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Action publique et justice sociale
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Introduction :
Nous avons abordé précédemment les fondements de la justice sociale, c’est-à-dire les raisons qui poussent les pouvoirs publics à intervenir pour lutter contre les inégalités. Nous allons ici nous interroger sur la façon dont ils y parviennent, autrement dit les outils dont ils disposent pour conduire leurs politiques. Il va donc s’agir de développer les instruments de la politique sociale et de s’interroger sur leur efficacité.
Les instruments des politiques de justice sociale
On peut regrouper les instruments de la politique sociale en quatre grands ensembles :
Le plus important de tous est la protection sociale, puisque c’est elle qui met en œuvre la redistribution équitable des richesses.
Protection sociale et redistribution
Protection sociale :
La protection sociale est l’ensemble des mesures de répartition par lesquelles l’État prélève une partie des revenus de certains agents économiques pour les reverser à d’autres dans le but de réduire les disparités de ces mêmes revenus.
La protection sociale peut être verticale, quand elle s’effectue des plus aisés vers les moins aisés, et horizontale, quand les prestations concernent tout le monde, indépendamment des ressources de chacun.
Risques sociaux :
Événements qui peuvent survenir au cours de la vie d’un individu, qui peuvent entraîner une baisse substantielle de ses revenus et affecter directement sa position sociale (exemples : chômage, maladie, dépendance, vieillesse).
État-providence :
Désigne l’ensemble des interventions des pouvoirs publics qui visent à garantir un minimum de bien-être à la population.
La protection sociale repose sur deux logiques :
Cotisation sociale :
Une cotisation sociale est un versement effectué par tous les travailleurs (les employés, les employeurs, les travailleurs indépendants) qui permet de bénéficier de prestations sociales. Ces cotisations peuvent être obligatoires, comme quand on cotise à la sécurité sociale, ou volontaires, comme quand on cotise auprès d’une mutuelle de santé.
La France dispose d’un système hybride qui inclut assurance, avec la Sécurité Sociale, et assistance, avec des prestations qui touchent tous les citoyens, comme :
Le système français de protection sociale a été créé en 1945. Il couvre plusieurs risques de la vie des individus et de leur famille, notamment la maternité, la maladie, l’accident et la perte d’emploi. Souvent, la politique sociale s’appuie sur un second instrument d’intervention publique : la fiscalité.
La fiscalité
Pour financer ses politiques de justice sociale et de réduction des inégalités, l’État utilise le levier des impôts. Il s’agit alors d’un financement indirect : les recettes fiscales sont réaffectées par les pouvoirs publics en fonction des dispositifs qu’ils souhaitent renforcer. Il existe deux types d’impôts :
Les impôts progressifs visent à limiter directement les écarts de revenus et de patrimoine. En France, il s’agit surtout de l’IRPP, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, plus communément appelé impôt sur le revenu.
On dit que l’impôt est progressif parce que le taux d’imposition augmente avec les revenus.
Ils ont, eux, un taux unique qui s’applique à tous les contribuables. La TVA est par exemple un impôt proportionnel : à chaque achat, on paye un pourcentage fixe du prix affiché TTC en taxes à l’État. Ce taux est identique pour tous les consommateurs, il ne modifie donc pas les écarts de revenus. Mais c’est justement parce que ce taux est identique à tous les consommateurs qu’il conduit à des écarts de contribution à la solidarité nationale, car en proportion du revenu, enlever 30 euros à une personne modeste et 30 euros à une personne aisée n’a pas le même effet. En pourcentage de son revenu, le plus pauvre contribue donc plus à la solidarité nationale que le plus riche.
En plus de la redistribution et de la fiscalité, la politique sociale s’appuie sur un troisième outil : les services collectifs.
Les services collectifs
Services collectifs :
Les services collectifs sont des services qui sont considérés comme étant d’intérêt général et indispensables à la cohésion sociale.
Les services collectifs sont mis en place par les pouvoirs publics (l’État, les mairies, les départements) et sont souvent proposés à titre gratuit ou à un prix nettement inférieur à leurs coûts de production. Ils sont non-exclusifs et non-rivaux, cela signifie que leur utilisation n’exclut personne et n’empêche pas l’accès à d’autres services. Leur mise en place vise à permettre l’accès au service à un plus grand nombre au-delà des inégalités de situations de chacun.
