Le théâtre, un art de l'illusion ?

Introduction :

Le théâtre est l’un des grands genres littéraires. Du grec theatron, ce mot désigne à l’origine le lieu de la représentation théâtrale. Il vient du verbe grec theanomai, qui signifie « regarder, contempler ». Il présente des particularités en tant que genre puisqu’il renvoie à un art de la scène. Il n’est pas donc pas uniquement destiné à être lu mais aussi à être représenté. Nous verrons dans la première partie de ce cours les caractéristiques de ce genre littéraire, son vocabulaire spécifique et les registres auxquels il est associé, en particulier le comique. Dans un deuxième temps, nous envisagerons le théâtre comme un art de la scène.

Un texte littéraire

Le vocabulaire du théâtre

Le texte de théâtre est en premier lieu un texte destiné à être lu et a, comme tous les autres genres littéraires, un vocabulaire spécifique.

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À retenir

En littérature, on classe les textes selon leur forme. Chaque œuvre est classée dans une catégorie, appelée « genre littéraire ». Les trois grands genres littéraires sont le roman, la poésie et le théâtre. Chaque genre littéraire a un vocabulaire spécifique.

Dans une pièce de théâtre, le spectateur découvre l’histoire à travers les paroles des personnages, qu’on nomme répliques. Il n’y a pas de narrateur pour raconter et pour décrire comme dans les récits. Les comédiens, qui incarnent des personnages, doivent jouer et interpréter le texte devant un public. Lorsque la réplique est particulièrement longue et construite, on parle de tirade : le personnage qui parle y explique ses projets, ses problèmes, ses sentiments…

Dans la scène 16 de La Jeune fille, le Diable et le Moulin d’Olivier Py, le Prince déclame la tirade suivante. Il s’adresse à la Princesse :

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Citation

LE PRINCE — Il faut me pardonner, je ne suis né que pour deux choses : t’aimer et combattre. Je ne connais la guerre que par les jeux d’enfant. Épées de bois, chevaux de bois, sang de bois sur les armures de bois. En un jour, Dieu m’a fait deux fois homme. Tes bras cette nuit, mon armée au matin. Je suis heureux et naïf, je reviendrai heureux et sage. N’oublie pas que je suis un prince. L’absence est mon blason.

Olivier Py, La Jeune fille, le Diable et le Moulin, L’École des loisirs, 1995

La tirade, plus longue que les autres répliques, permet au Prince de se justifier auprès de la Princesse là où une réplique, plus courte, ne suffirait pas. Au théâtre, les tirades ont souvent une valeur argumentative.

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À retenir

Lorsqu’on argumente, on donne des raisons (des arguments) pour convaincre son interlocuteur. Pour cela, on doit expliquer son opinion en la justifiant.

Le plus souvent, les personnages dialoguent entre eux, et les paroles s’adressent évidemment aussi aux spectateurs qui peuvent ainsi comprendre l’intrigue. Mais un personnage peut aussi parler seul sur scène :

  • c’est ce qu’on appelle un monologue.

Dans une pièce d’Annette Béguin, intitulée Le petit chat Miroir, la Lune, seule en scène, prend ainsi la parole dans un monologue poétique et tendre :

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Citation

LA LUNE, seule. — Je suis la lune rousse, protectrice des chats. Je suis comme un chat moi aussi, roulée en boule dans le ciel. Je suis très inquiète pour Miroir. Si seulement je pouvais cesser de m’arrondir, mais la nature m’a ainsi faite que chaque mois je me gorge de miel blond jusqu’à ce que je sois toute ronde. C’est pour ce jour-là que Pineiss a préparé son couteau. Pauvre Miroir. Je suis la lune rousse qui met de la fantaisie dans la tête des gens sérieux. C’est moi, madame, qui vous fais écrire des poèmes bleus en cachette. C’est moi, monsieur, qui vous fais chanter en revenant du travail, le long du mur de l’usine où je joue avec votre ombre. Je suis la lune des chats amoureux qui courent la nuit sur les tuiles chaudes et jouent à cache-cache derrière les cheminées.

