Fiche de lecture
Canzoniere, Francesco Pétrarque
Contexte

Le 6 avril 1327, Pétrarque aperçoit une jeune fille, Laure, dans l’église Sainte-Claire à Avignon et éprouve immédiatement un amour fou. C’est de cette rencontre et de ce qui en découle que naît la composition du Canzoniere, considéré comme une œuvre fondatrice non seulement de la langue italienne mais aussi de l’écriture poétique. C’est le Canzoniere en effet qui popularise, y compris en France, le genre du sonnet, ainsi qu’une manière, dite « pétrarquiste », d’écrire sur l’amour.

Thèmes

Le pétrarquisme : Le Canzoniere est à l’origine du mouvement du pétrarquisme qui développe une nouvelle forme de poésie lyrique amoureuse dans la seconde moitié du XVIe siècle et qui influencera notamment les poètes de la Pléiade. Par rapport à l’amour courtois, la femme aimée, dont l’éloge est encore plus poussé, prend un relief presque surnaturel. La souffrance et la joie de l’amoureux sont étroitement mêlés.
Le discours amoureux : La grande originalité de Pétrarque est d’avoir élaboré un véritable discours amoureux, soit avec Laure, soit avec la nature, soit avec lui-même. La profondeur de ses sonnets vient des multiples perspectives introduites par l’échange de parole. Bien que Laure ne puisse évidemment répondre, sa présence est presque palpable. Quant au poète lui-même, il ne prend pas les traits figés d’un rôle esquissé une fois pour toute. Il est au contraire changeant et modulable au cours du temps.
Un hommage immortel : Cependant, Pétrarque ne parle pas seulement d’amour. Le Canzoniere est également le reflet de son désir de gloire. Il sait que ses vers, écrits dans une langue nouvelle, l’italien n’étant alors pas fixé et n’étant pas considéré comme une langue littéraire, ainsi que l’éloquence de ses élégies le rendront immortels autant qu’il souhaite rendre Laure éternelle.

Résumé

Pétrarque a travaillé au Canzoniere la plus grande partie de son existence, en en faisant à la fois un laboratoire de création et un jardin secret. Les dernières années de sa vie, il a organisé la composition de l’ensemble, parfois en réécrivant certains passages. La structure est en deux partie :

  • la première partie est consacrée à l’évocation de la personne de Laure, de sa douceur, et de l’amour que le poète éprouve pour elle ;
  • la seconde partie, marquée par la mort de Laure, détaille la solitude du poète, plongé dans un dialogue intérieur avec la femme aimée et revisitant ses souvenirs.

L’ensemble comprend 317 sonnets, 29 chansons (qui donnent leur titre à l’ensemble), 9 sextines, 7 ballades et 4 madrigaux.

Le total de 366 poèmes est symbolique : on peut y voir soit l’addition d’un poème par jour plus une chanson finale dédiée à la Vierge ; soit une référence à l’année bissextile de la mort de Laure.

Malgré cette composition rigoureuse, il ne s’agit pas ici d’un journal poétique ni d’un récit chronologique. Pétrarque insiste cependant sur certaines dates anniversaires, comme celle de la rencontre initiale.

Pétrarque parle d’amour d’une façon totalement idéalisée. Les nombreuses description de Laure ne permettraient pas de la reconnaître. Ce ne sont pas ses traits individuels qui sont retenus par le poète mais des qualificatifs, qui font d’elle une créature lumineuse et pure. Plus le recueil progresse, plus Laure est transfigurée ; sa mort fait d’elle une présence presque aussi sainte que celle de la Vierge.

Il analyse également toute la palette de ses sentiments intérieurs. Pétrarque et Laure ne forment pas un couple, puisqu’ils n’ont pas pu se marier, mais il n’y a pas exactement ici d’amour malheureux. Laure est placée trop haut sur un piédestal pour être la compagne du poète à proprement dit, mais elle ne le rejette pas ni ne joue avec lui.

L’évolution du recueil trace un parcours initiatique, de l’amour vers la foi chrétienne. L’ambiguïté vient de ce qu’on ne sait pas s’il y a contradiction entre les deux ou au contraire un échange. Le fait est, en tout cas, que l’amour que Pétrarque éprouve ainsi que la pratique de l’écriture poétique sont l’occasion d’une profonde introspection. Pétrarque ne réinvente pas seulement une poésie amoureuse, mais également une poésie du « je ». Il est en cela très marqué par la lecture de saint Augustin : le « je » est déchiré par ses contradictions, mais c’est dans leur exploration que l’on peut le reconstituer et ainsi accéder à quelque chose de plus vaste que lui.

Citation

« Si cruelle fut la première blessure,
si sauvage et violent le premier trait
que, si l’espoir ne nourrissait pas mon cœur,
la mort certes me fût parue douce.

Certes l’âge tendre point ne refuse
de suivre Amour, mais souffre chaque jour davantage ;
volontiers il suit son doux malheur,
puisque son destin lui a fixé ce sort.

Mais toi, Amour, puisque sous ton étendard
tu veux que je sois prêt, fais en sorte
qu’à nul autre je n’enseigne mon mal. »
« Je suis avec passion ce qui me déplaît le plus ;
pour vivre davantage souvent je désire ma fin ;
pour fuir la mort, la mort j’appelle ;
je cherche le repos là où jamais il n’y eut de paix ;

je poursuis ce que je fuis et qui fait ma ruine ;
plus que moi-même j’aime mon ennemi ;
de mets amers je ne cesse d’avoir faim ;
je veux être libre et aime la servitude. »
« J’ai recherché toujours la solitaire vie
(les rivages le savent, les champs et les bois)
afin de fuir ces esprits sourds et louches
qui du chemin du ciel sont fourvoyés »
« Sur aucun toit jamais aucun moineau,
En aucune forêt aucune bête
Ne furent seuls autant que moi, qui ne vois plus
Ce beau visage, seul soleil que je connaisse,
Sul objet que mes yeux puissent vouloir.

Et des larmes sans fin sont mon seul plaisir,
Le rire m’est tristesse. Me nourrir,
C’est absinthe et poison. La nuit m’angoisse,
Le ciel le plus serein ne m’est que ténèbre,
Mon lit se voit le champ d’une bataille. »