Pouvoirs publics et justice sociale

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Introduction :

Au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville met en évidence que l’idéal des sociétés démocratiques est l’égalité. Il convient donc de cerner ce concept d’égalité.
S’agit-il d’assurer à tous les individus la même probabilité d’accéder à n’importe quelle position sociale ? Peut-on tolérer que des inégalités persistent dans les sociétés démocratiques ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?

Il conviendra donc de montrer dans une première partie quelles sont les différentes formes d’égalité et à quoi correspond l’idéal démocratique. Nous préciserons ensuite les contours de la justice sociale et, enfin, nous mettrons en évidence les modalités de l’intervention de l’État et analyserons son efficacité.

L’idéal démocratique et les différentes formes d’égalité

Les sociétés démocratiques se caractérisent par le fait de considérer tous leurs membres comme égaux.
La Déclaration des droits de l’homme de 1789 stipule dans son article premier que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Mais que sous-entend ce terme d’égalité ? Il revêt de nombreuses dimensions que nous allons étudier ici.

L’égalité des droits

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À retenir

L’égalité des droits désigne l’égalité juridique ou l’égalité devant la loi.

À ce titre, on établit les distinctions suivantes :

droits sous forme de libertés droits sous forme d’actions des pouvoirs publics
droits civils liberté d’expression

droit à la défense

présomption d’innocence

droits économiques et sociaux droit de propriété

droit à l’instruction

droit au travail

législation du travail

protection sociale

droits politiques élection des représentants des citoyens (droit de vote)

éligibilité des citoyens

  • Ce principe d’égalité des droits, reconnu sous la Révolution, semble évident, mais il cache en réalité un long processus.
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Exemple

En effet, l’égalité entre les hommes et les femmes concernant le droit de vote par exemple n’a été effective que depuis 1944.
De la même manière, ce n’est qu’en 2014 que les couples homosexuels ont eu le droit de se marier.

L’égalité des conditions (ou égalité des chances)

Alexis de Tocqueville s’est intéressé à la démocratie et à cet idéal égalitaire dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1835). Il a essayé de mettre en évidence, à travers ses observations, les caractéristiques des sociétés démocratiques.
Pour lui la démocratie est caractérisée par trois éléments :

  • l’égalité des droits (que nous venons de voir) ;
  • la mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité pour un individu de changer de position sociale ;
  • un état d’esprit (esprit d’égalité) qui implique que les individus se sentent égaux.

Ces trois éléments peuvent être réunis dans le concept d’égalité des conditions.

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Définition

Égalité des conditions :

L’égalité des conditions (ou égalité des chances) suppose que tous les individus sont juridiquement égaux et que la position sociale d’un individu n’est plus déterminée par sa naissance. L’individu n’est donc plus assujetti au facteur héréditaire et peut être devenir l’acteur de sa propre réalisation.
À ces éléments s’ajoute une mentalité correspondante : le sentiment des individus d’être tous égaux.

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À retenir

Selon Tocqueville, la démocratie permettrait donc l’égalité devant la loi, l’égalité des droits, mais aussi la possibilité de mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité pour chacun, quelle que soit sa situation de départ, d’accéder à toutes les positions sociales, contrairement à ce qui se passait sous l’ancien régime (position sociale héréditaire).

On peut donc en conclure que, dans l’idéal, la société démocratique sous-entend l’égalité des chances.
Ce qui ne signifie pas pour autant l’égalité des situations.

L’égalité des situations

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À retenir

L’idéal démocratique se caractérise par une égalité des droits et des chances et veut tendre vers une égalité des situations.

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Définition

Égalité des situations :

Par égalité des situations, on entend une égalité réelle.
Autrement dit, les individus n’occupent pas tous les mêmes positions sociales, ils n’ont pas tous les mêmes revenus ou tous accès aux soins de la même façon.
Il faut donc une intervention de l’État pour corriger ces inégalités de départ.

On peut noter qu’avec l’évolution économique et sociale et l’avènement du système de protection sociale, les inégalités de situation ont eu tendance à se réduire jusque dans les années 1980, sans pour autant disparaître. Certaines inégalités demeurent, voire augmentent de nouveau ces dernières années (exemple : inégalités salariales).
On peut admettre néanmoins que certaines inégalités peuvent parfois être perçues comme plus légitimes. Par exemple, on acceptera généralement une différence de salaire entre un médecin et un ouvrier spécialisé à leur entrée dans le monde du travail, dans la mesure où le nombre d’années d’études requis est différent.

