Fiche de lecture
Le Cid, Pierre Corneille
Contexte

C’est le 7 janvier 1637 que Le Cid est joué pour la première fois sur la scène du théâtre du Marais à Paris, Corneille est alors âgé de trente ans. Cette pièce remporte un succès immédiat et propulse Corneille vers la notoriété. Elle est d’ailleurs présentée trois fois au Louvre devant le roi Louis XIII et sa cour et deux fois chez Richelieu, ministre du royaume. Le 27 janvier 1637, le roi accorde des lettres de noblesse à Corneille, bien qu’il soit né bourgeois, ce dernier se voit anobli. Le Cid est le chef-d’œuvre de Corneille car il devient la plus célèbre illustration du genre de la tragi-comédie.

Le Cid est la neuvième pièce de Corneille. Elle est inspirée du dramaturge espagnol Guillen de Castro qui avait publié en 1618 Les Enfances du Cid, narrant la vie de Rodrigue et Chimène qui sont inspirés d’un couple qui a réellement existé. Cette source fera naître l’épisode de « la querelle du Cid » (ne pas confondre avec celle des Anciens et des Modernes à la fin du même siècle) en mars, posant les limites entre plagiat et réécriture d’une œuvre.

Personnages

Don Diègue : Agé d’une soixantaine d’années, Don Diègue est le père de Rodrigue. C’est l’ancien chef des armées, récemment nommé précepteur du prince et devenu noble intransigeant qui ne supporte pas « le soufflet » que son rival, le comte Don Gomès, lui inflige. Mais trop affaibli par l’âge, il ne peut se venger et se révèle être un père pathétique en demandant à son fils de laver cet affront à sa place.
Don Gomès : Agé d’environ 40 ans, le comte Don Gomès est un noble qui a succédé à Don Diègue en tant que chef des armées. Orgueilleux et violent, il se contredit la décision du Roi qui vient de nominer Don Diègue en tant que précepteur du prince. Il est le père de Chimène.
Rodrigue : Agé de 18 ans, il est le fils de Don Diègue. Il est la figure même du héros cornélien : jeune, valeureux, loyal, il est aussi le fiancé de Chimène. C’est un fils obéissant qui venge son père en tuant Don Gomès. Il est le Cid (surnom militaire qui apparaît dans le dernier acte).
Chimène : Agée de 16-18 ans, c’est la fille du comte Don Gomès. Elle est partagée entre sa passion, son amour pour Rodrigue, et son honneur, son devoir envers son père : c’est un personnage passionné, déchiré par un « dilemme cornélien » (amour vs devoir).
Dona Urraque : L’Infante d’Espagne est la fille de Don Fernand. Elle est secrètement amoureuse de Rodrigue et tente de renier ses sentiments à plusieurs reprises.
Don Fernand : Il est le premier Roi de Castille.
Don Sanche : Amoureux de Chimène, il devient son amant lorsqu’elle se sépare de Rodrigue et se porte volontaire pour venger la mort de Don Gomès.
Elvire : Elle est la gouvernante et la confidente de Chimène.
Léonore : Elle est la gouvernante et la confidente de l’Infante, Dona Urraque.
Don Arias et Don Alonse : Ils sont des gentilshommes castillans.

Thèmes

L’honneur familial : Les règles et la morale aristocratiques imposent la loi de l’honneur. Un affront ne peut jamais resté impuni, c’est l’honneur ou la mort.
L’amour contrarié : Rodrigue et Chimène s’aiment mais s’opposent par devoir. Ils choisissent l’honneur plutôt que la passion.
Le dilemme entre raison et passion : Les personnages sont confrontés dans l’intrigue à un dilemme entre leur désir et leur devoir. L’exemple de l’Infante illustre ce propos : elle aime Rodrigue secrètement mais son statut de princesse l’empêche d’exprimer son amour.
L’héroïsme : Rodrigue et Chimène deviennent des héros pendant la pièce. Leur héroïsme est caractérisé par le courage, la générosité, la vertu et le dépassement de soi.
Tragi-comédie et tragédie : Le Cid possède une intrigue tragique (aristocratie, registre pathétique) dont le dénouement est reporté. Corneille requalifiera plus tard sa pièce de tragédie.

