-ce une tragédie, ou une comédie ?

Dans cet extrait tiré de la pièce Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco, le roi vient d’apprendre que sa mort ne saurait tarder : c’est son médecin et sa première femme, Marguerite, qui l’attestent. Marie, la seconde femme du roi, ne semble pas de cet avis. Cet annonce de mort s’accompagne d’une perte de l’influence du roi sur ses sujets…

MARIE, qui s’est dirigée à reculons vers la droite et se trouve maintenant près de la fenêtre : Ordonne, mon Roi. Ordonne, mon amour. Regarde comme je suis belle. Je sens bon. Ordonnez que je vienne vers vous, que je vous embrasse.

LE ROI, à Marie : Viens vers moi, embrasse-moi. (Marie reste immobile.) Entends-tu ?

MARIE : Mais oui, je vous entends. Je le ferai.

LE ROI : Viens vers moi.

MARIE : Je voudrais bien. Je vais le faire. Je vais le faire. Mes bras retombent.

LE ROI : Alors, danse. (Marie ne bouge pas.) Danse. Alors, au moins, tourne-toi, va vers la fenêtre, ouvre-la et referme.

MARIE : Je ne peux pas.

LE ROI : Tu as sans doute un torticolis, tu as certainement un torticolis. Avance vers moi.

MARIE : Oui, Sire.

LE ROI : Avance vers moi en souriant.

MARIE : Oui, Sire.

LE ROI : Fais-le donc !

MARIE : Je ne sais plus comment faire pour marcher. J’ai oublié subitement.

MARGUERITE, à Marie : Fais quelques pas vers lui.

Marie avance un peu en direction du Roi.

LE ROI : Vous voyez, elle avance.

MARGUERITE : C’est moi qu’elle a écoutée. (À Marie.) Arrête. Arrête-toi.

MARIE : Pardonne-moi, Majesté, ce n’est pas ma faute.

MARGUERITE, au Roi : Te faut-il d’autres preuves ?

LE ROI : J’ordonne que les arbres poussent du plancher. (Pause.) J’ordonne que le toit disparaisse. (Pause.) Quoi ? Rien ? J’ordonne qu’il y ait la pluie. (Pause, toujours rien ne se passe.) J’ordonne qu’il y ait la foudre et que je la tienne dans ma main. (Pause.) J’ordonne que les feuilles repoussent. (Il va à la fenêtre.) Quoi ? Rien ? J’ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte au fond à droite.) Pas par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par la petite porte, à droite, en face. À Juliette.) J’ordonne que tu restes. (Juliette sort.) J’ordonne qu’on entende les clairons. J’ordonne que les cloches sonnent. J’ordonne que cent vingt et un coups de canon se fassent entendre en mon honneur. (Il prête l’oreille.) Rien ! … Ah si ! J’entends quelque chose.

LE MÉDECIN : Ce n’est que le bourdonnement de vos oreilles, Majesté.

Eugène Ionesco, Le Roi se meurt, 1962

Les deux épouses du roi : quel vocabulaire caractérise le personnage de Marie ? Marguerite a-t-elle la même attitude que Marie vis-à-vis du roi ?

Le roi a deux épouses. Le vocabulaire qu’elles utilisent lorsqu’elles s’adressent à lui montre qu’elle n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre.

  • Le personnage de Marie dit en une seule réplique « mon amour » ; « belle » ; « je sens bon » ; « je vous embrasse ». Ces termes renvoient du champ lexical de l’amour, ce qui tend à prouver que Marie a de vrais sentiments pour le roi.
  • La jeune femme incarne la voix de la passion.
  • Pour Marguerite, en revanche, c’est plus compliqué. Elle n’a que trois répliques, dont la moitié est adressée à Marie. Pour ce qui est de son rapport au roi, il semble se baser uniquement sur la logique :
  • « C’est moi qu’elle a écoutée » lui dit-elle pour le contredire, mais également pour lui faire réaliser son absence de pouvoir ;
  • « Te faut-il d’autres preuves », lui lance-t-elle ensuite pour mieux le persuader. Elle tente donc de le convaincre, de le raisonner ;
  • d’ailleurs, elle est d’accord avec le médecin pour avancer que « le roi se meurt ». Le fait qu’elle soit d’accord avec le médecin nous prouve que Marguerite semble se placer à un niveau différent de celui de Marie : elle incarne ici, pour le roi, la voix de la raison.
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Astuce

Les éléments du paratexte sont toujours à prendre en compte dans l’analyse : on ne peut pas les citer directement, mais on peut s’en servir pour vérifier si des hypothèses de sens ont l’air correctes.

Quel type de phrases domine les répliques du roi dans la première partie du texte ? Qu’en déduire sur sa personnalité ?

Les types de phrases qui constituent l’essentiel des répliques du roi dans la première partie du texte sont à l’impératif présent ; ce sont donc des phrases injonctives, des ordres :

  • « Viens vers moi » ; « embrasse-moi » ; « viens vers moi » ; « danse » ; « danse » ; « tourne-toi » ; « va » ; « ouvre-la » ; « referme » ; « avance » ; « avance » ; « fais-le ».