Parler d’égalité des situations sous-entend donc d’évoquer l’existence d’inégalités. Peut-on considérer, dans la société démocratique, la présence d’inégalités comme légitime ? Existe-t-il des inégalités justes ?
Ces questionnements font référence à deux débats théoriques en lien avec la justice sociale. Les individus doivent-ils tous être traités de la même manière (concept d’égalité) ou faut-il adapter les solutions en fonction des situations de l’individu (concept d’équité) ? La seconde partie va permettre de cerner ces deux notions.

La recherche de justice sociale

La justice sociale et l’État-providence

Il convient tout d’abord de s’intéresser à ce que désigne la justice sociale.

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Définition

Justice sociale :

La justice sociale désigne un principe à la fois politique et moral qui a pour but de garantir l’égalité des droits, mais aussi de mettre en place une solidarité collective permettant une plus juste distribution des richesses au sein de la société.

Le concept de justice sociale est à mettre en parallèle avec celui d’État-providence. C’est en effet lui qui va tenter de la mettre en place.

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Rappel

L’État-providence est l’État interventionniste qui apparaît à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Il est chargé de mettre en œuvre une protection sociale fondée sur la solidarité collective. Son rôle est, d’une part, de protéger les individus contre des risques sociaux et, d’autre part, de mettre en place un système de redistribution chargé de corriger les inégalités de situations.

Le tableau suivant donne à voir les différentes conceptions de l’État-providence :

modèle corporatiste modèle libéral modèle universaliste
principes assurance, sociale, redistribution horizontale assistance aux plus démunis (idée d’un filet de sécurité), redistribution verticale assistance, redistribution verticale
fondateurs Otto von Bismarck William Beveridge William Beveridge
but couvrir les risques sociaux lutter contre la pauvreté réduire les inégalités
bénéficiaires les salariés et leurs ayant-droits les plus démunis tous les citoyens
caractéristiques des prestations proportionnelles aux cotisations versées revenus de transfert, minimas sociaux soumis aux ressources revenus de transfert et services publics
mode de financement financement par le système de l’assurance sociale (les cotisations) financement par l’impôt (solidarité nationale) financement par l’impôt (solidarité nationale)
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Astuce

La distinction assurance/assistance s’opère par le fait que le système d’assurance n’est ouvert qu’aux individus qui payent des cotisations en retour (protection individuelle contre participation financière individuelle), tandis que le système d’assistance protège l’ensemble des individus grâce au financement par la collectivité (protection individuelle contre participation collective).

Les pays comme le Danemark, la Suède ou la Finlande ont fondé leur système de protection sociale sur le modèle universaliste de Beveridge.
Les pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis ont fondé leur système sur le modèle libéral de Beveridge.
Les pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou le Luxembourg ont fondé leur système sur le modèle corporatiste de Bismarck.

  • La France a quant à elle un modèle hybride, puisque nous utilisons une synthèse des trois modèles.

Par le système de la sécurité sociale, la France utilise le modèle corporatiste de Bismarck. En effet, les actifs occupés cotisent à l’assurance maladie, de telle sorte que s’ils tombent malades, ils pourront bénéficier d’une prise en charge de leurs soins.
Le principe de l’impôt sur le revenu relève, lui, du principe de l’assistance (modèle libéral), les plus riches étant davantage imposés de manière à pouvoir redistribuer aux plus démunis.
Et enfin, la couverture maladie universelle et les services publics gratuits relèvent du système universaliste.

Quel que soit le modèle choisi, l’objectif est bien de réduire les inégalités de situation.
Se pose alors la question de savoir si le système de protection mis en place doit être égalitaire ou équitable. Autrement dit les pouvoirs publics doivent-ils proposer les mêmes solutions quels que soient les individus ou faut-il adapter les solutions en fonction des individus ?

Le débat équité/égalité

  • Une première conception de la justice sociale se fonde sur une redistribution égalitaire.
  • Il s’agit du principe d’universalité selon lequel tous les citoyens doivent bénéficier du même traitement quelle que soit leur situation.
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Exemple

Concernant l’aide aux transports, les 12-27 ans peuvent tous profiter de la carte avantage jeune.

Ce principe est remis en cause par ceux qui estiment que cela tend à maintenir les inégalités, puisque les plus favorisés bénéficient des mêmes aides que les plus démunis.

  • La seconde conception de la justice sociale se fonde donc sur une redistribution équitable.
  • Il s’agit de tenir compte des situations de chacun et de donner plus à ceux qui ont le moins par exemple.

