La poésie et les homophones : quand les poètes jouent avec les mots

Prérequis :

Introduction :

La poésie est souvent l’occasion, pour les auteurs, de s’amuser avec les mots. Dans ce cours, nous verrons quelques poèmes dans lesquels ils jouent avec les homophones, c’est-à-dire des mots qui se prononcent de la même manière mais peuvent avoir des orthographes différentes, et ne signifient pas la même chose. Nous expliquerons leur fonctionnement puis nous verrons comment cela peut créer un effet sur le lecteur.

Quatre poèmes dans lesquels les auteurs utilisent les homophones

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Citation

ODILE

Odile rêve au bord de l'île,
Lorsqu'un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile
Et, lui évitant un « ci-gît »1,
Le crocodile croque Odile.

Caï raconte ce roman,
Mais, sans doute, Caï l'invente
Odile alors serait vivante
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d'Odile, Alligue
Pour faire croire à cette mort
Se démène2, paye et intrigue
D’aucuns disent qu'Alligue a tort.

Jean Cocteau

1. Ci-gît : « ici repose » (formule sur les pierres tombales pour désigner qui est enterré)
2. Se démener : s’agiter, se donner du mal

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Citation

Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime1,
Galamment2 de l’arène à la tour Magne, à Nîmes

Marc Monnier

1. Magnanime : qui est capable de pardonner
2. Galamment : avec politesse, courtoisie

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Citation

Étonnamment monotone1 et lasse2
Est ton âme en mon automne, hélas !

Louise de Vilmorin

1. Monotone : sur le même ton, ennuyeux
2. Lasse : fatiguée, blasée

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Citation

L’AUMONYME

Les mûres sont mûres le long des murs
Et des bouches bouchent nos yeux. 
Les porcs débarquent dans des ports
D’Amérique
Et de nos pores1
S’enfuient les désirs. 

Robert Desnos

1. Pores : minuscules trous dans la peau

Comment fonctionnent ces poèmes ?

  • Dans le premier poème

Le poète joue sur le champ lexical (l’ensemble des mots qui se rapportent au même thème) du crocodile : « croquer », « crocodile », et des homophones qui, à l’oral, forment les mots, « crocodile », « caïman » et « alligator ». Il n’y a que le mot « crocodile » qui est employé entièrement :

  • « Caï » est un personnage qui ment (le caïman appartient à la famille des crocodiles) : « Caï-ment » $\rightarrow$ caïman ;
  • « Alligue » est un autre personnage qui a tort (l’alligator ressemble lui aussi beaucoup au crocodile) : « Alligue-a-tort » $\rightarrow$ alligator.

Ce poème est amusant, surtout s’il est lu et entendu par un auditeur. 🐊 Le poète n’a pas eu d’autre intention que celle-ci : faire rire, et montrer son habileté à manier la langue.

  • Dans les deux courts poèmes suivants

Les vers sont appelés « holorimes », ce qui signifie qu’à l’oral, ils s’entendent de la même manière même s’il s’agit de mots de sens différents. Si on les lit à voix haute sans faire de pause, on entend deux fois la même chose. Si le premier ne donne pas au lecteur une émotion particulière, il est surprenant car très habile.

Le deuxième fonctionne de la même manière, mais transmet une émotion particulière. L’auteure joue sur le sentiment de la tristesse ou de la mélancolie, elle qualifie « l’âme », donc ici le caractère de celui à qui elle parle, comme « monotone et lasse ». Elle regrette cela, ce que l’on comprend avec l’emploi de « hélas ».

  • Dans le dernier poème

Il utilise, dans les mêmes vers, les homophones des mots « mur », « bouche » et « port ». Le titre, « aumonyme », n’est pas un mot qui existe dans la langue française, il a été créé par l’auteur et devient un homonyme du mot « homonyme » lui-même  : il se prononce de la même manière mais ne s’écrit pas pareil.

Comment cette utilisation des homonymes produit-il un effet ?

Dans le premier poème, dès la première strophe, le mot « crocodile » est suivi du groupe verbal « [il] croque Odile ». La lecture ou l’écoute de ce poème amuse déjà le lecteur, mais le poète continue : en utilisant un personnage imaginaire prénommé « Caï », il amène son jeu de mots par étapes.
D’abord, Caï « raconte », puis il « invente », enfin il « ment », ce qui lui permet de faire entendre le mot « caïman » qui fait bien sûr penser au crocodile. Il procède de la même manière dans la dernière strophe en utilisant un autre personnage inventé, « Alligue ». On imagine dès le début de la strophe la chute, et en effet au dernier vers, on entend le mot « alligator ». 🐊

Le premier poème holorime joue sur les homonymes « arène » et « tour Magne », qui sont deux lieux touristiques de la ville de Nîmes. « L’arène » devient « la reine », « la tour Magne, à Nîmes », devient « tour magnanime ». En mettant en scène un personnage fictif, Gall, et en lui inventant une histoire, le poète montre son habileté et rend la compréhension plus facile. Le poème est plus vivant pour le lecteur.

Le second joue sur une impression de tristesse, et fait rimer « et lasse » avec « hélas ».🍂
« Mon automne » est homonyme de « monotone ». L’auteure met l’accent sur le fait que cette saison annonce l’hiver et la mise au repos de la nature ; c’est une saison monotone par rapport au printemps où tout renaît.

Dans le dernier poème, le poète nous amuse avec le premier vers où il parle des mûres, petits fruits des bois noirs, qui mûrissent le long des murs, puis il devient plus tendre en parlant de « bouches » qui « bouchent » les yeux, comme si elles les embrassaient. Le poète utilise 3 autres homonymes : port (le lieu au bord de la mer où les bateaux accostent), porc (l’animal) et pore (les petits trous dans la peau). Il imagine que les porcs arrivent, par bateau, dans des ports en Amérique. Par les « pores » de la peau « s’enfuient les désirs », signifie que toutes les envies s’échappent, même par ces minuscules trous. La répétition des homophones crée une musique qui rythme le poème, et le choix des mots donnent au lecteur un sentiment d’affection. 🚢

  • Pour amuser, émouvoir, ou pour réaliser une prouesse avec les mots, le poète peut utiliser plusieurs techniques dont l’emploi plus ou moins répété d’homophones.
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