L’évolution des formes de l’action collective

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Introduction :

L’engagement collectif des citoyens n’a pas seulement lieu dans le cadre de partis politiques ou d’associations existant sur le temps long. Il passe aussi par des conflits et mouvements sociaux plus ponctuels. Nous allons voir dans une première partie que les formes de ces luttes sociales ont varié selon les contextes historiques, puis nous nous concentrerons sur leurs évolutions les plus récentes.

Les répertoires d’action collective

Grève, manifestation, pétition, boycott… il existe des façons très diverses de se mobiliser collectivement. Pour autant, elles ne sont pas infinies. C’est ce qu’a montré l’historien et politiste américain Charles Tilly qui, dans son livre From Mobilization to Revolution (1978), développe la notion de répertoire d’action collective.

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Définition

Répertoire d’action collective :

Ensemble limité de modes d’action protestataire utilisés, ou considérés comme utilisables, par les acteur·rice·s de mouvements sociaux.

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Astuce

Remarque :

Ces modes d’action peuvent donner lieu à des réadaptations partielles et des formes d’improvisation, mais il est rare qu’on en invente de nouveaux.

Nous allons voir, en nous appuyant sur ce concept, que chaque époque et chaque groupe se caractérise par des façons de protester qui lui sont propres.

Les grands répertoires d’actions collectives : l’ancien et le moderne

Les travaux de Charles Tilly sur les répertoires d’action collective soulignent que, dans les façons de protester, un changement majeur est intervenu au XIXe siècle.
Il distingue ainsi deux grands répertoires correspondant à deux époques différentes.

  • Le répertoire ancien (ou répertoire d’Ancien Régime)

Jusqu’au XVIIIe siècle, les mouvements de protestation collective étaient souvent :

  • locaux, puisqu’ils se jouaient à l’échelle villageoise et ne visaient pas le pouvoir politique central ;
  • et patronnés (rangés sous l’autorité, l’influence de quelqu’un. Il s’agit en quelque sorte de parrainage).

Les acteur·ice·s cherchaient ainsi à s’appuyer sur le soutien de notables locaux.

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Exemple

Il pouvait par exemple être question de se rendre chez le seigneur, accompagné·e·s du prêtre du village, pour négocier la baisse d’un impôt sur les récoltes.

  • Les actions pouvaient également prendre la forme de révoltes paysannes ou de détournements et perturbations de rituels (fêtes, carnavals, mariage d’un notable, etc.)
  • Le répertoire moderne

Il émerge au XIXe siècle avec le mouvement ouvrier et structure encore largement les mobilisations d’aujourd’hui. Les actions collectives de ce répertoire sont rendues possibles par le développement de moyens de communication à l’échelle nationale (presse, transports) et de syndicats.

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À retenir

Les actions collectives du répertoire moderne se caractérisent par des mobilisations au niveau national, et qui sont autonomes. C’est-à-dire qu’elles ne s’appuient pas sur le soutien des autorités traditionnelles (contrairement à celles du répertoire ancien).

marche pour le climat action collective grève manif Marche pour le climat du 21 septembre 2019 à Paris ©JeanneMenjoulet

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Exemple

Dans ce répertoire, on trouvera notamment la grève et la manifestation de rue ; mais aussi d’autres techniques d’action couramment utilisées aujourd’hui : comme la production et diffusion de tracts, les occupations de locaux.

Les groupes et leurs répertoires tactiques

Des travaux plus récents de Charles Tilly (Contentious Performances, 2008) ont mis en lumière l’existence d’un type de répertoire de taille plus réduite, propre à un groupe social : les répertoires tactiques.

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Définition

Répertoire tactique :

Ensemble limité de modes d’action protestataire utilisés ou considérés comme utilisables par les acteurs d’un groupe social ou d’un type de groupe donné (ouvrier·e·s, enseignant·e·s, étudiant·e·s, agriculteur·rice·s, militant·e·s politiques, etc.) à une période donnée.

