Corrigé Bac Sujet bac – annale géopolitique – 2025 jour 1 – Amérique du Nord – corrigé – étude de documents

BACCALAURÉAT GÉNÉRAL

SESSION 2025 – Amérique du Nord – jour 1

HISTOIRE-GÉOGRAPHIE, GÉOPOLITIQUE et SCIENCES POLITIQUES

Durée de l’épreuve : 4 heures

L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.

Étude critique de document

Mémoires et histoire d’un conflit : la guerre d’Algérie

En analysant le document et en vous appuyant sur vos connaissances, vous présenterez les enjeux historiques et mémoriels de la guerre d’Algérie.

Introduction :

Le document est un extrait du rapport remis par l’historien français Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie (1954-1962), au président de la République française Emmanuel Macron, le 20 janvier 2021. Comme son intitulé l’indique, il a pour sujet « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Lui-même né en Algérie à l’époque de la colonisation française, Benjamin Stora, auteur d’un ouvrage de référence sur la question, La gangrène et l’oubli (1991), avait été chargé de ce rapport par le président de la République en juillet 2020, afin de contribuer à l’apaisement des mémoires de la guerre d’Algérie.

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Astuce

Dans une étude critique de document, il est indispensable de mettre en évidence l’intérêt historique du ou des documents soumis à votre analyse.

Dans son rapport, Stora met en avant les enjeux historiques et mémoriels de la guerre d’Algérie. Or, tandis que l’histoire se base sur une analyse factuelle et chronologique des événements la plus neutre possible, les approches mémorielles révèlent quant à elles des perceptions et des interprétations différentes, voire concurrentes, en fonction des souvenirs des groupes et des communautés. Les mémoires répondent donc à des enjeux particuliers.
Dès lors, nous pouvons nous demander quels sont précisément les enjeux historiques et mémoriels de la guerre d’Algérie ?
Nous analyserons les positions historiques de la France et de l’Algérie de ce conflit, afin de nous intéresser aux enjeux mémoriels de cette guerre.

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Attention

Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux différentes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve, mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées (travail sur le plan détaillé de votre rédaction).

Le positionnement historique de la France : une guerre qui n’a pas dit son nom

Benjamin Stora indique qu’en France, la guerre d’Algérie a longtemps été désignée par la périphrase « les événements d’Algérie ». De fait, même après qu’elle ait pris fin en 1962, l’État français s’est longtemps refusé à qualifier cette guerre comme telle. En effet, il a fallu attendre 1999 pour que le Parlement français décide de remplacer l’expression « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord », utilisée jusqu’alors pour désigner les « événements d’Algérie », par celle de « guerre d’Algérie ». Comme le souligne l’historien « en France, la guerre d’Algérie se lit toujours comme une page douloureuse de l’histoire récente », prise entre une part de « nostalgie » de l’Algérie française et les « hontes enfouies » d’une réalité faite aussi d’actions inhumaines (torture, exécutions, massacres…). Le silence officiel sur la part d’ombres qui entoure ce conflit explique sûrement que la guerre d’Algérie soit longtemps demeurée en marge des travaux historiques et académiques. Néanmoins, on peut nuancer quelque peu l’affirmation de Stora selon laquelle cette guerre n’a pas fait l’objet de beaucoup de travaux historiques ou de films. Outre Stora lui-même, de nombreux historiens, en France, se sont penchés sur la question de la guerre d’Algérie. D’ailleurs, cette guerre a été inscrite dans les programmes d’histoire de terminale dès 1983. De même, dès 1977, Laurent Heynemann a adapté au cinéma le livre autobiographique d’Henri Alleg, La Question, dans lequel l’auteur dénonçait les tortures subies en Algérie.

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Astuce

Dans le cadre d’une analyse de document, il est primordial de questionner ou de nuancer les propos de l’auteur du document que vous analysez à l’aide de vos connaissances, quand bien même il serait historien comme ici.

Quoiqu’il en soit, la guerre d’Algérie a longtemps suscité le malaise pour un État français gêné par sa propre position dans cette histoire coloniale et par l’image qui lui était renvoyée.