Ce principe est largement utilisé en France, notamment avec les prestations sociales dont le versement est soumis à condition de ressources.
Cela signifie que les populations les plus favorisées n’y ont pas (ou peu) accès, alors que les plus démunis si.

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Exemple

On peut penser aux allocations familiales, aux bourses ou aux allocations de rentrée scolaire.

Ce principe d’équité trouve sa justification théorique dans l’analyse du philosophe américain John Rawls.
Il a notamment évoqué le principe d’« inégalités justes ».

  • Autrement dit, il existe des inégalités qui peuvent être acceptées et légitimées par les individus. En particulier quand elles permettent de satisfaire le principe d’égalité des chances.
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Exemple

Par exemple, dans un système égalitaire, on peut imaginer que tout le monde devrait être imposé au même taux.
Cependant, si l’on veut réduire les inégalités, il faut mettre un taux différent en fonction des revenus, les plus riches ayant un taux plus élevé.
On met donc en place un système « inégalitaire » mais juste.

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À retenir

L’avènement de l’État-providence a permis la recherche de justice sociale.
Cette dernière peut être fondée sur un principe d’égalité ou d’équité.

Ce débat nous permet de nous interroger sur les choix d’intervention des pouvoirs publics en France et sur leur efficacité.

L’intervention des pouvoirs publics en France et leur efficacité

Les différentes facettes de l’intervention des pouvoirs publics

  • L’utilisation du principe de redistribution

Pour pouvoir fonctionner et assurer le principe de redistribution, le système de protection sociale a besoin d’être financé.

  • En France, ce financement s’effectue grâce aux cotisations sociales et aux impôts.

Les pouvoirs publics vont donc prélever une partie des revenus primaires pour financer les revenus de transfert et les services publics.
Le mécanisme de redistribution peut être :

  • horizontal, c’est-à-dire des actifs vers les retraités, des bien-portants vers les malades, etc. Il s’agit de couvrir les risques sociaux. Dans cette optique, les salariés et les employeurs payent des cotisations sociales qui seront reversées sous forme de prestations sociales aux individus qui en ont besoin ;
  • vertical, c’est-à-dire des plus riches vers les plus démunis, le but étant de réduire les inégalités. Il s’agit dans ce cas d’utiliser principalement l’impôt.
  • La mise en place des services publics gratuits

Il s’agit de rendre accessible à tous, sans aucune condition de revenus, des services jugés indispensables.

  • Cette accessibilité passe par une tarification basse, voire la gratuité.
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Exemple

L’école, par exemple, est gratuite et permet aux populations de se former afin de pouvoir obtenir plus tard un emploi.
Les transports en commun permettent également à la population de pouvoir se déplacer à un tarif réduit, voire gratuitement.

  • La mise en place d’une discrimination positive

La politique de discrimination positive consiste à mettre en place des politiques ciblées en faveur de populations victimes de discriminations, afin de combler une inégalité qu’elles subissent dès le départ.

En France, cela est notamment visible au sein de l’éducation nationale.
Quand l’État décide de créer des REP et REP+ (réseaux d’éducation prioritaire), son objectif est de réduire les écarts de réussite des élèves. Ces réseaux sont créés en fonction des quartiers, des villes, où se concentrent les difficultés sociales.
Pour ces réseaux, les budgets alloués sont supérieurs aux autres écoles, les enseignants plus nombreux et les élèves travaillent en plus petits groupes.

Cette discrimination positive est également mise en avant dans certaines lois, comme la loi sur la parité par exemple. Ainsi, on exige désormais 50 % de femmes dans les instances politiques).
On parle de mise en place de quotas.

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À retenir

Les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre différents moyens pour favoriser la justice sociale et lutter contre les inégalités.
On notera la mise en place du principe de redistribution, la présence des services publics, mais aussi l’instauration de politiques de discriminations positives.

Néanmoins ces moyens sont-ils efficaces ?

L’efficacité de l’intervention des pouvoirs publics

Depuis quelques années, l’intervention de l’État pour réduire les inégalités est critiquée, voire en situation de crise. En effet, les diverses crises économiques survenues depuis les années 1970 remettent en cause l’efficacité de l’État-providence. Cette remise en cause suit trois axes.

  • On note ainsi une crise d’efficacité de l’État-providence, qui se traduit par l’incapacité de l’État à résoudre le problème du chômage de masse, des inégalités et de la pauvreté, et cela malgré une intervention de plus en plus importante.

  • On note également une crise de financement : la dette publique française s’établissait en 2018 à 99 % du PIB, soit un montant d’environ 2 300 milliards d’euros, le déficit public quant à lui s’établit à 2,2 % du PIB.