Annette Béguin, Le petit chat Miroir, 1987, L’École des Loisirs

C’est l’adjectif en italique, « seule », qui indique au lecteur qu’il s’agit d’un monologue. Ce type de parole, au théâtre, permet souvent au spectateur de rentrer dans l’intimité du personnage, comme c’est le cas ici : la Lune, personnifiée, exprime ses inquiétudes et nous livre des éléments d’autoportrait : elle s’adresse directement aux spectateurs (« madame », « monsieur ») pour se décrire, se définir (« je suis » est répété 5 fois dans le texte).

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Rappel

« Personnifier » quelque chose, c’est lui donner le caractère, l’apparence ou les sentiments d’une personne, d’un être humain.

monologue - lune - comédien - français - 6e - SchoolMouv Monologue d'un comédien sur scène, en costume de lune

L’usage du monologue au théâtre montre bien comment ce genre littéraire est un art de l’illusion : le spectateur assiste à une scène dont il accepte d’emblée qu’elle relève de la fiction et qu’elle donne l’illusion de la réalité.

  • C’est ce qu’on appelle l’illusion théâtrale.

Un autre procédé va dans ce sens : l’aparté. L’aparté est une réplique qu’un personnage ne prononce que pour lui (et le spectateur) et que les autres personnages, pourtant présents sur scène, n’entendent pas (ou plus exactement font semblant de ne pas entendre). L’aparté est souvent signalé par la formule « à part » en italique, comme dans cet exemple extrait d’une pièce de Victor Hugo, dans laquelle le personnage semble se parler à lui-même.

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Citation

Ruy Blas, tressaillant.
À part.
Ouvrir au roi ! moi !

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838

La particularité du genre théâtral (texte écrit destiné à être joué par des comédiens) impose que les acteurs sachent de quelle manière prononcer et donc interpréter ces répliques. Pour cela, l’auteur de pièces de théâtre, appelé dramaturge, rédige des indications de mise en scène, sur le jeu théâtral, qu’on nomme didascalies. Elles portent notamment sur le jeu des comédiens (les déplacements, le ton employé pour prononcer les répliques, les accessoires, le décor). Elles ne sont pas prononcées par les personnages et sont signalées en italique par le dramaturge, comme dans le cas de « seul » ou de « à part » que nous avons indiquées plus haut.

Prenons un exemple de didascalies tiré de la pièce d’Amélie Nothomb, Les Combustibles :

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Citation

DANIEL. — C’est ridicule. Vous êtes bleu de froid ! (Il fait le tour de la pièce). Où est-il ce manteau ? (Il le trouve près de la porte d’entrée et s’en empare). Ah ! Le voici.

Amélie Nothomb, Les Combustibles, 1994, Albin Michel

Dans cet extrait, les didascalies (entre parenthèses et en italique), permettent d’indiquer les déplacements et les gestes que doit effectuer le comédien sur la scène pour accompagner sa réplique.
Le genre du théâtre comporte aussi de nombreux sous-genres, dont nous examinerons ici le plus connu : la comédie.

Les différents types de comiques

Au théâtre, le comique peut être exprimé verbalement et visuellement. On peut classer ces types de comiques sous quatre rubriques, qui parfois se combinent : le comique de mots, le comique de gestes, le comique de caractère et le comique de situation.

