Pourquoi un ordre politique ?

Introduction :

Selon les philosophes John Locke, Thomas Hobbes ou encore Jean-Jacques Rousseau, l’ordre politique naît de la volonté des individus d’abandonner une partie de leur liberté au profit d’une entité supérieure afin de garantir la paix entre les individus. Cette entité détient ainsi un pouvoir sur les individus qui composent la société et peut les contraindre à agir d’une manière qui permette le maintien de la paix sociale. Actuellement, ce pouvoir est incarné par l’État. Cette forme d’organisation du pouvoir politique est une construction qui se développe en Europe à partir du Moyen Âge.

Ce cours va nous permettre d’analyser le processus de création des États, en prenant comme appui la constitution de l’État français, puis nous analyserons ce que représente l’État-nation et comment est légitimé le pouvoir.

La naissance des États modernes

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Définition

État :

Selon le sociologue allemand Max Weber, l’État représente une communauté humaine qui, sur son territoire, détient le monopole de la violence légitime. Il est donc le seul à être habilité à faire usage de cette violence dans certaines circonstances déterminées.

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Définition

Violence légitime :

La violence légitime fait référence au monopole dont dispose l’État pour contraindre légalement les individus à obéir, en utilisant la force si nécessaire.

L’existence d’un État suppose que sur un territoire, il existe un ordre politique qui établisse les règles qui encadrent la liberté des individus et assure leur protection.

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Définition

Ordre politique :

L’ordre politique représente la manière dont est structurée la répartition des pouvoirs entre les différentes institutions de l’État. Cet ordre est différent de l’ordre social et de l’ordre économique.

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À retenir

L’État français, tel que nous le connaissons, s’est construit difficilement au cours de l’Histoire en unifiant autour du pouvoir central les différentes sources de pouvoir qui s’exerçaient sur le territoire français.

Au Moyen Âge le territoire français était composé de plus d’une centaine de fiefs. À cette époque, le roi exerçait son pouvoir sur une partie limité du royaume, le domaine royal, et certains des seigneurs féodaux étaient bien plus puissants que lui. La féodalité se caractérise par trois éléments :

  • le pouvoir ne se différencie pas de la personne qui l’exerce, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à une institution, mais à la personne qui l’exerce ;
  • le pouvoir est fragmenté entre une multitude de centres de pouvoir indépendants ;
  • il y a peu de continuité dans le temps et l’espace : les frontières varient en fonction des guerres, mariages et successions héréditaires.

En redécouvrant les textes du droit romain, le pouvoir royal va entreprendre un processus de reconquête et d’unification du pouvoir sur l’ensemble du royaume.

Les juristes royaux, c’est-à-dire les personnes chargées d’interpréter et d’appliquer le droit, considèrent que le roi détient son pouvoir de Dieu et que, de ce fait, il ne peut être le vassal d’aucun seigneur féodal. Cela place le roi au sommet de la pyramide féodale. Les juristes royaux développent ensuite la notion de souveraineté pour légitimer le pouvoir suprême du roi sur le royaume. Selon cette notion, le roi détient le seul pouvoir légitime sur le territoire royal.

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Définition

Souveraineté :

La souveraineté se définit comme la détention de l’autorité suprême, c’est-à-dire un pouvoir absolu et qui ne dépend de personne (inconditionné).

L’unification du pouvoir en France va se poursuivre, à partir du Moyen Âge, en utilisant plusieurs biais :