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Attention

On prendra garde à ne pas confondre les grands répertoires d’action de l’histoire (ancien et moderne) avec ces répertoires tactiques.
Les répertoires tactiques se situent à l’intérieur d’un grand répertoire historique et sont bien plus nombreux.

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Exemple

Le blocage des routes, par exemple, peut faire partie du répertoire tactique des chauffeurs routiers ; en revanche, il y a peu de chance qu’il constitue le mode d’action des associations de parents d’élèves !
Ceux-ci préféreront mettre en place des pétitions, ou occuper des salles de classe en signe de protestation.

Les modes d’action protestataire du répertoire moderne sont couramment utilisés aujourd’hui encore.
Cependant, ils se sont enrichis depuis les années 1960 grâce à l’émergence de cycles de contestation faits de nouveaux groupes mobilisés, pour de nouveaux enjeux et de nouvelles luttes.
Les acteur·rice·s de ces nouveaux groupes usent de répertoires tactiques innovants.

Nouveaux enjeux, nouveaux acteurs, nouvelles techniques de protestation

Structure des opportunités politiques et cycles de contestation

Le sociologue américain Sidney Tarrow a construit la notion de structure des opportunités politiques (Power in Movement: Collective Action, Social Movements and Politics, 1994).
Cette notion cherche à analyser le rôle du contexte politique dans la réussite d’un mouvement social donné.

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Définition

Structure des opportunités politiques :

La « structure des opportunités politiques » désigne un ensemble de caractéristiques de la situation politique qui favorisent ou non l’émergence et la réussite d’un mouvement social.

Elles incluent notamment le degré d’ouverture des institutions politiques à une diversité de partis ou de voix, la stabilité des alliances politiques au pouvoir, et le fait, pour le mouvement social, d’avoir ou non des alliés influents proches du pouvoir politique.

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À retenir

Selon les périodes, la structure des opportunités politiques peut donc être plus favorable à certains mouvements qu’à d’autres.

Sidney Tarrow a montré que les périodes favorables peuvent générer des « cycles de contestation » ; c’est-à-dire, des périodes d’intensification de certains mouvements de contestation. Un cycle de contestation peut s’étendre sur plusieurs pays à la fois.

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Exemple

Dans la deuxième moitié des années 2010, les mouvements de lutte contre les violences faites aux femmes ont connu un regain d’activité et de médiatisation à l’échelle mondiale.
Cette vitalité s’explique en partie parce que les dénonciations publiques d’agressions ont été soutenues par des actrices connues (comme dans l’affaire Weinstein, producteur de cinéma poursuivi pour viols et agressions sexuelles) et des femmes issues de la sphère politique (comme Sandrine Rousseau, qui a dénoncé publiquement le député Denis Baupin).

Nous allons maintenant revenir sur les conséquences de cycles de contestation qui ont émergé à partir de la fin des années 1960.

Nouveaux mouvements sociaux et troisième répertoire d’action

Plusieurs sociologues, dont Alain Touraine, ont mis en évidence l’émergence, à partir des années 1960, et notamment de mai 1968, de ce qu’ils nomment les « Nouveaux mouvements sociaux » (NMS).

Pour eux, les luttes traditionnelles seraient essentiellement matérialistes, c’est-à-dire centrées sur la défense des intérêts économiques des classes populaires et des travailleur·se·s.

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À retenir

Tandis que les nouveaux mouvements sociaux (portés par des individus de classes moyenne et supérieure) défendraient des valeurs post-matérialistes, comme la liberté, l’égalité des droits, ou encore la défense d’une identité, d’une minorité.

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Exemple

Les marches des fiertés (Gay prides ou LGBTQ+ prides), par exemple, sont considérées comme des mouvements défendant des valeurs post-matérialistes.

Certains de ces NMS ont fait preuve d’innovation en intégrant de nouvelles techniques d’action dans leur répertoire tactique, recourant à des idées parfois spectaculaires pour attirer le regard médiatique.

