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Qui je fus, Henri Michaux
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Fiche de lecture

Contexte

Dans les années 1920, Henri Michaux a participé à la vie littéraire d’avant-garde de Paris et, marqué par la découverte de Lautréamont, s’est tourné vers l’écriture après quelques années passées à voyager en tant que matelot. Avant Qui je fus, il avait publié Les Rêves et la Jambes quatre ans auparavant. Il s’agit donc ici de son deuxième livre, et Henri Michaux, bien qu’il ait quelques amitiés littéraires, est encore inconnu du public.

Publié dans la collection « Une œuvre, un portrait », le livre devait s’orner, comme tous ceux de la collection, d’un portrait de l’auteur, ce que Michaux a essayé d’éviter. Ce refus de sa propre représentation est conforme aux textes de ce recueil, qui semblent chercher à évacuer le « moi ».

Michaux n’accepta jamais de republier ses écrits d’avant 1928, bien que ce recueil soit déjà à la hauteur de l’écrivain qu’il deviendra ensuite, tant par le style que par ses thématiques. Seuls quelques poèmes seront repris dans L’Espace du dedans.

Henri Michaux

1927

Qui je fus

Genre

Poésie

Thèmes

Le travail sur la langue : Les textes rassemblés ici, et qui forment un ensemble disparate sans volonté visible de construction, reflètent avant tout un travail non pas sur le style mais sur la langue. Michaux montre en effet, de façon plus évidente car plus concentrée que beaucoup d’autres auteurs, que la poésie consiste en un battement, une série de pulsations qui viennent du corps et de la langue.

Le double : On trouve déjà dans ce recueil des thématiques présentes dans le reste de l’œuvre de Michaux.
La première, qui donne son titre à l’ensemble, est celle du double, qui court tout le long du recueil. Il y a dans l’individu un autre, mais la sensibilité de Michaux brouille assez les repères pour qu’on ne sache pas si ce n’est pas cet autre qui est réel, et si le moi n’est pas l’intrus. Plus exactement, chaque être se trouve assez dédoublé ou diffracté pour que la question de l’identité, rendue si problématique, devienne un problème poétique et non plus philosophique.

Le voyage : Ces textes sont déjà traversés par l’idée des voyages, ici voyages imaginaires ou intérieurs comme le déplacement des villes dans les airs ou les promenades de l’âme hors du corps. Même dans l’immobilité, l’écriture et la pensée de Michaux semblent toujours entreprendre un voyage merveilleux. Ce sens du déplacement le rapproche du surréalisme, dont certains textes sont très proches : ainsi ces fragments présentant une scène du quotidien (un repas au restaurant, une porte que l’on ouvre) et qui soudainement se transforment en une action épique. Ce qui le distingue des surréalistes cependant, c’est peut-être justement cette inspiration trouvée dans les voyages plutôt que, comme les surréalistes, dans les rêves.

Résumé

Le recueil se compose de dix parties autonomes.

Qui je fus

Les différents « qui je fus », c’est-à-dire les différentes personnes que l’auteur a été, viennent lui rendre visite, le déconcentrent, et chacun insiste pour écrire un texte correspondant à sa conception de la vie. Il y a d’abord le matérialiste, puis le religieux et enfin le sceptique. Chacun supplie alors l’auteur : « Publie-moi, je te prie » et donne comme raison « Je ne veux pas mourir. »
L’auteur voudrait se débarrasser de cette foule du passé qui l’empêche d’être ce qu’il doit être dans le présent. Il conclue : « On n’est pas seul dans sa peau. »

Énigmes

Cette partie présente, dans de très courts textes, une galerie de personnages énigmatiques, soit par leurs métamorphoses, soit au contraire par leur immobilité. Ces textes constituent souvent de mini-histoires fantastiques.

