Corrigé Bac
Sujet bac – Philosophie 2023 – Corrigé – Sujet 3

Sujet bac  : annale 14 juin 2023

Explication de texte

Sujet 3

« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que “ça peut toujours servir”. De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type. »

Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962)

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Astuce

L’introduction doit comporter 5 éléments : l’objet du texte (de quoi il parle, son thème), sa thèse (ce que l’auteur affirme à propos de l’objet du thème), la question qu’il soulève, le problème qu’il pose et les étapes de son raisonnement (qui aussi sera le plan du développement de la copie). Vous ne devez pas faire apparaître le titre « introduction » sur votre copie.

L’objet de cet extrait de La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss est le bricolage et la définition du bricoleur. La thèse qu’il défend est la suivante : contrairement à l’ingénieur qui travaille dans le cadre d’un projet à plusieurs et grâce à une formation reconnue, le bricoleur est plutôt un rêveur, seul dans son atelier, qui ne conçoit pas un objet mais, plutôt, imagine des relations entre les divers objets qu’il garde. Le texte soulève le problème de savoir si le bricoleur réalise vraiment un travail, se rapprochant ou s’éloignant de celui de l’ingénieur. La question qui se pose est donc : le bricoleur est-il comparable à l’ingénieur, juste avec un peu moins de bagage scientifique ? Au contraire, les deux activités sont-elles radicalement différentes malgré leur dimension technique commune ?
Le texte se déroule en deux temps. Dans un premier temps, du début du texte jusqu’à « antérieures », Lévi-Strauss affirme que le bricoleur n’utilise que les matériaux et les outils qui sont déjà présents dans son atelier ; contrairement à l’ingénieur, il ne produit pas ces éléments. Dans un second temps, l’auteur avance que le bricoleur n’a pas de projet précis mais juste quelque chose à faire selon le besoin ou l’envie du moment, et ce dans son atelier clos qui présente cependant une multitude de possibilités d’association des choses qu’il conserve.

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Astuce

Dans le développement de l’explication de texte, vous devez respecter trois règles :

  • faire une étude linéaire, partie après partie, phrase après phrase (suivre la logique du texte) ;
  • éviter la paraphrase que l’on repère par deux signes : elle commence souvent par « l’auteur dit que… » et ce qui est dit n’est pas plus long que le texte ;
  • donnez des exemples concrets régulièrement.

Il est à remarquer que Lévi-Strauss parle du bricoleur plutôt que du bricolage. Dans ce texte, nous sommes comme invités dans son atelier, à observer concrètement comment il travaille. Le premier constat est que le bricoleur sait faire beaucoup de choses avec ce dont il dispose : il est un « touche-à-tout », comme on dit, multitâche, capable d’un « grand nombre de tâches diversifiées ». Il n’est donc pas un spécialiste comme peut l’être un ingénieur, ingénieur textile, ingénieur informatique, ingénieur en armes nucléaires… Comme le bricoleur collecte ce qu’il trouve et conserve, il fait « avec ». Donc plus il a de matériaux et d’outils, plus ses réalisations sont variées. L’ingénieur a un « projet », un plan, il travaille « en vue de… ». Ce qu’il conçoit est présenté à des collègues, et est soumis à des exigences d’efficacité et de rentabilité. Ce que l’ingénieur conçoit et fabrique se vend ; le bricoleur ne vend pas, il ne travaille que pour lui, ses besoins et ses envies, dans un cercle fermé, en autarcie. De plus, l’ingénieur va faire produire des matériaux, des machines et des outils nouveaux. Le bricoleur fait avec de l’ancien et n’a pas de plan programmé : « il ne subordonne pas [ses tâches] à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet ». Autrement dit, il fait, comme le dit l’auteur, « avec les moyens du bord ». Pour réparer un manche de marteau, il utilisera le gaffeur qui se trouve dans tel tiroir ; pour faire tenir une clôture, il prendra du fil métallique flexible s’il en a, ou sinon, en attendant, du fil plastique. L’univers du bricoleur est comme une auberge espagnole : on n’y trouve que ce qu’on y amène, c’est-à-dire un peu de tout, d’où son caractère « hétéroclite ». Et puisque tout projet est immédiat, et non à long terme, on y trouve surtout ce qui ne sert à rien, jusqu’au moment où cela servira à quelque chose. Ainsi, ce que réalise le bricoleur est soumis à ce qu’il a conservé et est donc marqué par le « contingent », c’est-à-dire une forme de hasard de circonstance. « Contingent » signifie que le bricoleur aurait pu faire autre chose que ce qu’il a fait, si les moyens à disposition avaient été différents. Et cette contingence varie à tout moment, au fur et à mesure que son « stock » de matériaux augmente. Ce stock n’augmente pas par des achats nouveaux car le bricoleur, ici, achète le moins possible, il aime faire à l’économie : tout peut être utilisable, notamment les « résidus de constructions et de destructions antérieures », tel bout de bois qui servira bien un jour de cale, tel bout de chiffon avec lequel on s’essuiera, telle vis dont on ne sait pas d’où elle vient. À l’inverse, le travail de l’ingénieur est marqué par une forme de nécessité à la logique visible : répondant à un projet précis et validé collectivement et par une hiérarchie, l’ingénieur ne peut pas œuvrer avec des moyens pris au hasard.

