Le Petit Chaperon Rouge de Joël Pommerat
Introduction :
Joël Pommerat est un auteur dramatique et metteur en scène français né en 1963. Il a mis en scène de nombreux textes dont il est l’auteur ainsi que des réécritures de contes, notamment Le Petit Chaperon rouge (2005), Pinocchio (2008) et Cendrillon (2011). Dans ce cours, nous nous arrêterons sur l’étude du Petit Chaperon rouge, en nous demandant comment l’écriture théâtrale de Pommerat met en scène avec brio la ruse du Loup. Dans une première partie, nous nous intéresserons à la réécriture du célèbre conte. Dans une deuxième partie, nous réfléchirons à la leçon morale de l'œuvre.
Un conte mis en scène
Un conte mis en scène
Le Petit Chaperon rouge : un conte pas si classique
Le Petit Chaperon rouge : un conte pas si classique
Le conte est un genre populaire issu de la tradition orale. Retranscrit en 1697 par Charles Perrault, « Le Petit Chaperon rouge » fait partie du recueil intitulé Contes de ma mère l’Oye dans lequel l’auteur a rassemblé d’autres contes traditionnels français (comme « Raiponce » ou « Cendrillon », entre autres).
Un conte merveilleux (ou conte de fées) est un court récit de fiction contenant des éléments surnaturels (de la magie, des fées, des sorcières, des ogres…).
Comme la plupart des contes, Le Petit Chaperon rouge a évolué au fil du temps : il en existe plus de trente versions. Il a été détourné, réinterprété et modernisé (certaines de ces versions se déroulent de nos jours). Par exemple, « Le Petit Chaperon bleu marine », publié en 1977 par Dumas et Moissard dans le recueil Contes à l’envers, est une réécriture modernisée du célèbre récit : le vêtement rouge de la petite fille (désigné par l’ancien mot « chaperon ») est remplacé, comme un clin d’œil pour le lecteur, par un manteau bleu marine acheté aux Galeries Lafayette !
L’adaptation théâtrale de Pommerat permet donc de renouer avec la forme traditionnelle du conte. « L’homme qui raconte », dans la liste des personnages, est le conteur.
Ainsi, le genre du théâtre permet de dramatiser les scènes : les répliques donnent du rythme, les didascalies traduisent les sentiments des personnages et le texte offre la possibilité de différentes mises en scène.
Au théâtre, les paroles qu’échangent les personnages sont appelées répliques.
Les didascalies sont les indications en italique qui donnent des informations sur la mise en scène (entrée et sortie des personnages, ton, gestes…).
Affiche présentant la pièce de théâtre qui va être jouée
Une jeune héroïne
Une jeune héroïne
Dans la pièce de Pommerat, la liste des personnages est la suivante : la petite fille, la grand-mère, l’homme qui raconte, le loup, l’ombre et la mère. La petite fille est l’héroïne de l’histoire, comme dans le conte original mais la référence à son vêtement (le « chaperon ») disparaît du texte.
Comparons le début du conte de Perrault…
Il était une fois une petite fille de village, la plus éveillée qu’on eût su voir : sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait Le Petit Chaperon rouge.
Charles Perrault, « Le Petit Chaperon rouge », Contes de ma mère l’Oye, 1697
… et le début de la pièce de Pommerat, qui montre que la référence au chaperon a disparu :
L’HOMME QUI RACONTE. Il était une fois une petite fille qui n’avait pas le droit de sortir toute seule de chez elle, ou alors à de très rares occasions
donc
elle s’ennuyait
car elle n’avait ni frère ni sœur
seulement sa maman
qu’elle aimait beaucoup
mais ce n’est pas suffisant.
Alors elle jouait
elle jouait
elle jouait
seule
toute seule
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, 2005, Actes Sud
En ce qui concerne la mise en page du texte, on remarque que les répliques sont disposées comme des vers, avec un retour à la ligne, ce qui fait penser à la forme d’un poème. La formule traditionnelle du conte (« il était une fois ») est bien présente, ce qui rattache la pièce au conte d’origine.
Mais cet extrait montre aussi que le dramaturge choisit d’insister sur la solitude de la petite fille et sur son envie de découvrir le monde extérieur. Elle apparaît en effet dès le début de la pièce comme une petite fille qui fait preuve de curiosité, de détermination et de courage.
Dans l’extrait ci-dessous, la petite fille, qui pense souvent à sa grand-mère, aimerait beaucoup lui rendre visite. Elle demande à sa mère de l’accompagner mais celle-ci lui répond qu’il faut beaucoup marcher et qu’elle n’a pas le temps.
La petite fille répondait : mais je peux y aller toute seule !
Mais pourquoi je ne peux pas y
aller toute seule.
Je peux y aller toute seule chez ma grand-mère quand même
je suis assez grande maintenant.