Le comique de mots

Le comique de mots correspond à une façon de parler décalée ou incorrecte : on trouve dans ce cas de simples plaisanteries mais aussi des insultes ou des mots grossiers.
Prenons comme exemple un passage de L’Avare de Molière, dans lequel Cléante vient d’apprendre que son père Harpagon veut épouser la jeune fille qu’il aime lui-même, Marianne. Une violente dispute éclate entre le père et le fils. Les insultes fusent, pour le plus grand plaisir du spectateur :

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Citation

CLÉANTE — Oui, traître, je suis capable de faire tout cela, et je ne reculerai point dans ce que je vous dirai.
HARPAGON — Comment ! petit vaurien, tu oses parler à ton père de la sorte ?
CLÉANTE — Oui, je l’ose ; et c’est trop souffrir des tyrannies qui passent toutes les bornes.
HARPAGON — Ô ciel ! peut-on souffrir un pendard de fils pareil ? Un vaurien, un insolent, qui me manque de respect jusque-là !
CLÉANTE — Oui, vous me faites trop de tort, et je ne puis plus supporter les façons dont vous me traitez.

Molière, L’Avare, acte I scène 1

Molière - Nicolas Mignard - français - 6e - SchoolMouv Molière interprétant César dans la Mort de Pompée, portrait attribué à Nicolas Mignard, 1658, Musée de la Vie romantique, Paris

Le comique de gestes

Le comique de geste met en évidence les mouvements ou les attitudes ridicules d’un personnage : par exemple, des grimaces ou des gestes exagérés.
Dans les Fourberies de Scapin, Scapin, le valet rusé, veut se venger de Géronte, son maître. Il le fait entrer dans un sac soi-disant pour le sauver d’un faux danger… et en profite pour le frapper à plusieurs reprises sous prétexte de le protéger.

Le comique de caractère

Le comique de caractère désigne le type de comique qui permet de se moquer des habitudes ridicules d’un personnage ou de son caractère.
Par exemple, dans Le Malade imaginaire de Molière, Argan, qui est en pleine santé, est sans cesse persuadé d’être malade. Les médecins qui se succèdent à son chevet vont permettre à Molière de mettre en scène ce défaut ridicule et de s’en moquer.

Le comique de situation

Enfin, le comique de situation joue sur une situation drôle ou inattendue, ce qui permet de renforcer la complicité avec le spectateur.
Prenons l’exemple du quiproquo au théâtre. Le quiproquo est un procédé du comique de situation dans lequel un personnage prend une personne, une chose ou une situation pour une autre, ce qui entraîne un malentendu (du latin quid pro quo, qui signifie « une chose à la place d’une autre »).
Ainsi, dans Le Médecin malgré lui, à la scène 4 de l’acte II, Lucinde feint d’être malade pour échapper à un mariage imposé. Son père, Géronte, appelle un médecin. Par un concours de circonstances, Sganarelle, un simple bûcheron, est pris pour un médecin. Il décide de jouer le jeu pour profiter de la situation. Le quiproquo repose sur le fait que tout le monde le prend au sérieux, alors qu’il improvise complètement.

En résumé, la comédie est un divertissement qui repose sur le jeu : l’illusion théâtrale est mise au service du plaisir du lecteur, qui doit s’amuser des performances des comédiens.

Un art de la scène, un art de l’illusion

Le théâtre est donc aussi, nous l’avons vu, destiné à être représenté sur une scène. C’est un spectacle vivant. Le théâtre n’est pas qu’une œuvre littéraire, ce sont aussi des jeux de voix et des intonations, des déplacements sur scène, des expressions, des costumes, des décors, de la musique, tout ce qui constitue un spectacle partagé avec le public. Nous allons voir à présent les deux grands principes qui permettent de définir le théâtre comme un art de l’illusion : la double énonciation et le quatrième mur.

La double énonciation et le quatrième mur

La double énonciation, c’est quand les répliques au théâtre ont un double destinataire : elles s’adressent à la fois au personnage et au public.

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À retenir

Le destinataire d’un discours est celui à qui l’on s’adresse.