En assurant ces services, les pouvoirs publics cherchent à contourner les barrières qui pourraient être instaurées s’ils relevaient d’une logique privée et marchande. Par exemple, le fonctionnement des universités américaines qui est un service privé qui coûte tellement cher que la plupart des étudiants sont obligés de faire des crédits bancaires pour financer leurs études. A contrario, le modèle de l’université publique française est un service public financièrement accessible à tous.
Ces services collectifs ont donc un rôle redistributif : ils garantissent un accès universel des citoyens au service. Leur financement s’effectue par l’impôt et les taxes locales.
Le dernier type d’outil de la politique sociale concerne un point que nous avons déjà abordé : la discrimination positive.
Les mesures de lutte contre les discriminations
Nombre d’inégalités sont liées aux spécificités individuelles de chacun comme le sexe, l’origine ethnique ou le handicap.
Pour lutter contre ces discriminations, les pouvoirs publics mettent en place des mesures de discrimination positive, qui consistent à traiter différemment des individus qui souffrent de discrimination négative.
Tu peux revoir la vidéo sur les inégalités et la vidéo précédente pour te remémorer les exemples de discrimination positive développés.
Protection sociale, fiscalité, services collectifs et discrimination positive sont ainsi les quatre principaux instruments de la politique de justice sociale que peuvent mettre en œuvre les pouvoirs publics. La question se pose cependant de l’efficacité de toutes ces mesures : parviennent-elles réellement à réduire les inégalités ?
Les limites de l’intervention publique
Pour être efficaces, les politiques de justices doivent faire face à deux enjeux :
Or, aucun de ces deux enjeux n’est aujourd’hui atteint : les moyens des politiques sociales diminuent, et leur légitimité est de plus en plus contestée.
Une action publique sous contrainte
Le graphique suivant représente l’évolution des recettes et des dépenses de l’État en France, de 1978 à 2010.
En près de 40 ans, on constate que les dépenses de l’État ont tendance à baisser légèrement, voire à se maintenir. Les recettes, quant à elles, se réduisent très fortement sur la même période. Autrement dit, l’État doit maintenir son niveau d’intervention alors que l’argent qui rentre dans ses caisses se réduit !
Quand on regarde le détail de ces dépenses, on constate d’ailleurs que ce sont les dépenses sociales qui sont celles qui augmentent le plus : + 70 % entre 2003 et 2013 !
Pour faire face à cette hausse des dépenses sociales alors que ses recettes diminuent, l’État n’a qu’une seule solution : emprunter.
Le graphique de l’évolution de la dette française depuis 1978 montre qu’alors que cette dette représentait moins de 5 % du PIB et moins de 100 milliards d’euros constants en 1978, on est, en 2015, à plus de 2 000 milliards d’euros et plus de 100 % du PIB !
La réduction des déficits est donc une priorité nationale. Et cela ne concerne d’ailleurs pas seulement la France : tous les pays d’Europe sont affectés par des situations de ce type : la commission européenne incite, elle aussi, les États de l’UE à réduire leurs dettes, et donc à réduire leurs dépenses, ou à augmenter les recettes fiscales.
Dans ce contexte, la poursuite des politiques de justice sociale s’avère particulièrement compliquée. Elle l’est d’autant plus que les recettes de la sécurité sociale diminuent pour plusieurs raisons :
Or en parallèle, les dépenses de cette même sécurité sociale n’ont jamais été aussi élevées :
Les politiques de justice sociale se retrouvent donc sous contrainte financière, cela signifie que leur mise en œuvre impose de prendre en compte l’état des finances publiques avant d’engager toute dépense supplémentaire. Réduire les inégalités sociales semble donc de plus en plus compliqué pour les pouvoirs publics. D’autant plus que l’efficacité de ces politiques est de plus en plus remise en question.
Une efficacité objet de débats
L’existence même des politiques de justice sociale est contestée. Les arguments avancés font tous référence à la crise de l’État-providence. Tous les aspects de la justice sociale sont en crise, elle est remise en question à tous les niveaux :
Si on parle de crise d’efficacité de la justice sociale, c’est avant tout parce que toutes les mesures mises en place depuis plus d’un demi-siècle (les politiques de redistribution et de protection sociale, les impôts, les services publics, la discrimination positive) restent inefficaces. Les inégalités persistent, on peut même dire qu’elles augmentent. Les problèmes sociaux comme le chômage, la pauvreté ou les discriminations sont toujours présents.
