Corrigé Bac
Sujet bac S - Annale philosophie 2017 - Corrigé - Sujet 2

2e sujet

Peut-on se libérer de sa culture ?

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Ce sujet, assez classique et ne présentant pas de grandes difficultés, est cependant subtile. Sa particularité est ici de proposer de réfléchir non pas seulement sur la culture de manière générale mais sur « sa » culture : il faut donc se demander non seulement ce que signifie la culture, mais également ce que ça représente pour un individu particulier. Par ailleurs, il faut non seulement répondre à la question explicite du sujet, qui porte sur la possibilité de se libérer, mais aussi sur sa question implicite :

  • pourquoi voudrait-on ou devrait-on se libérer de sa culture ?

Si la culture est le propre de l’humanité et qu’elle constitue un universel, elle est pourtant aussi ce que chacun a de plus intime, ce qui vient construire et nourrir notre identité. Aussi peut-on la voir comme un élément formateur et constructeur. Mais bien que la culture puisse nous donner la force et les armes pour nous libérer, peut-on aussi se libérer de sa culture ? L’ambiguïté de cette question vient du fait que « culture » s’entend en plusieurs sens. C’est tout d’abord, d’un point de vue anthropologique, ce qui se détache de la nature, ce qui nous arrache à l’animalité et aux lois naturelles. De façon plus concrète, la culture renvoie à la civilisation, c’est-à-dire à l’ensemble des traits propres à un peuple ou à l’ensemble des constructions humaines. Mais la culture est également une chose plus personnelle, bien que partagée, un ensemble de connaissances qui permettent de se repérer et de s’orienter dans le monde. Ce que l’on appelle « sa » culture relève donc à la fois de ce qu’il y a de plus universel et commun, et de ce qui est le plus personnel, le plus singulier. Se libérer de sa culture peut signifier s’en arracher, s’en détourner entièrement, et empêcher qu’elle exerce sur nous la moindre influence, geste extrême et peut-être destructeur. Mais la libération peut également se comprendre de façon plus mesurée comme le fait de saisir les mécanismes qui jouent en nous afin de ne pas les subir inconsciemment : il s’agit là d’un affranchissement et non d’un rejet.

On voit le paradoxe de cette notion : bien que la culture soit le plus grand élément de liberté et de contingence que l’on puisse attribuer à l’homme, ce qui échappe aux nécessités naturelles et qui peut prendre toujours de nouvelles formes imprévues, c’est aussi ce à travers quoi nous voyons et comprenons le monde, ce sans quoi il semble que nous ne puissions exister. La culture est donc à la fois notre plus grande source de liberté et notre plus implacable nécessité, ce à quoi nous ne pouvons pas échapper. Il faut d’ailleurs explorer les raisons de ce possible besoin de se libérer de sa culture : la question n’est pas seulement « comment » mais aussi « pourquoi ».
Nous verrons que l’on pense et que l’on est depuis une culture qui engage un rapport au monde. Cela n’empêche pas que les hommes tentent des gestes de libérations que nous explorerons. Mais il semble surtout que la culture, au sens le plus profond, soit une chose qu’on construit, ce qui permet que liberté et culture entrent en résonance l’une avec l’autre.

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Cette partie montre comment la culture représente une nécessité pour l’homme : non pas nécessairement telle culture donnée, mais le fait d’avoir une culture. L’intérêt de cette analyse est de prendre le contre-pied de l’approche intuitive qui consisterait, au contraire, à rapprocher culture et liberté. On ne nie pas ici que la culture puisse être également une source de liberté, mais on cherche à montrer comment nous sommes conditionnés et déterminés par notre culture.

La culture, comprise dans son opposition avec la nature, est pour nous quelque chose d’acquis, relevant d’un processus historique à l’échelle de l’humanité, et d’une transmission et d’une éducation à l’échelle de l’individu. La conséquence évidence est qu’existent de nombreuses cultures différentes de par le monde, de même qu’un même individu peut évoluer, dans un même temps comme au cours de sa vie, dans différentes sphères culturelles. La nature, au contraire, est ce qui est inné, ce qu’on ne peut modifier et qui présente un caractère de nécessité et d’universalité : elle s’exprime de façon homogène au sein de l’espèce. Pourtant, on peut voir les faits culturels comme des équivalents des faits de la nature : en effet, la culture est également un donné pour nous, dont nous héritons et sans laquelle nous ne pouvons pas plus vivre que privés de nourriture, d’eau et d’oxygène. Lorsque Lévi-Strauss montre l’universalité du tabou de l’inceste, il affirme ainsi que la culture, bien qu’elle prenne des formes extrêmement variées, est un phénomène universel chez les hommes, c'est-à-dire que la culture représente la nature de l’homme. En tant que propre de l’homme, il est impossible de se libérer du culturel : nous ne pouvons vivre sans culture.