Alt texte Le préservatif géant d’Act Up

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Exemple

En décembre 1993, des militant·e·s de l’association Act Up (lutte contre le sida) ont déroulé un préservatif géant sur l’obélisque de la Concorde, à Paris.

D’autres associations, par exemple le collectif Nous Toutes (lutte contre les violences faites aux femmes), recourent au die-in.

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Définition

Die-in :

Le die-in est une manifestation au cours de laquelle les participant·e·s se couchent au sol pour simuler leur propre mort.

Manifestation du 19 octobre 2019 organisée par le collectif Nous Toutes contre les féminicides et violences faites aux femmes suite à laquelle ont eu lieu plusieurs die-in. ©JeanneMenjoulet

Les sociologues Robin Cohen et Shirin Rai ont évoqué (dans Global Social Movements en 2000) la naissance, dans les années 1970-1980, d’un troisième grand répertoire d’action, après l’ancien et le moderne.
Ce troisième répertoire serait « transnational » et « solidariste » : c’est-à-dire qu’il impliquerait des acteur·rice·s de différents pays, souvent issu·e·s d’élites, agissant en soutien aux populations de pays en développement.

Parmi les méthodes utilisées dans ce répertoire, on trouve les concerts ou disques caritatifs et de solidarité, ainsi que la production et la publication d’expertises sur des problèmes humanitaires.

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Exemple

L’un des exemples les plus connus est celui de la chanson caritative We are the world, enregistrée en 1985 par le groupe, composé de stars de la chanson, USA for Africa.

Diversification des mouvements sociaux et maintien du répertoire moderne

Malgré ces évolutions récentes, de nombreux spécialistes des mouvements sociaux ont constaté que la majorité des actions protestataires s’inscrivent dans le cadre du répertoire moderne (deuxième grand répertoire d’action décrit par Charles Tilly).

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À retenir

Dans Stratégies de la rue, le sociologue Olivier Fillieule a démontré que la manifestation de rue restait au cœur des techniques de protestation utilisées, et que la majorité d’entre elles portaient des revendications matérialistes.

Par ailleurs, les conflits du travail ou liés au pouvoir d’achat occupent, aujourd’hui encore, une place centrale dans les mouvements sociaux.

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Exemple

C’est ce que montrent par exemple le cas des Gilets jaunes, ou le mouvement contre la réforme des retraites.

Cependant, les différent·e·s spécialistes s’accordent sur le développement, depuis les années 1970, d’un nombre croissant de collectifs, associations et acteurs de la société civile.
Ces nouveaux acteurs sont devenus eux aussi, au même titre que les syndicats, experts en mobilisations collectives.

  • Ils contribuent ainsi à enrichir le répertoire d’action moderne.

Les sociologues français Johanna Siméant et Lilian Mathieu se sont respectivement intéressés aux mobilisations de « sans » (sans-papiers, sans-domicile) et de personnes déconsidérées (prostituées par exemple). Ils ont ainsi montré que les associations venant en soutien à ces publics avaient développé une expertise en matière de mobilisation et faisaient circuler leurs techniques d’action.

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Exemple

Les collectifs de sans-papiers et les organisations de défense des prostituées ont successivement eu recours aux occupations d’églises, les associations s’influençant les unes les autres.
On peut citer entre autres exemples l’occupation en 1996 de l’église Saint-Bernard à Paris par des sans-papiers, et celle de l’église Saint-Nizier à Lyon par des prostituées en 1975.

Conclusion :

Nous avons vu que les mouvements sociaux prennent des formes diverses (manifestation, grève, occupation de locaux, die-in, etc.) et peuvent faire l’objet d’une part d’improvisation. Cependant, les acteur·rice·s qui les composent n’inventent pas quotidiennement de nouveaux modes d’action. Ils agissent généralement dans le cadre de répertoires d’action dont le nombre limité de techniques dépend à la fois de leur groupe et du contexte historique.