En parallèle, la justice sociale fait face à une crise de légitimité : son existence est contestée, notamment par les libéraux :
Leur solution consiste alors à libéraliser les services publics, à les privatiser, pour que les pouvoirs publics ne prennent plus directement en charge tous ces dispositifs.
Cette crise de légitimité s’exprime aussi par les remises en cause exprimées par de plus en plus de citoyens : l’idée que la politique sociale serait trop coûteuse et inéquitable pour les classes moyennes se banalise, ces classes moyennes estimant qu’elles sont celles qui payent proportionnellement le plus d’impôts sans bénéficier de prestations équivalentes.
Il faut pourtant rappeler que l’équité sociale est au fondement de la démocratie, et que la remettre en cause risque de créer davantage de conflits, d’accentuer encore la misère et les tensions entre groupes sociaux. Pour expliquer cette évolution des mentalités, il faudrait peut-être les mettre en relation avec le développement de l’individualisme, qui fait que les individus ont tendance à privilégier leurs intérêts personnels aux intérêts collectifs.
Le troisième et dernier niveau de crise est une crise de financement. Nous l’avons vu, les finances publiques ne permettent plus de conduire des politiques de réduction des inégalités capables de répondre aux enjeux. La crise de la dette restreint les capacités d’emprunt. Pour équilibrer les budgets, la seule solution serait d’augmenter les impôts. Mais il n’est pas garanti que les citoyens soient prêts à accepter cette augmentation alors que le pouvoir d’achat des ménages ne cesse de se réduire.
Un économiste américain, Arthur Laffer, né en 1940, avait d’ailleurs modélisé une courbe qui porte son nom : la courbe de Laffer. Selon lui, trop augmenter les impôts conduirait à plusieurs phénomènes :
Voici une représentation de la courbe de Laffer. Elle représente l’évolution des taux d’imposition en fonction des recettes fiscales.
Courbe de Laffer
L’augmentation des impôts va tout d’abord se traduire pour les pouvoirs publics par une augmentation des recettes : tant que les agents économiques considèrent que ces taux sont acceptables, ils vont s’en acquitter. Mais à partir d’un certain point, ils vont considérer ces taux comme beaucoup trop dissuasifs : pour échapper à l’impôt, ils choisiront soit de travailler au noir, soit de frauder le FISC, soit de ne plus travailler, entre autres exemples ! Dans le cas du financement des mesures de justice sociale, les marges de progression des pouvoirs publics restent donc particulièrement réduites.
La courbe de Laffer a été sévèrement critiquée par beaucoup d’économistes. D’abord, parce que Laffer ne prend pas en compte l’effet revenu : une baisse du revenu due à une augmentation de l’impôt peut inciter à travailler davantage. Ensuite, sur le plan statistique, aucune corrélation négative n’a pu être établie entre le taux d’imposition et les indicateurs de performances économiques. Enfin, les études sur l’offre de travail des cadres supérieurs montrent que l’augmentation des impôts chez les plus riches n’a pas d’effet désincitatif sur l’offre de travail.
Ainsi, si la mise en œuvre de la justice sociale fait l’objet de débats, c’est parce que l’idéal qu’elle souhaite incarner se trouve de plus en plus confronté aux réalités, avec des problèmes d’efficacité, de financement et de légitimité.
Conclusion :
Parmi les instruments de la justice sociale, on retrouve la protection sociale, qui repose sur la notion d’État providence. Cette justice sociale peut être horizontale ou verticale. Elle renvoie à une logique d’assistance ou à une logique d’assurance. Elle implique aussi des cotisations et le versement de prestations. Viennent ensuite les impôts, qu’ils soient progressifs ou proportionnels, puis les services collectifs, qui ont eux-aussi un rôle redistributif, et enfin les mesures de discrimination positive.
L’intervention des pouvoirs publics en matière de justice sociale est de plus en plus remise en question, notamment en raison de la contrainte financière qui pèse sur les politiques publiques, avec une dette qui explose et des recettes qui se réduisent. Mais elle s’explique plus globalement par :