Le positionnement historique de l’Algérie : un peuple uni dans la guerre d’indépendance

En Algérie, l’histoire de cette guerre se confond aussi avec l’histoire officielle. « Célébrée comme l’acte fondateur d’une nation recouvrant ses droits de souveraineté, par une “guerre de libération” », elle est instrumentalisée par le pouvoir politique algérien, qui y puise sa légitimité. Par conséquent, elle garde également le silence sur ses propres pages sombres. Par exemple, le mouvement indépendantiste y est présenté comme parfaitement uni. L’histoire officielle omet donc « les affrontements entre les deux organisations » indépendantistes, particulièrement le massacre des membres du MNA de Messali Hadj par leurs rivaux du FLN. De même, cette histoire officielle nie les massacres perpétrés après la conclusion des accords d’Evian à l’encontre des pieds-noirs et des harkis. Au contraire, elle présente un peuple algérien unanimement engagé dans la lutte pour son indépendance.
Ainsi, il est vrai que « l’Histoire est encore un champ en désordre » concernant la guerre d’Algérie. Afin d’apaiser les mémoires de cette guerre, Benjamin Stora préconise justement, dans son rapport rendu à Emmanuel Macron, d’écrire une histoire commune entre historiens français et algériens afin de dépasser les clivages mémoriels autour de cette guerre.

Le défi des mémoires plurielles et l’importance des enjeux mémoriels dans les relations entre la France et l’Algérie

Les mémoires de la guerre d’Algérie sont plurielles. Il en existe autant de nuances que d’acteurs impliqués dans cette guerre. Rien qu’en France, on peut citer « les soldats, les pieds-noirs, les harkis ou les immigrés algériens » et tous les descendants des susnommés. Au total, selon Stora, se sont aujourd’hui en France plus de sept millions de français et de résidents qui sont concernés par ces mémoires. De plus, ces groupes qui entretiennent des mémoires souvent dissonantes sur cette guerre sont relativement bien structurés et les font vivre. Par exemple, en 1992, Bertrand Tavernier et Patrick Rotman relatent l’histoire de cette guerre à partir des témoignages d’appelés du contingent, qui précisent en être revenus traumatisés. Néanmoins, ces mémoires entretiennent parfois une nostalgie de l’Algérie française, tandis que d’autres honnissent cette époque. En effet, la mémoire est « un souvenir subjectif de ce qui a eu lieu ». Elle n’est donc pas interchangeable avec l’histoire, en ce qu’elle n’est pas objective. Cependant, « elle se développe comme porteuse d’affirmation identitaire et de revendication de reconnaissance ». De plus, ces différentes mémoires sont instrumentalisées, notamment par certains partis politiques à des fins électorales. L’extrême droite en a fait, dès la fin de la guerre, un pan important de son programme afin d’essayer de s’attacher les suffrages des pieds-noirs et de leurs descendants, voire des harkis. Ainsi, tous les groupes qui entretiennent une mémoire de la guerre d’Algérie ont eu, et continuent à avoir le sentiment de ne pas être écoutés. Dans les deux pays, le processus est le même. Ainsi, en Algérie, le parti au pouvoir et l’armée ont fait de la mémoire de la guerre d’Algérie, comme de son histoire, une rente afin de rester aux commandes du pays, ce qui ne manque pas d’avoir des répercussions sur les relations diplomatiques que ce pays entretient aujourd’hui avec la France.

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Astuce

Le rapport, dont vous avez à analyser un extrait, a été commandé à Benjamin Stora par le président de la République. Par conséquent, vous devez expliquer pourquoi ou, à minima, le replacer dans son contexte.

Lors de sa campagne électorale en 2017, Emmanuel Macron, qui n’a pas connu la guerre d’Algérie de son vivant, a qualifié la colonisation de crime contre l’humanité, suscitant une importante polémique. Par conséquent, il cherche à réconcilier les mémoires de la guerre d’Algérie, qui divisent la société française contemporaine. C’est pourquoi il a commandité ce rapport afin de dépasser ces dernières. Or, pour ce faire, il est indispensable d’écrire une histoire commune de la guerre d’Algérie, du moins est-ce la conclusion du rapport de Benjamin Stora.

Conclusion :

Les mémoires et l’histoire de la guerre d’Algérie sont clivantes au sein de la société française contemporaine et instrumentalisées sur les deux rives de la Méditerranée à des fins politiques. En commandant ce rapport à Benjamin Stora, historien lui-même né en Algérie à l’époque de la colonisation et spécialiste de la question, le président de la République vise à dépasser ces clivages. Les mémoires de la guerre d’Algérie, entretenues par des groupes concurrents et importants numériquement au sein de la société française, qui partagent tous le sentiment de ne pas avoir été entendus, divisent en effet cette dernière. Par conséquent, seule l’écriture de l’histoire de ce conflit par des historiens issus des deux rives de la Méditerranée serait susceptible de dépassionner les clivages mémoriels conflictuels au sein des sociétés françaises et algériennes et d’apaiser les relations diplomatiques entre les deux pays.