  • la justice : en créant une justice royale, comme instance supérieure de justice, le roi va progressivement supprimer les compétences en matière de justice détenues par les seigneurs féodaux. De plus, la justice royale peut condamner un seigneur féodal et lui confisquer ses terres, ce qui permet d’augmenter le domaine royal ;
  • le financement de l’armée : le sociologue Charles Tilly montre que le prélèvement des impôts pour financer l’armée, qui protège les individus contre les menaces extérieures, a été un vecteur de légitimation de l’État. En effet, en consentant à l’impôt, les individus consentent à l’existence d’un pouvoir central qui a pour mission de les protéger ;
  • la Révolution française : en abolissant les privilèges, elle contribue à la centralisation du pouvoir. En effet, en abolissant les trois ordres (le clergé, la noblesse et le tiers état), la Révolution supprime les sources de pouvoirs dispersées entre les différents ordres. De plus, la Révolution participe au mouvement d’uniformisation de la société. Ainsi, en rendant les individus libres et les normes applicables sur tout le territoire, elle participe au mouvement d’unification du pouvoir, notamment en établissant des départements. La Révolution rompt les frontières des anciennes provinces et transfère le pouvoir à des autorités sous contrôle de l’autorité centrale ;
  • l’institutionnalisation du pouvoir : progressivement l’État va se doter d’une organisation bureaucratique composée de fonctionnaires spécialisés, recrutés en fonction de leurs compétences. Ce mode de fonctionnement de l’État empêche l’appropriation de la fonction par celui qui l’exerce, ainsi que la transmission héréditaire du pouvoir.

L’État-nation

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Définition

Nation :

« Nation » vient du verbe latin nacere qui signifie « naître ». On distingue deux conceptions de la nation.

Une conception objective : une nation est une entité abstraite composée d’individus partageant certains traits communs tels que la langue, l’Histoire, la culture et la religion. Dans ce cas l’appartenance à la nation est déterminée par l'hérédité et est indépendante des individus qui la composent.

Une conception élective : une nation est composée par l’ensemble des individus qui souhaitent vivre ensemble, quelles que soient leurs différences objectives. Dans ce cas, l’appartenance à la nation est un choix pour l’individu, et elle permet à un étranger de prendre la nationalité s’il partage le projet politique de la nation d’adoption. C’est l’approche qui est utilisée pour la nation française.

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Attention

La nation ne se confond pas toujours avec l’existence d’un État.

Ainsi, il y a des nations sans État, comme les Kurdes, et des États composés de différentes nations, comme le Royaume-Uni. Les Kurdes représentent environ 40 millions d’individus et vivent dans quatre pays différents : la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Quant au Royaume-Uni, il est composé de différentes nations : la nation anglaise, l’écossaise, la galloise et l’irlandaise du nord.

nation état L'exemple de la nation kurde et du Royaume-Uni ses première L'exemple de la nation kurde et du Royaume-Uni

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À retenir

L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 indique : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Ce qui caractérise donc la nation, c’est qu’elle détient la souveraineté. Elle seule permet de légitimer tout pouvoir sur le territoire national.

L’existence d’une nation implique, pour ses membres, la revendication d’un État propre, investi du droit de diriger et d’administrer la population sur un territoire. Cependant, l’existence d’un État peut permettre de renforcer ou créer une nation à travers l’adoption de symboles forts ou d’une politique visant à renforcer le sentiment d’appartenance à une nation. La France, à partir du XIXe siècle, est une illustration de ce mouvement de renforcement de l’idée de nation avec :

  • des symboles nationaux établis et valorisés : le drapeau, la Marseillaise, l’image de Marianne ;
  • la laïcité : en instaurant le principe de laïcité, l’État va affaiblir l’influence des revendications identitaires fondées sur la religion puisque les convictions religieuses relèvent désormais de la sphère privée ;
  • l’école : elle devient laïque, gratuite et obligatoire et participe à imposer le français comme seule langue sur le territoire, au détriment des langues régionales.

Actuellement, la France est un État-nation.

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Définition

État-nation :

État qui coïncide avec une nation par l’union entre un ensemble d’institutions, un sentiment d’appartenance commune et un territoire.

Cependant, l’État-nation est fragilisé par trois évolutions du monde.

Tout d’abord par la mondialisation économique et financière : il s’agit de la construction progressive d’un marché mondial unique, sans frontières, dans lequel les règles du marché s’imposent aux acteurs, notamment à l’État. Ce phénomène réduit le pouvoir organisateur de l’État et se traduit par un recul de l’intervention de l’État pour réguler les comportements économiques.

