« Quand mes yeux, laissant l’image dans l’étang, se relevèrent vers la maison elle-même, une étrange idée me poussa dans l’esprit — une idée si ridicule, en vérité, que, si j’en fait mention, c’est seulement pour montrer la force vive des sensations qui m’oppressent1. Mon imagination avait si bien travaillé, que je croyais réellement qu’autour de l’habitation et du domaine planait une atmosphère qui lui était particulière, ainsi qu’aux environs les plus proches, — une atmosphère qui n’avait pas d’affinité2 avec l’air du ciel, mais qui s’exhalait3 des arbres dépéris4, des murailles grisâtres et de l’étang silencieux, — une vapeur mystérieuse et pestilentielle5, à peine visible, lourde, paresseuse et d’une couleur plombée6.
Je secouai de mon esprit ce qui ne pouvait être qu’un rêve, et j’examinai avec plus d’attention l’aspect réel du bâtiment. Son caractère dominant semblait être celui d’une excessive antiquité. La décoloration produite par les siècles était grande. […] À part cet indice d’un vaste délabrement7, l’édifice ne donnait aucun symptôme de fragilité. Peut-être l’œil d’un observateur minutieux aurait-il découvert une fissure à peine visible, qui, partant du toit de la façade, se frayait une route en zigzag à travers le mur et allait se perdre dans les eaux funestes8 de l’étang. »_
Edgar Allan Poe, La Chute de la maison Usher, 1884
1 Oppresser : gêner la respiration.
2 Affinité : ressemblance, correspondance
3 S’exhaler : se dégager, se répandre
4 Dépéri : desséché
5 Pestilentiel : qui répand une odeur infecte
6 Plombé : grisâtre
7 Délabrement : dégradation, mauvais état
8 Funeste : qui annonce la mort ou qui porte le malheur
Citez la phrase qui exprime l’impression étrange vécue par le narrateur.