Le quatrième mur est une image qui désigne la séparation imaginaire entre la scène et le public. C’est comme s’il y avait un mur invisible entre les comédiens et les spectateurs, à travers lequel le public observe l’action sans y participer. On parle de « quatrième » mur car une scène de théâtre est délimitée par trois murs : à gauche, à droite et au fond. Le quatrième mur est celui qui serait devant, côté public, mais qui est « transparent » pour laisser voir la scène. Quand le quatrième mur est respecté, les comédiens ne regardent pas le public, ne s’adressent pas à lui, comme s’il n’était pas là. Cela crée un effet d’illusion réaliste : on a l’impression d’observer la vie en direct, sans intervenir. Il arrive parfois que le dramaturge brise le quatrième mur : c’est le cas quand un personnage s’adresse directement au public, le regarde, lui parle.
Un excellent exemple de brisure du quatrième mur peut se lire dans le dénouement de Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, plus précisément dans l’épilogue, prononcé par le personnage de Puck.

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À retenir

Le dénouement d’une pièce de théâtre est la résolution de l’intrigue, la fin de l’histoire. L’épilogue est un discours que les comédiens prononcent à la fin de la pièce, pour conclure la représentation. L’épilogue n’appartient pas à l’histoire.

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Citation

PUCK — Si nous, ombres, vous avons offensés,
Pensez alors (et tout est réparé)
Qu’ici vous n’avez fait que sommeiller
Lorsque ces visions vous apparaissaient.
Et ce thème faible et vain,
Qui ne crée guère qu’un rêve,
Gentils spectateurs, ne le blâmez pas.
Pardon, nous ferons mieux la prochaine fois.

Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, acte V, scène 1, 1600

Dans cet extrait, Puck ne parle plus aux autres personnages, mais directement aux spectateurs. Il reconnaît que tout n’était qu’un rêve, et demande le pardon du public, en suggérant que la pièce n’était qu’une illusion théâtrale.

Masques et théâtre

Le principe même du théâtre, nous l’aurons compris, repose sur le fait de jouer un rôle. Depuis l’Antiquité, les masques sont utilisés au théâtre : ils soulignent que ce que voit le public n’est pas la réalité, que les personnages sont des êtres imaginaires.

Masques de théâtre - SchoolMouv - Français - 6e Masques de théâtre

Les masques peuvent permettre aussi de clarifier le rôle des personnages : un vieillard méchant, un jeune farceur ; ou dans les pièces adaptées de contes : le loup, la chèvre par exemple.
Voici la didascalie du début de la pièce de Sacha et Nancy Huston, Mascarade :

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Citation

La scène est plongée dans le noir. Le Loup est tapi dans les ténèbres au fond de la scène. Arrive en gambadant, chantant et dansant (on entend en fond une musique classique, type Chopin), la Chèvre. Le loup essaie de dire quelque chose, on voit ses lèvres bouger mais la musique est trop forte.

Sacha et Nancy Huston, Mascarade, éditions Actes Sud, 2008

Dans cette mise en scène, on imagine facilement que les costumes, voire les masques des personnages sont adaptés à leur identité, pour que le spectateur les identifie clairement.
Parfois, les personnages eux-mêmes décident de porter un masque, un déguisement, afin de cacher leur identité et de tromper les autres. En rusant de cette manière, ils espèrent obtenir ce qu’ils veulent.
Prenons l’exemple de la pièce de Suzanne Lebeau, L’Ogrelet, publiée en 2003 aux Éditions Théâtrales : l’Ogrelet est un enfant pas tout à fait comme les autres : il est le fils d’un ogre. Pour pouvoir aller à l’école parmi les humains sans que les autres sachent qui il est vraiment, sa mère le protège et le tient à l’écart. Mais un jour, il décide d’y aller. Pour cela, il doit apprendre à cacher sa vraie nature, se contrôler, et en quelque sorte se « déguiser » en enfant normal.

Conclusion :

Nous avons vu dans ce cours que le genre littéraire du théâtre est un genre particulier, avec son vocabulaire spécifique, et que le texte est à la fois destiné à être lu et à être représenté. Lorsqu’il est mis en scène, le texte devient donc un spectacle, destiné à donner des émotions au public qui devient ainsi le spectateur complice de l’illusion théâtrale.

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