La différence entre le bricoleur et l’ingénieur se reflète dans la différence du rapport entre les moyens et les buts. Pour l’ingénieur, les moyens (par exemple tel type de boulon) sont soumis au but, au « projet » (assembler telles parties de tel type d’avion) ; pour le bricoleur, le but dépend des moyens accumulés. Autrement dit, puisque « l’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet » alors son travail relève de la pure « instrumentalité », c’est-à-dire de l’ensemble varié de ses instruments possiblement efficaces, dans un monde que Lévi-Strauss compare à un « langage ». Quel langage ? Celui du bricoleur lui-même. De là, la phrase typique « ça peut toujours servir » exprime le principe même de l’économie du bricolage. Il est à remarquer que ce que nous nommons aujourd’hui « magasins de bricolage » ne répond plus guère à cette définition du bricoleur des années soixante. Désormais, le bricoleur se prend presque pour un ingénieur : il a un projet (monter une étagère) et va acheter dans telle grande enseigne de quoi faire son projet, grâce à un produit « clé en main » qui fournit les matériaux, les outils, le plan et les étape du montage. Les « vrais » bricoleurs critiquent souvent cette manière de procéder. Se pose alors, vers la fin de texte, la question de la nature des compétences du bricoleur dont les réalisations, contrairement aux produits prêts à monter qui sont tous les mêmes et portent le même nom, sont presque « particularisés ». En effet, ses éléments viennent d’ailleurs, de la récupération, mais leur agencement est personnel. La compétence du bricoleur se situe au fond entre le professionnel généraliste et le professionnel spécialiste. Il est à la fois « tous les corps d’état », un peu serrurier, un peu électricien, un peu jardinier, un peu charcutier, c’est-à-dire artisans au pluriel, et aussi spécialiste quand il réalise telle tâche, électricien quand il fixe au mur une « nouvelle » lampe de la décennie précédente, retrouvée dans son grenier. Autrement dit, la spécialité, la compétence du bricoleur est la mise en relation, réelle et possible, « concrètes et virtuelles » des éléments dont il dispose. Il réagence et améliore son intérieur en créant des combinaisons dans son atelier, là où il ne faut pas le déranger. C’est un « opérateur », c’est-à-dire une personne dont les opérations sont le produit des besoins de son monde personnel, le sien et celui de sa famille. Il ne possède pas un savoir-faire, mais son savoir-faire. Ainsi, si le bricoleur n’est pas ingénieur, il est en revanche ingénieux.