Résumé

Le Cid est une tragi-comédie du XVIIe siècle écrite en alexandrins (vers en douze syllabes) qui se déroule en Espagne à Séville.

Cette pièce en cinq actes raconte l’histoire de l’amour de deux jeunes nobles (Rodrigue et Chimène), contrarié par la querelle de leurs pères (Don Diègue et Don Gomès). Malgré un début tragique, avec la mort de Don Gomès, l’issue de la pièce est heureuse puisque l’union des amants est finalement reportée.

Acte I

Scène 1

La scène d’exposition s’ouvre avec Chimène qui apprend de sa gouvernante, Elvire, que son père, Don Gomès, consent à son union avec Rodrigue. Chimène aime Rodrigue depuis longtemps en secret et se réjouit de la nouvelle. Mais à la fin de la scène, elle s’inquiète, doute, et pressent un malheur.

Scène 2

En miroir, la deuxième scène présente l’Infante d’Espagne, Dona Urraque, qui, également, aime Rodrigue depuis longtemps en secret. Elle confie ses souffrances à sa gouvernante, Léonore : en tant que princesse elle ne peut épouser Rodrigue, car il n’est ni prince ni roi.

Scène 3

Cette scène présente « un coup de théâtre » : Don Diègue est désigné comme nouveau précepteur militaire du prince par le Roi Don Fernand. Cette nouvelle surprend Don Gomès, qui lui aussi souhaitait accéder à ces fonctions. Ce dernier prend à partie son rival, Don Diègue, et l’humilie en lui donnant un « soufflet » (gifle du revers de la main) : un affront terrible. Don Diègue, âgé, tente de tirer son épée en vain. Don Gomès se retire en raillant le vieillard.

Scène 4

C’est un monologue pathétique de Don Diègue qui est resté seul et se lamente sur son impuissance. Mais cet affront ne peut rester impuni : au nom de l’honneur familial, c’est son fils Rodrigue qui devra le venger.

Scène 5

Don Diègue s’empresse d’aller trouver son fils, Rodrigue, pour lui raconter l’affront qu’il vient de subir. Il prend soin de ne pas mentionner le nom de son agresseur dans son récit. Indigné, Rodrigue propose naturellement de venger son père et apprend finalement qu’il doit provoquer Don Gomès, le père de sa promise.

Scène 6

C’est un monologue de Rodrigue qui est abasourdi par l’engagement qu’il vient de prendre : il hésite entre son devoir envers son père et son amour pour Chimène. Finalement, il prend conscience qu’il doit se résoudre à venger son père car Chimène ne peut, de toute façon, aimer un lâche.

Acte II

Scène 1

Don Arias, envoyé par le Roi, tente de convaincre Don Gomès de s’excuser auprès de son rival. Mais Don Gomès refuse immédiatement par orgueil et se moque des menaces qui pèsent sur lui, croyant ses services indispensables au Roi et menaçant à son tour de se rebeller.

Scène 2

Rodrigue provoque Don Gomès en duel : mais il est moins expérimenté que le comte et ce dernier l’évite dans un premier en cherchant à le décourager :

« DON GOMÈS :
Es-tu si las de vivre ? »

Mais son arrogance ne fait qu’attiser la colère de Rodrigue :

« RODRIGUE :
Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend pas le nombre des années. »

« RODRIGUE :
À qui venge son père, il n’est rien d’impossible ;
Ton bras est invaincu, mais non pas invincible. »

« RODRIGUE :
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »

Scène 3

L’Infante tente de réconforter Chimène qui vient d’apprendre l’affront lancé par son père. Elle ignore cependant que ce dernier est en train de se battre contre Rodrigue.

Scène 4

Un page fait irruption et informe les deux femmes que l’on a vu Rodrigue et Don Gomès s’éloigner du palais en se querellant. Chimène se lance à leur poursuite.