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Rappel

La dette publique correspond au montant des emprunts réalisés par l’État pour combler son déficit. Le déficit public est la situation caractérisée par un budget de l’État en déficit, c’est-à-dire quand les dépenses publiques sont supérieures aux recettes publiques.

Ces résultats négatifs sont la conséquence des nombreuses crises économiques qui ont traversé le pays depuis 1973, dont tout dernièrement la crise des subprimes. Mais ils posent également un questionnement sur l’intervention de l’État-providence. En effet, si l’on regarde le système de protection sociale, le déficit est conséquent entre 2008 et 2015 (entre 5 et 20 milliards d’euros sur la période). Néanmoins, on peut signaler que le solde est de nouveau positif depuis 2017. Pour autant, le vieillissement de la population et l’augmentation de la part d’inactifs tendent à introduire une tension dans le système. De cette tension naît alors la crise de légitimité.

  • Enfin, la crise de légitimité repose sur un débat théorique.
    En effet, selon la base libérale, les inégalités ne doivent pas toutes être corrigées, car l’intervention de l’État serait source de désincitation à faire des efforts et à produire. En effet, selon la théorie libérale, le marché est efficace et s’autorégule. Lorsque l’État intervient, il vient bloquer ce processus autorégulateur. Au lieu de corriger les inégalités, l’intervention de l’État pousserait donc les individus à faire des calculs : ceux-ci n’iront travailler que si les salaires sont supérieurs aux aides perçues.
  • Selon la conception libérale, en venant en aide aux plus démunis, l’État nuirait donc aux intérêts de ceux qui créent la richesse. Toujours selon les libéraux, l’État créerait même des trappes à pauvreté et à chômage.
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Définition

Trappe à pauvreté ou à chômage :

Situation dans laquelle un individu n’est pas incité à sortir de la pauvreté ou du chômage, puisque la part des allocations fournies sous condition de revenu peut être supérieure au gain obtenu grâce au salaire.
Autrement dit, les individus feraient un calcul coût/avantage.

Dans le même ordre d’idée, on entend de plus en plus aujourd’hui l’idée de « matraquage fiscal » et de sentiment pour une partie de la population de toujours devoir payer plus sans pour autant percevoir des retours de la part de l’État.
L’économiste américain Arthur Laffer a schématisé cette problématique de l’impôt. Il a ainsi voulu montrer qu’au-delà d’un certain seuil, le taux d’imposition deviendrait contre-productif en matière de rentrée fiscale (« Trop d’impôt tue l’impôt »).

impôt Arthur Laffer Problématique de l’impôt selon Arthur Laffer

Selon l’OCDE, le taux de prélèvement obligatoire français est classé au deuxième rang de l’ensemble des pays industrialisés. En 2018, il s’élevait à 45,3 % du PIB contre 37,5 % pour l’Allemagne par exemple.
Selon Arthur Laffer, réduire la fiscalité et les transferts sociaux aurait donc un impact positif sur l’activité économique et donc sur les rentrées fiscales de l’État.

  • Cependant, on peut craindre qu’en laissant le marché fonctionner librement et en limitant l’intervention de l’État, les inégalités se renforcent, et même se cristallisent. La cohésion sociale pourrait alors être menacée.
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À retenir

L’État français est un état interventionniste. La mise en place du système de la protection sociale, le principe de redistribution grâce à l’impôt, la mise en place de services publics et de politiques de discrimination positive ont pour objectif de tenter de réduire les inégalités. Néanmoins, de nombreux débats voient le jour concernant l’efficacité réelle de cette intervention. L’État interventionniste est soumis à une triple crise (favorisée par un contexte économique peu favorable) : légitimité, financement et efficacité.

Conclusion :

Nous avons donc montré que la société démocratique sous-entend l’égalité des droits et l’égalité des chances. Cependant, cette recherche d’égalité ne se traduit pas forcément par une égalité des situations. Par ailleurs, l’instauration de valeurs, de principes juridiques, ne suffit pas et des inégalités perdurent.

L’intervention de l’État-providence à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale trouve son origine dans cette volonté de lutte contre les inégalités. Plusieurs conceptions se sont opposées concernant son intervention (assistance, assurance) mais également sur les principes à mettre en place (égalité ou équité).

Dans l’ensemble des pays développés, l’intervention de l’État n’a cessé de croître, mais de nos jours, ce système en charge de l’application de la justice sociale est en situation de crise, crise accrue par une situation économique globale peu favorable. Des solutions doivent ainsi être trouvées pour sortir l’État-providence de cette crise et retrouver une dynamique positive.