Ensuite, par les transferts de compétences aux instances supranationales, comme l’Union européenne. En effet, le droit européen prime sur le droit national des États membres et enlève à l’État le pouvoir souverain de décider seul dans certains domaines.

Et enfin par la montée des revendications communautaires. La montée du nationalisme vise à recentrer l’idée de nation sur sa conception objective et à exclure de la nation les individus qui sont différents en raison de leur langue, de leur culture ou de leur religion. À cela s’ajoutent des revendications régionales qui fragilisent l’unité de l’État, comme par exemple les revendications en Corse, en Catalogne ou en Écosse.

La légitimité du pouvoir

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Définition

Pouvoir :

Le pouvoir est, selon le sociologue allemand Max Weber, « toute chance de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ; peu importe sur quoi repose cette chance ».

De cette définition, on peut déduire que pour qu’un pouvoir puisse exister, il faut qu’il y ait une relation sociale (au moins deux individus) dans le cadre de laquelle un individu impose sa volonté à un autre et contraint celui-ci à agir d’une certaine manière. En effet, comme l’indique le politiste américain Robert Alan Dahl, « A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action Y que ce dernier n’aurait pas effectué autrement ».

Max Weber distingue domination et puissance.

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Définition

Puissance :

La puissance représente la situation dans laquelle la soumission est imposée, souvent par la force physique, comme cela peut être le cas dans les régimes totalitaires.

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Définition

Domination :

La domination représente la situation dans laquelle les individus reconnaissent la légitimité du pouvoir qui s’exerce sur eux.

Weber distingue trois sources d’autorité qui légitiment le pouvoir de celui qui l’exerce :

  • l’autorité traditionnelle : elle repose sur le respect de la coutume et de la tradition, qui sont les sources du pouvoir du chef traditionnel. Par exemple, la monarchie reposait sur cette légitimation, car le détenteur du pouvoir était désigné par hérédité, dans le respect des coutumes et traditions en vigueur ;
  • l’autorité charismatique : elle repose sur l’attachement des individus à la personne propre de celui qui représente l’autorité, en raison de ses qualités extraordinaires ou de son caractère exemplaire. De Gaulle est un exemple d’autorité charismatique ;
  • l’autorité rationnelle légale : elle repose sur la croyance dans la validité légale des normes qui désignent le titulaire du pouvoir. Les individus obéissent aux institutions et aux règles qui organisent la désignation du détenteur temporaire du pouvoir. Le président de la République, actuellement, correspond à cette forme de légitimation.

Comme nous l’avons vu, l’État va chercher à légitimer son pouvoir en renforçant l’idée de nation afin de créer une unité du peuple autour de l’État. L’historien Eric Hobsbawm considère même que l’idée de nation est un mythe construit par l’État pour imposer sa légitimité sur un territoire en unifiant les références identitaires. Cette légitimation peut prendre appui sur :

  • le passé : en prenant appui sur les traditions et en glorifiant une image du passé, l’État peut renforcer le sentiment de cohésion nationale. Par exemple, en mettant en avant et en glorifiant les acquis de la Révolution, on participe à donner aux Français l’impression d’appartenir à une « grande nation », et qu’ils doivent défendre les principes issus de celle-ci ;
  • le présent : les évènements présents peuvent renforcer le sentiment de cohésion nationale. Ainsi, les exploits sportifs unissent les individus derrière l’équipe. Ces exploits peuvent être récupérés par l’État afin de renforcer sa légitimité, comme par exemple lorsque la France a gagné la Coupe du monde de football en 1998, ou lors de la Coupe du monde de rugby de 1995 : la victoire de l’Afrique du Sud permit d’unir, au moins pendant un temps, les différents groupes ethniques autour de l’équipe nationale.

Conclusion :

L’État français est le fruit d’une longue lutte pour unifier le pouvoir politique. Ce processus s’est appuyé sur la construction d’une identité collective unique, la nation française. Actuellement la nation est la seule à détenir la souveraineté et c’est d’elle que toutes les formes de pouvoir sur le territoire national obtiennent leur légitimité.