La possibilité de se libérer de sa propre culture, celle dans laquelle on a grandi par exemple, est également complexe. La culture qui nous a été transmise agit sur nous comme une série de conditionnements, voire de déterminismes. On le voit à travers les phénomènes linguistiques. Ce qui constitue notre culture, c’est d’abord une ou plusieurs langues. C’est à travers notre langue que nous pensons, dans les catégories de pensées et les concepts qui lui sont propres. Notre pensée est donc très influencée par la grammaire et le vocabulaire que nous employons. On peut penser ici à l’hypothèse Sapir-Whorf qui suggère un lien fort entre les représentations mentales et la langue utilisée, ou à la notion d’habitus développée par Bourdieu, qui voit dans l’éducation la transmission d’un capital culturel propre à une classe sociale et qui engendrera un certain nombre de comportements types, propres à la classe à laquelle on appartient. Mais au-delà de cet aspect purement linguistique ou sociologique, c’est tout notre système de valeur qui est imprégné de notre culture. Le travail de généalogie que Nietzsche a entrepris a justement consisté à montrer que des valeurs, comme celles de vrai et de faux ou de bien et de mal, qui nous semblent absolues et universelles, proviennent en réalité directement d’une construction historique et culturelle. Si l’imprégnation de notre culture va jusqu’à conditionner des valeurs aussi profondément ancrées en nous, on voit difficilement comment on pourrait s’en libérer.

Ce que chacun peut appeler sa culture désigne donc également un ensemble de traits qui le rattachent à l’humanité, par lesquels nous nous définissons en tant qu’être humain : le fait d’avoir une langue, un système de valeur et des connaissances à transmettre. C’est également ce qui constitue notre identité, ce à travers quoi nous pensons le monde et nous nous pensons nous-mêmes. La culture est par définition ce qui nous accompagne toujours et qui fait que nous sommes ce que nous sommes, et peut-être même ce qui nous permet d’être humain. Il semble donc impossible de concevoir une sortie hors de sa culture, et a fortiori hors de toute culture, car on ne voit pas ce qu’il resterait de soi.

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Cette partie ne prend pas le contre-pied de la partie précédente mais propose un autre sens au fait de se libérer. En effet, la conclusion de la première partie était assez définitive pour qu’on ne cherche pas à la dépasser.

Lorsque vous faites un plan, y compris lorsqu’il s’agit d’un plan dialectique, essayez de ne pas penser la thèse et l’antithèse comme des contradictions l’une de l’autre : il doit plutôt s’agit d’un approfondissement de votre réflexion.

S’il est impossible d’être totalement libre de toute culture, au sens de s’en extraire et d’en être entièrement dépourvu, on peut néanmoins prendre conscience de sa propre culture, mettre en place une distance réflexive qui laisse la place à un regard critique et analytique. Il y a une différence en effet entre être libre et se libérer : le premier implique un état absolu, tandis que le deuxième renvoie à un processus, sans présumer de sa complète réussite. Me libérer de ma culture signifie déjà essayer de m’en libérer, commencer à porter un regard sur elle, et non être totalement exempt de traits culturels.

C’est d’ailleurs une définition que Spinoza donne de la liberté. Il est impossible, pour Spinoza, d’être entièrement libre si l’on comprend la liberté comme le fait d’être toujours sa propre cause. De la même manière, c’est parfois mon arrière-plan culturel qui me fait prendre une décision, et non ma seule volonté : nos goûts et dégoûts alimentaires, par exemple, relèvent souvent bien plus de notre culture que de notre raison, qui, si elle agissait seule, nous permettrait de conclure qu’il est aussi concevable de manger des insectes que des mammifères. Mais ce qui nous permet de nous libérer, selon Spinoza, c’est de comprendre les déterminismes qui nous animent, de prendre conscience des différentes causes extérieures qui agissent sur nous. Cela ne suffit pas toujours à les supprimer, mais le fait de les connaître et de les percevoir nous rend moins passifs face à leur action et constitue donc déjà une forme de libération.

La psychanalyse peut d’ailleurs être comprise comme une mise en pratique de cette théorie. Dans l’analyse, ce sont les processus inconscients, forgés par notre enfance, notre éducation, le système de valeur de notre culture, qui sont mis à jour. L’analyse et l’introspection mises en place par la psychanalyse renvoient d’ailleurs à une culture dans le sens le plus intime et le plus personnel qui soit. Contrairement à la sociologie, la psychanalyse ne s’intéresse pas à des phénomènes généraux, à la façon dont une majorité d’individus se représentent leur culture et sont également influencés par elle. Il s’agit au contraire de voir comment un individu singulier s’est forgé, à partir de matériaux disparates, une culture qui lui est propre et qui fait que sa manière de réagir au monde sera toujours différente de celle des autres. Si la psychanalyse montre également qu’il n’est jamais possible de se débarrasser de cette culture si singulière, puisque notre identité et notre individualité se constituent en même temps qu’elle, elle est néanmoins la tentative de rendre conscient ce qui est inconscient, afin de devenir, autant que possible et lorsque c’est nécessaire, sa propre cause, plutôt que d’être guidé par des motifs inconscients.

