Corrigé Bac
Sujet bac – Humanités - 21 mars 2023 – Corrigé – Littérature

Sujet bac : annale 21 mars 2023

Épreuve d’humanités, littérature et philosophie

Essai littéraire : La littérature permet-elle de déchiffrer « l’alphabet […] de notre moi » ?

Introduction :

Quand Nietzsche prétend dans l’Aurore que « nous lisons de travers cet alphabet apparemment tout à fait lisible de notre moi », il lance un terrible défi à la littérature. En effet, la langue peut passer pour l’outil le plus fiable que nous possédions pour communiquer entre nous, mais également pour nous comprendre nous-mêmes. Or, si les mots ne révèlent que des degrés « extrêmes » et nous font passer à côté des « degrés intermédiaires », ce présupposé ne tient plus. Une telle vision limite la littérature à sa capacité d’exploration de l’imaginaire, et lui dénie toute force d’évocation du réel. Mais l’art n’a-t-il pas toujours eu la prétention de décrire ce que nous sommes ? Le langage, dès lors qu’il est mis au service de l’art littéraire, ne parvient-il pas à nous transmettre des clés sur notre vraie nature ? Écrire revient à se confronter à un manque, à un défaut du langage, pourtant il est indéniable que d’innombrables ouvrages ont une valeur initiatique. En effet, il est probable que la littérature s’emploie à déchiffrer « l’alphabet […] de notre moi » dans le but de nous connaître, mais plus encore pour nous changer.

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Astuce

Le sujet :
Même si la question est d’ordre général, et que vous allez devoir vous appuyer sur vos lectures pour répondre, n’oubliez pas de partir du texte et de la citation proposés pour présenter votre démarche.

Annonce du plan :
Dans le cadre de l’épreuve d’enseignement de spécialité, comme pour l’épreuve générale de français, il n’est pas question de rédiger les titres des parties et des sous-parties. Le correcteur doit comprendre vos enchaînements grâce à la fluidité de votre écriture et à la clarté de votre propos.

Première partie : le dicible et l’indicible

Jacques Lacan l’expliquait nettement : nous pensons et nous parlons à travers les mots des autres. Nous sommes des héritiers du langage que nous apprenons dans l’enfance. Toute parole est donc vouée à refléter une généralité et ne parviendra pas à dire le singulier, voire l’intime. Les digressions interminables du narrateur dans Jacques le fataliste de Diderot, les incapacités des personnages de Beckett à dire ce qu’ils voudraient dire, ou les points de suspension qui trouent la prose des romans de Céline mettent en évidence ces lacunes.

Le genre autobiographique rend compte de la difficulté qu’il existe à explorer le moi. Dans Si c’est un homme, Primo Lévi a cherché à rendre compte de ce que l’expérience des camps de concentration a pu faire à ceux qui l’ont subi. Mais comme Annie Ernaux ou Christine Angot ont pu l’exprimer à plusieurs reprises, l’expression exacte d’un événement traumatique dépasse souvent l’écrivain. Nathalie Sarraute, dans Enfance, se contente de fragments de souvenirs et ne s’acharne pas à recomposer des faits exacts ou à rétablir une chronologie.

Un texte est toujours sujet à interprétation, ce qui peut rendre l’expérience racontée impossible à partager. Dès lors qu’on essaie d’expliquer aux autres qui nous sommes, on se heurte à leur possible incompréhension. Rousseau s’est longtemps considéré comme un être incompris, et ses Confessions se présentent donc comme une entreprise sincère de justification de ses pensées et de ses actes.

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Astuce

Exemples :
Il n’est pas question de laisser un paragraphe sans aucun exemple. Tout argument doit être étayé. Mais à l’inverse, ne noyez pas vos idées dans des titres et des noms d’auteurs. Choisissez bien vos exemples pour qu’ils soient percutants.

Deuxième partie : la valeur initiatique de la littérature

Le style est ce qui permet à l’écrivain de faire sortir son texte du langage commun. Malgré les manques et les incapacités de la langue, un usage inédit du langage permet de déchiffrer la nature humaine. À partir de l’expérience esthétique, il est possible de tendre un miroir à ses contemporains. Si les pièces de Molière nous font rire encore aujourd’hui, c’est bien qu’elles révèlent quelque chose de juste sur ce que nous sommes.

Depuis l’âge classique, une partie de la littérature a une prétention didactique. Les contes de Perrault ou les Fables de La Fontaine affichent une morale dans le but de nous instruire et de corriger nos mœurs. Si La Bruyère s’emploie à décrire les « caractères » de la cour, c’est pour désigner les grandeurs et les bassesses de celles et de ceux qui la compose. De nombreux romans d’apprentissage, de Tristram Shandy de Laurence Sterne à la littérature de jeunesse contemporaine, en passant par les destinées hors du commun des héros de la Comédie humaine, ont comme ambition de retracer des existences entières pour que le lecteur en tire des enseignements.

L’exploration littéraire du moi a une prétention à l’universel. Mieux comprendre notre fonctionnement à travers l’écriture, c’est mieux comprendre le fonctionnement de tous les êtres humains. La littérature romantique choisissait d’exalter la destinée d’un héros pour mieux rendre compte de l’organisation de la société. « Je » et « nous » sont intriqués, comme Victor Hugo le reconnaît : « Ah ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? »

Troisième partie : des mots pour se découvrir et pour changer

Grâce à la littérature, la découverte simultanée du « je » et du « nous » prend une dimension plus profonde que celle qui se limiterait à une description du jeu social. En effet, l’écrivain s’enfonce dans nos vies intérieures. D’un certain point de vue, c’est l’acte d’écrire qui permet de savoir qui on est. Quand Christian Bobin dit « j’écris pour savoir ce que je pense », il rappelle que la littérature n’est pas forcément là pour transmettre un message, mais pour bâtir une identité.

Seule l’œuvre littéraire nous permet d’entrer avec finesse et précision dans le détail de nos émotions et de nos sentiments. L’œuvre de Proust pénètre avec une subtilité infinie dans les méandres de nos sensations et dans le mécanisme de nos pensées. Les textes autobiographiques de Colette portent une attention à la vie des sens extrêmement précise. La poésie de Ponge s’attache à décrire le contact ordinaire que nous avons avec des objets familiers. Lire ces œuvres permet de porter un regard différent sur ce qui nous entoure et sur ce que nous ressentons.

L’exploration des mouvements de l’âme par les écrivains offre la possibilité d’avoir une meilleure connaissance de nous-mêmes, et peut même nous pousser à partir à notre tour à la découverte de qui nous sommes. Tenir un journal intime revient à vouloir réfléchir à ce qui nous fait agir au quotidien. Les textes engagés qui poussent à l’action politique incitent à agir, et donc à changer sa personnalité par son acte. Le poème « Liberté » de Paul Éluard qui a été parachuté sur Paris pendant la Seconde Guerre mondiale invitait les habitants à la résistance. Le déchiffrement du moi peut donc être mis au service d’une transformation du moi.

Conclusion :

La littérature est une accumulation de signes qui peut sembler très éloignée des réalités sensibles, et incapable de dire le moi. Pourtant, elle exprime les méandres des pensées et des émotions avec tant de précision et de complexité que le lecteur peut s’identifier à ce qu’il lit. La littérature peut donc déchiffrer le moi, au moins partiellement, parfois jusqu’à le modifier.