Partages de l’homme

Cette partie se compose de courts textes qui tous traitent du rapport entre l’âme et le corps. L’âme est présentée comme une substance autonome du corps, capable de s’en extraire lors de circonstances extraordinaires, comme la perte de conscience ou la proximité de la mort. La mort est l’état dans lequel l’âme existe sans le corps.

Villes mouvantes

Un jour, des bandes d’écorce terrestre se détachent de la Terre et dérivent à une vitesse d’environ 20 km/heure. Des villes entières se trouvent ainsi séparées du reste du monde, et essaient de communiquer avec les villes qu’elles rencontrent parfois en chemin. Il y a aussi des forêts ou des mers, désormais privées d’eau, qui volent ainsi au-dessus de la Terre.

Prédication

Sous ce titre sont regroupés des proverbes, maximes ou morales de tonalité absurde.

Principes d’enfant

Ces très petites fables ou observations transcrivent la logique du monde telle qu’un enfant peut la concevoir. Il y est par exemple affirmé : « Les poules ne pondent pas d’œufs. Personne n’en pond ; elles les déterrent. »

Adieu à une ville et à une femme

Dans cette adieu à une femme, dont on ne sait rien sinon qu’elle est uruguayenne, et à la ville de Purkey, l’auteur évoque également son goût des voyages.

L’Époque des illuminés

Dans ce texte qui, par son ton, se tient à mi-chemin entre la prophétie et la description d’une utopie, l’auteur évoque un avenir soudain et hors norme, dans lequel tous seront arrachés à leurs activités. Il y a deux sortes d’avenirs, explique Michaux : « l’un qui n’apporte rien : c’est une simple allonge, et il entre tout de suite dans le Passé dont il était le bout du manche ; mais de temps à autre vient tout de même cet avenir tant attendu, le vrai. »

Poèmes

Les poèmes de cette section ont en commun un jeu sur les sonorités et un usage virtuose de mots inventés et transformés. Il s’agit donc d’un travail sur la langue, c’est-à-dire d’un travail proprement poétique, qui exprime grâce au langage des pulsions ou des états du « moi . Il faut donc que le poète invente sa propre langue, une langue pleine d’humour, dans laquelle la progression des phrases est guidée par les analogies phonétiques plus que par le sens.

Fils de morne

Brutalement apparaît une maladie qui rend les hommes muets et qui peu à peu contamine presque toute la Terre. Les hommes sont alors sans énergie, presque sans vie, et ont le visage totalement dépourvu d’expressions. Scientifiques et inventeurs cherchent des remèdes. On en trouve deux : un fauteuil, qui guérit lorsqu’on s’assoit dessus ; des parcs à gaz, qui peuvent guérir plusieurs centaines de personnes en même temps. Grâce à ces thérapies, au bout d’un an la maladie disparaît. Mais certains restent atteints : on les appelle les mornes. C’est le cas du fils de la famille Chahux. Quelques années plus tard, le fils est guéri tandis que son père est à nouveau malade. Le père aura cependant un autre fils : tout le monde se demande si cet enfant, né d’un morne, sera morne lui-même. Lorsqu’il se met enfin à parler, on comprend qu’il ne l’est pas.

Citation

« Je suis habité ; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j’éprouve une gêne comme si j’étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m’arriver que je ne m’entends plus moi-même. »

Qui je fus

« Oh ! le Passé on en fit son affaire, c’est l’avenir qui est mon tuyau crevé.
Avez-vous remarqué que ceux qui sont préoccupé de l’avenir sont presque tous des révolutionnaires ? »

L’Époque des illuminés

« et glo
et glu
et déglutit sa bru
gli et glo
et déglutit son pied
glu et gli
et s’englugliglolera

les glous glous
les sales rats
tape dans le tas !
il n’y a que le premier pas !
il n’y a que ça !
dans le tas ! »

Poèmes

« Il l’emparouille et l’endosque contre terre ; Il le rague et le roupéte jusqu’à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l’écorcobalisse.
L’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine. C’en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s’emmargine… mais en vain
Le cerveau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret. »

Poèmes