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Une naissance - extrait de Mémoires d’Outre-tombe, de Chateaubriand

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Sujet de type brevet :

Le présent sujet s’intéresse aux récits d’enfance et d’adolescence. Tentez de répondre par écrit aux questions suivantes avant d’en lire la correction.

  • À votre avis, à quel genre littéraire appartient ce texte ? N’oubliez pas de justifier la réponse.
  • Le narrateur semble avancer que ses quatre sœurs sont nées pour une raison. Laquelle ?
  • À quel endroit est né le narrateur, et dans quelles conditions exactement ?
  • Expliquez la phrase « Je résistais, j’avais aversion pour la vie », et trouvez dans le texte une autre expression exprimant la même idée. Comment Chateaubriand ressent-il le fait d’être venu au monde ?

Conformément à la volonté de François-René de Chateaubriand, les Mémoires d’outre-tombe ont été publiées à titre posthume, c’est-à-dire après la mort de l’auteur. Cette œuvre est le récit de sa vie ; elle débute logiquement par les circonstances de la naissance de l’auteur. questions qui peuvent être posé.

« Ma mère accoucha à Saint-Malo d’un premier garçon qui mourut au berceau, et qui fut nommé Geoffroy, comme presque tous les aînés de ma famille. Ce fils fut suivi d’un autre et de deux filles qui ne vécurent que quelques mois. Ces quatre enfants périrent d’un épanchement de sang au cerveau. Enfin, ma mère mit au monde un troisième garçon qu’on appela Jean-Baptiste : c’est lui qui, dans la suite, devint le petit-gendre de M. de Malesherbes. Après Jean-Baptiste, naquirent quatre filles : Marie-Anne, Bénigne, Julie et Lucile, toutes quatre d’une rare beauté, et dont les deux aînées ont seules survécu aux orages de la Révolution. La beauté, frivolité sérieuse, reste quand toutes les autres sont passées. Je fus le dernier de ces dix enfants. Il est probable que mes quatre sœurs durent leur existence au désir de mon père d’avoir son nom assuré par l’arrivée d’un second garçon ; je résistais, j’avais aversion pour la vie. […]
La maison qu’habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint-Malo, appelée rue des Juifs : cette maison est aujourd’hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné1 qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. […]
Vingt jours avant moi, le 15 août 1768, naissait dans une autre île, à l’autre extrémité de la France, l’homme qui a mis fin à l’ancienne société, Bonaparte. »

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1849

1 Le frère aîné de Chateaubriand est guillotiné, en même temps que sa femme et une partie de sa belle-famille, le 22 avril 1794 durant la Terreur.

À votre avis, à quel genre littéraire appartient ce texte ? N’oubliez pas de justifier la réponse.

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Définition

Autobiographie :

Lorsque quelqu’un décide d’écrire le récit de sa vie, on appelle son texte une autobiographie : c’est-à-dire qu’il réalise lui-même sa propre biographie.

Plus précisément, le paratexte nous indique qu’il s’agit de mémoires.

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Définition

Mémoire :

Les mémoires sont une sous-catégorie de l’autobiographie, où l’auteur se sert du récit de sa vie comme prétexte pour rendre compte d’une époque et faire une sorte de cours d’histoire. Il s’intéresse donc en général, dans ce type de texte, à la politique ou à des questions de société.

Pour justifier cette assertion, il est possible d’utiliser la dernière phrase, puisqu’il y met en lien sa propre naissance avec celle de Bonaparte, qui était « l’homme qui a mis fin à l’ancienne société ».

Le narrateur semble avancer que ses quatre sœurs sont nées pour une raison. Laquelle ?

Chateaubriand avait beaucoup de frères et sœurs. Mais parmi eux, bien peu ont survécu : il y a d’abord Geoffroy, mort au berceau, puis un autre garçon et deux filles, qui moururent au bout de quelques mois, d’un « épanchement de sang au cerveau ». On a ensuite un troisième garçon, Jean-Baptiste, puis pas moins de quatre filles ! Ce sont les quatres sœurs de Chateaubriand : « mes quatre sœurs durent leur existence au désir de mon père d’avoir son nom assuré par l’arrivée d’un second garçon ».

À l’époque, la mortalité infantile était élevée et seuls les garçons pouvaient transmettre le nom de famille à leurs enfants. La femme, lors du mariage, perdait automatiquement son nom de jeune fille.

  • Pour préserver sa lignée et l’influence familiale, avoir un garçon était donc obligatoire à l’époque.

En avoir deux était même une sûreté, car si le premier venait à mourir, le nom de famille s’éteignait avec lui. Le père de Chateaubriand a donc continué à essayer de faire des enfants jusqu’à ce qu’il obtienne un second garçon. Après quatre essais infructueux, qu’il prénomma Marie-Anne, Bénigne, Julie et Lucile, il a enfin réussi à avoir un deuxième fils, qui n’est autre que l’auteur du texte.