Sa mère riait car elle trouvait que sa petite fille
n'est pas grande du tout
plutôt très petite même oui vraiment très petite.
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, 2005, Actes Sud
Lorsque la mère l’avertit que le chemin est long et qu’elle pourrait rencontrer des « bêtes monstrueuses » dans les bois, la petite fille répond :
Je n’aurai pas peur, répondait la petite fille en tremblant un peu.
Néanmoins, la petite fille parvient à convaincre sa mère et réussit à dépasser ses peurs face au loup. La maman la laisse partir avec un flan qu’elle a préparé pour sa grand-mère. Sans vraiment s’apercevoir qu’elle a quitté la route, la petite fille arrive dans les bois. Sa rencontre avec le loup va la mettre à l’épreuve.
Une leçon en fin de conte ?
Une leçon en fin de conte ?
Un loup rusé ?
Un loup rusé ?
Le loup est un personnage humanisé qui parle et remplace un homme. Il emploie la ruse pour tromper la petite fille ainsi que la grand-mère sur ses véritables intentions (les dévorer toutes les deux).
Lors de la rencontre avec la petite fille dans les bois, le loup met au point un plan : il arrivera le premier chez la grand-mère. Après l’avoir dévorée, il s’installe dans son lit et se fait passer pour la vieille dame. Lorsque la petite fille arrive à son tour, elle aperçoit le loup, caché sous les couvertures, la tête coiffée du bonnet de nuit de la grand-mère. Malgré sa peur, elle s’assoit près de lui.
LA PETITE FILLE. Tu as des poils un peu partout sur le corps.
LE LOUP. Tu exagères.
[…]
LA PETITE FILLE. J’entends ton cœur qui bat et quelque chose qui gronde aussi à l’intérieur.
LE LOUP. C’est le tonnerre dehors que tu entends car il va faire de l’orage.
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, 2005, Actes Sud
Le loup déguisé en grand-mère, gravure de Gustave Doré, 1867
Le loup finit par se jeter sur la petite fille. Prise au piège de l’animal, elle se laisse dévorer. On peut dire que dans le conte, tout comme dans la pièce de Pommerat, le loup symbolise le danger, la cruauté, la fin de l’innocence.
Divertir et instruire
Divertir et instruire
Le ton de la pièce est humoristique mais l'œuvre permet aussi au lecteur-spectateur de réfléchir et d’apprendre. Le Petit Chaperon rouge aborde en effet le thème des relations parents-enfants. Les trois personnages féminins (la petite fille, la mère et la grand-mère) représentent la succession des générations, la mémoire des peurs (les peurs qui se transmettent de mère en fille), et l’éducation (à travers les mises en garde de la mère). La mère est une figure protectrice mais dépassée face à une enfant qui négocie. Ainsi, la pièce s’adresse avec humour* aux enfants qui désirent s’émanciper.
À la fin de la pièce, la mère, après avoir finalement autorisé sa petite fille à s’aventurer seule dans les bois, attend son retour, inquiète :
Pendant ce temps, la maman attendait sa petite fille et commençait à se demander ce qui pouvait bien se passer. Le loup, lui, bien rempli de toute la grand-mère et la petite, décida d’aller dormir au moins plusieurs jours pour digérer de tels excès au fond du bois. En chemin, il rencontra un homme qui le trouva si gros et si lent pour une bête, que l’homme prit la décision de l’assommer pour lui ouvrir le ventre et de se rendre compte de ce qu’il pouvait bien y avoir à l’intérieur. Par chance, la grand-mère et la petite fille n’étaient pas encore mortes et elles purent ainsi être sauvées.
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, 2005, Actes Sud
Finalement, la mésaventure de la petite fille apparaît comme le symbole de son passage de l’enfance à l’âge adulte. Le conte a valeur d’initiation (elle passe d’un état à un autre par l’apprentissage, la découverte) : la petite fille grandit, dans tous les sens du terme, entre le début et la fin de la pièce :
Aujourd’hui la petite fille est devenue une grande femme comme sa maman et elle se souvient très bien de toute cette histoire. Sa maman qui est vieille habite une maison qui n’est pas très loin, ce qui est plus pratique pour se voir souvent. Quant au loup […], il a pris la décision, de toute sa vie de ne jamais plus s’approcher des grands-mères et surtout des petites filles.
Une vraiment très très sage décision.
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, 2005, Actes Sud
Conclusion :
Dans cette réécriture moderne du conte de Perrault, Joël Pommerat revisite ainsi l’histoire du Petit Chaperon rouge avec simplicité et humour, en mettant en scène les ruses du loup pour la dévorer. La pièce met l’accent sur la solitude de l’enfant, son désir de grandir et sa peur de l’inconnu, tout en conservant une forme simple et accessible pour les jeunes lecteurs. En s’éloignant de manière originale du conte traditionnel, Pommerat en fait une fable sur l’enfance, la transmission et les dangers du monde.