Scène 5

L’Infante fait part à sa gouvernante de son espoir insensé : si Rodrigue parvient à triompher de Don Gomès, cela peut être le début de nombreux exploits héroïques qui le rapprocheront du statut royal ; et peut-être qu’elle pourra finalement l’épouser. Mais sa gouvernante la rappelle à la réalité.

Scène 6

Don Arias raconte au Roi sa tentative de raisonner Don Gomès et l’échec qui s’en suit. Don Sanche tente d’excuser l’attitude de Don Gomès mais le Roi le réprimande immédiatement et s’apprête à rendre sa sentence face à cette insubordination. La scène est interrompue par une nouvelle : les Maures (Arabes) s’apprêtent à envahir le royaume. On double donc la garde.

Scène 7

On apprend la mort de Don Gomès.

Scène 8

Chimène doit réclamer à son tour la mort de l’assassin de son père, c’est-à-dire de son fiancé : dans un puissant réquisitoire, elle démontre au Roi en quoi il a mis le pays en danger en tuant son chef des armés. Mais Don Diègue endosse aussitôt l’entière responsabilité des actes de son fils et implore le Roi. Ce dernier s’octroie un délai de réflexion.

Acte III

Scène 1

Rodrigue se rend chez Chimène dans l’espoir de s’expliquer mais Elvire lui conseille de ne pas chercher à revoir sa maîtresse.

Scène 2

Au même moment, Don Sanche s’entretient avec Chimène et lui propose de venger son honneur en tuant Rodrigue. Mais Chimène décline son offre et préfère s’en remettre à la justice du Roi. Don Sanche s’éclipse.

Scène 3

Chimène fait alors part de ses tourments à Elvire : bien que Rodrigue ait tué son père, elle continue de l’aimer. Cependant son devoir lui impose de réclamer sa tête. Sitôt sa vengeance satisfaite, elle projette de se donner la mort.

Scène 4

Scène centrale de la pièce : Rodrigue se présente devant Chimène, voulant recevoir la mort de sa main. Elle refuse, ne voulant devenir son bourreau. Rodrigue explique alors sa situation, que Chimène admet : c’est pour rester digne d’elle qu’il a accompli son devoir. Mais en accomplissant son devoir, Rodrigue, involontairement, contraint Chimène à accomplir le sien à son tour.

« CHIMÈNE :
Tu n’as fait que le devoir d’un homme de bien ; »

S’ensuit un dialogue élégiaque entre les deux amants contrariés traduisant l’impasse tragique dans laquelle ils sont plongés et expriment (symétriquement) leur regret mutuel.

Scène 5

C’est un monologue de Don Diègue construit en deux temps : d’abord il se réjouit de voir sa vengeance satisfaite puis il s’inquiète de l’avenir de son fils, en proie aux représailles des amis Don Gomès.

Scène 6

Rodrigue retrouve son père : Don Diègue l’acclame pour son exploit mais son fils y est indifférent et lui fait part de son désespoir d’avoir à jamais perdu son amour ; il ne pense qu’à mourir. Son père lui propose alors d’aller combattre les Maures proches de Séville : soit il meurt glorieusement au combat, soit il gagne l’indulgence du Roi et devient le héros qui a repoussé l’ennemi. Dans ces circonstances, il pourra peut-être être à nouveau digne de l’amour de Chimène. Il part donc combattre avec une troupe armée.

Acte IV

Scène 1

Chimène apprend d’Elvire l’héroïque victoire de Rodrigue sur le Maures : non seulement il les a mis en déroute mais en plus il a capturé leurs deux chefs. Néanmoins, Chimène ne renonce pas à sa vengeance.

Scène 2

Entre alors l’Infante, qui tente de convaincre Chimène d’oublier Rodrigue car il est devenu indispensable à la victoire de la Castille. L’Infante entrevoit son rêve insensé se réaliser.

Scène 3

Rodrigue rentre au palais où il est accueilli par le Roi qui l’honore du surnom de Le Cid (en arabe Sidi signifie Seigneur). Ce surnom, ce sont les chefs Maures qu’il a capturé qui le lui ont attribué en reconnaissant leur défaite. Rodrigue se lance alors dans le récit épique de la bataille.