  • Bien lui en a pris, car une fois Jean-Baptiste exécuté par le tribunal révolutionnaire, c’est bien son second fils qui a fait passer le nom de Chateaubriand à la postérité.

À quel endroit est né le narrateur, et dans quelles conditions exactement ?

Chateaubriand est né à Saint-Malo : « La maison qu’habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint-Malo ».

D’emblée, un paradoxe apparaît : la famille de Chateaubriand est noble et a donc une certaine aisance. Malgré cela, l’auteur évoque une « maison située dans une rue sombre et étroite ». On se demande d’ailleur à quel point cette rue est sombre car, quelques lignes plus loin, on apprend qu’« à travers les fenêtres [de la] chambre [où il est né] on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils ».

  • Chateaubriand a-t-il tendance à l’exagération ?
  • N’est-il pas pessimiste ?

Le texte permet de le penser car chaque élément positif est associé à un élement négatif :

  • sa mère accouche de quatre enfants mais tous meurent en bas âge ;
  • Jean-Baptiste, le frère de l’auteur survit, parvient à se marier à une fille de bonne famille (celle de Malherbe) mais est « infortuné » et sera guillotiné ;
  • les sœurs sont toutes les quatre « d’une rare beauté » mais deux périssent sous la Révolution et toutes ne doivent leur existence qu’à la volonté du père d’avoir un second fils ;
  • la chambre où sa mère a accouché « domine » les murs de la ville mais ceux-ci sont « déserts » ;
  • la fenêtre donne sur une mer infinie mais qui se brise « sur des écueils » ;
  • quand Chateaubriand naît, il est déjà « presque mort » et la bourrasque dehors « empêche d’entendre ses cris » ;
  • il ne dit pas simplement qu’il naît à Saint-Malo (l’un des principaux ports et une ville très riche à l’époque) mais sur un « rocher » malmené par la tempête.
  • En somme, Chateaubriand dramatise. On voit bien ici un effet de style propre à cet auteur qui lui permet de dire que sa naissance à lui n’était pas comme celle des autres.
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Attention

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le premier sens de « dramatiser » n’est pas « rendre triste » mais « mettre en scène » (comme au théâtre). Chateaubriand dramatise son récit, cela veut dire qu’il rend spectaculaires les circonstances de sa venue au monde.

L’auteur présente son existence comme étant dramatique, car d’une importance capitale. En mettant ces évènements en avant, c’est l’importance de sa vie entière qu’il renforce et par là même celle de ses écrits. On a alors l’impression de lire le récit de la vie de quelqu’un d’important.

Expliquez la phrase « Je résistais, j’avais aversion pour la vie », et trouvez dans le texte une autre expression exprimant la même idée. Comment Chateaubriand ressent-il le fait d’être venu au monde ?

La phrase « Je résistais, j’avais aversion pour la vie » est placée juste après la remarque du narrateur sur le fait que son père ait dû faire quatre filles avant d’enfin obtenir son deuxième garçon. Il y a donc l’idée d’une attente forte :

  • la naissance du narrateur est très désirée par ses parents, il est en quelque sorte l’élu qui apporterait à cette famille la sécurité qu’elle cherche depuis tant d’années.

Or, Chateaubriand écrit « je résistais », comme si le fait d’arriver en cinquième position, après quatre filles, était finalement le résultat de sa propre volonté. On est ici à la limite d’une personnification, dans laquelle l’auteur suggère qu’il aurait eu une conscience avant la naissance. On serait donc tenté de se demander pourquoi il ne veut pas venir au monde.

C’est là que Chateaubriand précise qu’il avait une « aversion pour la vie » : le narrateur dit ici clairement qu’il détestait la vie avant même d’être vivant. Ce sentiment, pour le moins lugubre, se retrouve un peu plus loin dans cette formule restée célèbre : « la chambre où ma mère m’infligea la vie ». Chateaubriand emploie le verbe « infliger », à connotation clairement péjorative puisque, par définition, ce sont des châtiments que l’on inflige.

  • La vie est donc ici perçue comme une véritable punition, une souffrance que le narrateur n’aurait jamais demandé.

Conclusion :

Chateaubriand réussit à dépeindre sa naissance avec la plus grande des originalités : il se remet en contexte au sein d’une famille qui l’attendait comme le messie, réveille la poésie d’un monde tout entier qui semble s’accorder autour de lui et nous fait partager sa tristesse indicible, cette mélancolie chevillée au corps qui transforme un heureux évènement – sa naissance – en un jour de tempête sur lequel ne souffleraient que des vents de malheur. C’est là l’essence même du style de Chateaubriand.