On a donc un personnage qui passe son temps à vociférer des ordres, sans résultat. En effet, comme il va bientôt mourir, son pouvoir décline et ses sujets n’obéissent plus. Curieusement, le roi s’attend à ce que tout autour de lui obéisse à sa volonté, y compris les choses inanimées. Au lieu de lui paraître totalement normal, le fait de ne pas parvenir à se faire obéir des arbres et du toit de sa demeure le conforte dans sa prise de conscience : il va bientôt mourir.

Il s’agit donc finalement d’un test pour le roi, d’une sorte d’essai grandeur nature. Il veut voir de lui-même si ses pouvoirs sont si diminués que ça, quitte à ordonner tout un tas de choses absurdes. C’est donc le portrait d’un homme particulièrement inquiet qui est fait : la description d’un homme de pouvoir terrorisé à l’idée de le perdre.

  • C’est cette terreur qui fait basculer son comportement dans l’absurde.

Dans la dernière réplique du roi, les ordres qu’il donne paraissent-ils réalistes ? Quel sentiment s’empare alors du lecteur ?

Devant la funeste nouvelle de sa mort approchante, le personnage du roi semble se rebeller, et réfute la perte de son pouvoir. Dans cette optique, il se lance dans un série d’ordres tous plus grotesques les uns que les autres :

  • « que des arbres poussent du plancher » ; « que le toit disparaisse » ; « qu’il y ait la pluie » ; « qu’il y ait la foudre et [qu’il] la tienne dans [sa] main » ; « que les feuilles repoussent ».

Ces ordres relèvent tous d’un pouvoir surhumain. Le roi se pense de statut divin. On voit bien ici la folie de ce personnage qui, en voyant que « rien ne se passe », se rend peu à peu compte de sa faible condition d’homme.

Pour le lecteur, la succession d’ordres, introduits par l’anaphore « J’ordonne que » provoque le rire, par le phénomène du comique de répétition. Le rire est d’autant plus intense que les demandes ne risquent pas d’être satisfaites tant elles sont absurdes.

Lorsque les ordres deviennent réalistes, le rire continue car le roi n’obtient pas satisfaction pour autant. Ainsi, il souhaite simplement « que Juliette entre par la grande porte », puis qu’elle sorte par une autre. Enfin, il lui ordonne de rester, et c’est ce moment qu’elle choisit pour finalement sortir.

  • Même ces petites exigences absurdes se voient donc réduites en cendres, car son pouvoir ne marche même plus sur ses sujets.

Enfin, comme pour tenter de récupérer un peu de dignité, le roi ordonne « que les cloches sonnent » et « que cent vingt et un coups de canon se fassent entendre » en son honneur.

  • Il est là encore confronté à sa perte de pouvoir.

Ionesco suscite donc le rire, mais ce rire est ambigu car il se fait aux dépens du roi, qui perd son pouvoir et est en réalité affolé et désespéré de la situation. Le spectateur n’a donc pas un rire innocent mais moqueur.

Qu’en déduire sur la tonalité générale de la pièce ? Est-ce une tragédie, ou une comédie ?

On se retrouve devant un texte étrange, qui prête à la fois à sourire, mais aussi à réfléchir. Nous sommes devant une pièce trouvant sa place dans le genre du théâtre de l’absurde.

  • L’absurde, c’est quelque chose qui n’a pas de sens, donc que l’on pourrait considérer comme idiot, ou stupide. Mais la littérature de l’absurde et le théâtre de l’absurde sont des genres bien particuliers, qui ont vocation à faire réaliser, d’une certaine façon, le caractère absurde de la vie elle-même.

Quand on est spectateur d’une œuvre absurde, on se retrouve face à un choix : celui de rester à un niveau de lecture de premier degré et de simplement rire devant ces situations étranges, ou alors de chercher à percer le sens du discours qui se cache entre les lignes de ces répliques.

Le Roi se meurt est donc une tragédie absurde, qui au final va se changer en une mécanique tragique. Si l’idiotie des ordres du roi peut d’abord prêter à rire, elle finit par émouvoir et interroger.

  • Qu’est-ce que c’est qu’un homme face aux portes de la mort ?
  • À quoi sa vie aura-t-elle servi ? Aura-t-il jamais eu du pouvoir sur la moindre chose ?

Toutes ces questions émergent alors dans l’esprit du spectateur, persuadé jusqu’alors d’assister à une simple comédie.

Conclusion :

Le théâtre de l’absurde est un genre particulier, qui interpelle le spectateur, et ce dans tous les sens du terme. Le spectacle est alors à interpréter : les deux femmes du roi incarnent chacune une façon de percevoir le pouvoir. L’une incarne la raison quand l’autre incarne le cœur. Mais comme souvent, le cœur peut se révéler aveugle face au caractère absurde de la vie. Marguerite, de son côté, place le roi face à la réalité de la vie : celle-ci est sur le point de se terminer.

C’est à travers l’absurdité de la rébellion du roi, avec tous ces ordres irréalisables et sortis de nulle part, que la pièce se pare de ses atouts les plus tragiques. La folie d’un homme qui refuse de mourir n’est donc plus vraiment un sujet comique mais plutôt un sujet de pleurs.