Scène 4

Aussitôt son récit terminé, Rodrigue est contraint de quitter les lieux car on annonce la venue de Chimène. Contrarié, le Roi demande à ses sujets de feindre la tristesse. Le Roi compte mettre les sentiments de Chimène à l’épreuve.

Scène 5

Le Roi piège Chimène en lui disant que Rodrigue a succombé à ses blessures après la victoire : Chimène est violemment touchée par la nouvelle. Le Roi, interprétant sa réaction comme une preuve de son amour pour Rodrigue, lui révèle la vérité : Rodrigue est toujours en vie. Mais Chimène ne se rétracte pas : sa défaillance serait due à l’injustice de voir l’assassin de son père échapper à sa vengeance. Elle demande alors à ce qu’un duel soit organisé : elle épousera celui qui terrassera Rodrigue. Mais le Roi n’est pas dupe et change cette dernière règle : à l’issue du duel, elle épousera le vainqueur. Don Sanche qui l’aime propose de combattre en son nom.

Acte V

Scène 1

Rodrigue se rend chez Chimène une nouvelle fois : il lui explique qu’il se laissera tuer par respect et par amour pour elle. Chimène tombe alors son masque et admet ne pas vouloir épouser Don Sanche qu’elle déteste. Elle souhaite en réalité que Rodrigue gagne le duel. Rodrigue éprouve un grand soulagement.

Scène 2

C’est dans un long monologue pathétique que l’Infante renonce à Rodrigue. Elle explique d’abord que Rodrigue est bel et bien digne d’être Roi et que leur différence de statut n’est plus un obstacle à son rêve. Ensuite, elle se résigne face à la réalité : l’obstacle infranchissable à leur union est l’amour mutuel et puissant que partagent Chimène et Rodrigue. Elle étouffera donc sa passion.

Scène 3

L’Infante confie son renoncement à sa gouvernante, Léonore, qui l’encourage dans ce sens.

Scène 4

Chimène quant à elle exprime ses inquiétudes à sa gouvernante, Elvire : si Don Sanche gagne, elle est vouée à épouser un homme qu’elle n’aime pas ; si Rodrigue gagne, elle épousera l’assassin de son père.

Scène 5

Coup de théâtre : Don Sanche apporte son épée à Chimène. Sans lui laisser le temps de parler, elle le maudit, le croyant vainqueur, et clame son amour pour Rodrigue.

Scène 6

Chimène se présente devant le Roi, voulant justifier sa conduite : tant que Rodrigue était en vie, son devoir était de le poursuivre. À présent qu’elle le croit mort, elle peut le pleurer sans déshonneur. Elle prévoit de laisser ses biens à Don Sanche et demande à se retirer dans un couvent. Le Roi révèle alors que Rodrigue n’est pas mort et laisse Don Sanche s’expliquer : Rodrigue l’a en fait désarmé puis lui a demandé d’apporter son épée à Chimène. Le Roi pousse Chimène à épouser Rodrigue.

Scène 7

Rodrigue ne veut contraindre Chimène à l’épouser et lui demande de décider du sort de sa vie. Chimène avoue ne pouvoir le haïr et sollicite un délai de convenance au Roi. Celui-ci accepte et envoie Rodrigue combattre les Maures en attendant que la peine de Chimène s’apaise. Quand Rodrigue reviendra glorieux, il épousera Chimène.

Citation

« DON DIÈGUE :
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie »

Acte 1, scène 4
« RODRIGUE :
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu ! l’étrange peine !
En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène ! »

Acte 1, scène 6
« RODRIGUE :
Ô miracle d’amour !
Chimène :
Ô comble des misères !
Rodrigue :
Que de mots et de pleurs nous coûterons nos pères !
Chimène :
Rodrigue, qui l’eût cru ?
Rodrigue :
Chimène, qui l’eût dit ?
Chimène : Que notre heur fût si proche et sitôt se perdit ? »

Acte 3, scène 4 : Dialogue construit en symétrie
« CHIMÈNE :
 Va, je ne te hais point. »

Acte 3, scène 4 : la litote (dire l’inverse de ce que l’on pense) de Chimène.