Corrigé Bac
Sujet bac ES/S - Annale français 2017 - Corrigé - Dissertation

Dissertation
Le personnage de roman se construit-il exclusivement par son rapport à la réalité ?

Lire un roman, comme regarder un film, c’est entrer dans une fiction et échapper, quelques instants, à la réalité, en se laissant emporter dans un univers imaginaire, notamment grâce à des personnages fictifs qui sont au cœur de l’action. Néanmoins, si le personnage de roman est imaginaire, il évolue dans un monde de fiction qui est, pour lui, la réalité, et par rapport auquel il se construit. Mais se construit-il exclusivement par son rapport à cette réalité, ou la fiction et l’illusion ont-ils aussi leur rôle ? Nous verrons d’abord de quelles différentes manières un personnage de roman se construit par ce rapport, puis nous analyserons le rôle plus ou moins important de son rapport à l’imaginaire.

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Astuce

Un plan en trois parties n’est pas obligatoire. Quand le sujet s’y prête, comme ici, mieux vaut une réponse bien construite en deux parties qu’un développement en trois parties peu convaincant.

Le personnage de roman se construit par son rapport à la réalité, en s’y confrontant, en l’intégrant, en la subissant ou en cherchant à la transformer.
Dans le roman d’aventure, le personnage de roman se construit en agissant face à la réalité, en l’intégrant : constamment confronté à de nouvelles situations, il s’y adapte et fait ainsi progresser l’intrigue. Ainsi dans Robinson Crusoé de Daniel Defoe, le héros se construit à travers les expériences qui lui donnent, les unes après les autres, son identité d’aventurier : le naufrage, l’installation sur l’île, la rencontre de Vendredi, etc.
À partir du XIXe siècle, avec le réalisme et le naturalisme, le personnage de roman semble se construire exclusivement par son rapport à la réalité qu’il subit, dans la mesure où il est déterminé par celle-ci. En effet, des personnages tels que Gervaise Macquart ou son mari Coupeau, dans L’Assommoir de Zola, sont victimes du milieu social dont ils sont issus et se construisent malgré eux par rapport à une réalité qui les dépasse.
Avec le roman d’apprentissage, à la même époque, le personnage évolue et se construit par rapport à la réalité en cherchant à la transformer, à la façonner à sa convenance. Ainsi, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Julien Sorel, personnage en révolte contre l’ordre de son temps, progresse dans l’intrigue grâce à ce refus initial et sa volonté de quitter sa première condition. S’il y parvient, c’est bien grâce à son regard lucide sur la réalité qui lui permet à la fois de la refuser et d’agir pour la modifier. Néanmoins, son action est motivée par un rêve, celui de réussir : ce n’est donc pas exclusivement par son rapport à la réalité qu’il se construit.

Le personnage de roman ne se construit pas exclusivement par son rapport à la réalité, mais aussi à travers son rapport à l’imaginaire, au rêve, à la fiction.
Le rapport à la rêverie et à la fiction peut participer à la construction du personnage de roman : c’est ce qui motive son action, comme dans le cas de Julien Sorel, ou ce qui le console du réel quand il n’est pas satisfaisant. Ainsi, en entrant dans un cinéma, Suzanne échappe, pour quelques instants, à son existence misérable et lui laisse entrevoir le bonheur, qu’elle ne connaît pas dans la réalité.
Le personnage d’Emma Bovary, chez Flaubert, est célèbre pour son rapport problématique avec la réalité. En effet, la jeune femme, au lieu de vivre sa vie, la rêve au travers de ses lectures de romans sentimentaux qui mettent en avant une image idéale et stéréotypée de l’amour et qui l’empêchent de percevoir le monde tel qu’il est réellement. Après s’être complu dans l’illusion, elle va connaître la désillusion et se suicider : c’est dans le rapport à la fiction qu’elle s’est construite, et la confrontation au réel, qu’elle ne parvient pas à accepter, la détruit.
Un personnage de roman peut se construire entièrement dans le rapport à l’imaginaire, au point de le substituer au réel. C’est le cas de Don Quichotte qui, dans le roman éponyme de Cervantès, perd complètement le sens de la réalité : il lutte contre des moulins à vents de La Mancha qu'il prend pour des géants, il voit des auberges comme des châteaux, des paysannes comme des princesses et veut trouver Dulcinea, femme qu'il ne rencontrera jamais, mais à qui il a juré amour et fidélité. C’est la lecture des romans de chevalerie qui a enfermé Don Quichotte dans ce monde d’illusions et de rêve. Il se construit donc uniquement à travers l’imaginaire, ce qui constitue finalement une forme de rapport au réel : celle du déni.

Qu’il s’y confronte, qu’il la subisse ou qu’il agisse pour la transformer, le personnage de roman se construit par son rapport à la réalité, parfois exclusivement, parfois de façon partagée avec le rêve qui motive l’action. Dans certains cas, le rapport à l’imaginaire semble se substituer entièrement à la réalité. Or il ne s’agit finalement que d’une forme différente de rapport à la réalité : celle d’une fuite temporaire, du refus ou du déni. Dans tous les cas, le rapport du personnage à la réalité et à l’imaginaire renvoie le lecteur à sa propre expérience et le questionne sur le rôle de la fiction dans la construction de son identité.