Une autre manière de se tenir à distance de sa culture et d’en prendre conscience consiste à découvrir d’autres cultures, à la fois au sens de civilisations étrangères, et au sens le plus intime de la culture, par le contact amical ou amoureux avec d’autres personnes. En prenant conscience que d’autres peuples ou d’autres individus pensent et agissent différemment de nous, ce qui nous semblait jusqu’alors absolument naturel et que l’on pensait universel nous apparaît au contraire comme une singularité. Pour reprendre notre précédent exemple, si lors d’un voyage j’observe que certains mangent avec plaisir des insectes, je comprendrai que c’est mon éducation qui me donne l’impression qu’il s’agit d’un plat répugnant. Confronter sa propre culture à d’autres cultures permet donc de comprendre que d’autres manières de vivre sont possibles. Cette expérience est également une manière de prendre de la distance avec sa propre culture, non pas pour la rejeter ou s’en débarrasser, mais pour qu’elle nous devienne visible alors que jusque-là, elle nous déterminait entièrement.

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Nous allons ici proposer une troisième approche de la culture : dans son sens le plus haut, la culture n’est pas ce que nous recevons de l’extérieur de façon passive, ce qui est subi et qui nous conditionne, mais ce que nous transformons en nous pour lui donner un sens particulier.

  • La culture, dans ce sens fort, implique donc toujours une appropriation par l’individu, elle est toujours également une construction personnelle.

Encore faut-il, lorsqu’on analyse sa manière de vivre et de penser ou lorsqu’on se confronte à d’autres cultures, comprendre ce que l’on appelle culture, chez soi ou chez les autres. S’agit-il d’un ensemble de traits communs à un groupe, qui vont de la manière de se loger et de se nourrir aux goûts et aux divertissements en passant par les traditions et les rites ? Si ces traits sont partagés de façon homogène entre tous, cette absence de perspective et de diversité doit faire conclure qu’il s’agit d’habitudes figées et non de culture. La culture ne peut exister qu’en étant une chose vivante, qui se renouvelle, qui varie sans cesse malgré ses traditions. On peut imaginer un régime totalitaire, du type de celui que George Orwell conçoit dans 1984, qui impose à tous une manière de parler, de se vêtir, et de vivre les uns avec les autres : le résultat n’est pas une culture, mais un simple conditionnement.

Par rapport à un conditionnement ou à une transmission qui s’inscrit en nous comme une série de déterminismes indépassables, la culture implique toujours une mise en perspective. C'est-à-dire que ce qu’on appelle culture n’est pas seulement un contenu, qui devient contenu normatif et prescriptif, mais que c’est également un ensemble de capacités, notamment celles de regarder et analyser, de réfléchir, de mettre en relation les différents éléments qui composent notre monde. L’ensemble de ce qui se rassemble et se forge autour de nous, et que chacun peut appeler sa culture, relève donc également du choix et de la sélection, certes parfois inconsciente, mais parfois également volontaire et consciente. Nos intérêts et nos goûts, par exemple, nous portent dans certaines directions plutôt que dans d’autres, de même que notre caractère ou même notre conformation physique nous amènent à privilégier certaines valeurs plutôt que d’autres. De ce point de vue, la culture n’est pas uniquement une chose subie, qui s’impose à nous et qui nous conditionne. Le mouvement fonctionne aussi dans l’autre sens : je façonne ma propre culture, au moins autant qu’elle me façonne. C’est le sens le plus plein du mot culture qui est compris ici comme ce que nous construisons délibérément au cours de notre vie et qui nous construit en retour. Ce que je peux appeler « ma culture » est ce que j’ai fait des connaissances, des exemples, des habitudes que l’on m’a apportés. C’est justement parce que je me suis libéré de leur dimension purement déterminante et prescriptrices, parce que je les regarde comme des faits culturels et non comme des lois ou des idoles intouchables, que je peux dire qu’ils font partie de ma culture.

On peut donc conclure que c’est de ce dont on s’est libéré qu’est constituée la culture, au sens fort du terme. C'est-à-dire qu’il est non seulement possible de se libérer de sa culture, mais que c’est exactement le propre de la culture que de permettre une telle libération. C’est d’autant plus vrai que c’est la culture qui nous donne les armes et les outils pour nous libérer. Il n’en reste pas moins que l’homme ne peut se libérer du fait d’avoir une culture, parce qu’il est par essence un être culturel. Mais l’important est justement de comprendre la différence entre ce qui nous est donné, en tant que membre d’une espèce, et ce que nous construisons en nous, en tant que sujet.