La Princesse de Montpensier, chef d’œuvre de la littérature précieuse

Introduction :

Le XVIIe siècle, appelé siècle de Louis XIV en référence au monarque dont le règne fut exceptionnel par sa durée (72 ans, de 1643 à 1715) et par sa puissance politique et militaire, offre à la littérature et aux arts en général une des pages les plus éclatantes de leur histoire. C’est durant cette période qu’apparaît le mouvement précieux. Né dans les salons, ce courant a pour idéaux le raffinement et l’élégance. La Princesse de Montpensier est une œuvre emblématique de la littérature précieuse.

Après avoir présenté la préciosité et les salons littéraires, nous verrons en quoi l’amour dans La Princesse de Montpensier est influencé par ce mouvement, puis nous mettrons en lumière les différentes marques de préciosité dans l’écriture de la nouvelle.

La préciosité et les salons littéraires

La préciosité est à la fois un phénomène social qui se développe dans les salons et un fait littéraire. Les courtisans, estimant que la vie de cour est devenue grossière sous Henri IV, aspirent à plus de raffinement et d’élégance. Ils commencent à se réunir dans des hôtels particuliers appartenant à des membres de l’aristocratie. Des gentilshommes, des écrivains et des femmes s’y retrouvent pour parler littérature et faire des vers. Mais l’occupation précieuse par excellence est la conversation : on aime débattre de sujets en lien avec l’amour comme « Quel est l’effet de l’absence en amour ? » ou « Le mariage et l’amour sont-ils compatibles ? ».

bannière à retenir

À retenir

La préciosité est ainsi un art de vivre fondé sur le culte de l'amour, sur la délicatesse des sentiments et des attitudes, sur la pratique du beau langage et de la littérature, et enfin sur les subtilités de la galanterie.

Le plus célèbre de ces salons se tient à Paris, dans l’hôtel de la marquise de Rambouillet. Madame de Lafayette le fréquente assidument. Un autre salon, fréquenté par des bourgeois, connaît aussi un grand succès : celui de mademoiselle de Scudéry. Les femmes, très actives dans les salons, sont appelées « précieuses » au sens où elles veulent se donner du prix, se distinguer par leur culture, leur élégance, leurs sujets de conversation et leur langage élevé.

Beaucoup passent pour des arrogantes et des maniérées, ce qui explique les satires dont elles ont fait l’objet comme dans la pièce Les Précieuses ridicules de Molière. Si certaines tombèrent effectivement dans les excès de la sophistication, la majorité d’entre elles constituent avant tout une avant-garde féminine au moment où apparaissent les premières femmes écrivains : elles contestent les mœurs de l'époque qui donnent le pouvoir aux hommes et remettent en question le mariage qui est le plus souvent contraint et aliène les femmes.

Les auteurs transposent ce monde raffiné dans des romans-fleuves. Les plus célèbres sont L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Artamène ou le Grand Cyrus et Clélie de Madeleine de Scudéry. L’amour courtois et platonique en est le sujet principal ; on se plaît à en montrer les complications et les raffinements. Les différentes étapes de l’amour deviennent les régions du « Pays de Tendre », pays inventé par mademoiselle de Scudéry dans Clélie et qui a sa propre carte.

La carte de Tendre La carte de Tendre

Les personnages des romans précieux sont idéalisés et leurs aventures interminables, mais l’intérêt de ces textes tient surtout à la recherche de vérité dans la peinture des passions. Le style est élevé, émaillé de néologismes, de périphrases, de métaphores et d’hyperboles.

bannière definition

Définition

Néologisme :

Mot nouveau.

bannière definition

Définition

Périphrase :

Désigne l’emploi de plusieurs mots à la place d’un seul. Par exemple : « la belle mouvante » à la place de « la main ».

bannière definition

Définition

Hyperbole :

Figure de style qui utilise l’exagération pour marquer les esprits.

L’amour précieux dans la nouvelle

Le thème de l’amour est une marque évidente de préciosité dans la nouvelle. De plus, certaines situations imaginées par madame de Lafayette font écho à des questions débattues dans les salons et y fournissent des réponses sous forme d’illustrations.

Ainsi, la nouvelle propose par exemple une réponse à la question « Quel est l’effet de l’absence en amour ? ». En effet, la princesse et Guise ont été séparés pendant trois ans quand ils se retrouvent par hasard le jour de la pêche au saumon. Or, dès qu’il la reconnaît, il sent « réveiller vivement dans son cœur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naître ». Le soir-même, il lui avoue que « son cœur n’était point changé. » Quant à la princesse, interrogée par Chabannes, elle interprète faussement le trouble qu’elle a éprouvé :

« Elle lui apprit qu’elle en avait été troublée, par la honte du souvenir de l’inclination qu’elle lui avait autrefois témoignée […] mais elle l’assura en même temps que rien ne pouvait ébranler la résolution qu’elle avait prise de ne s’engager jamais. »

Chabannes, lui, est lucide : « Il témoigna à la princesse qu’il appréhendait extrêmement que les premières impressions ne revinssent bientôt. »

  • La réponse est donc qu’une séparation étouffe mais n’éteint pas les braises d’une passion inassouvie.

Cependant, une autre réponse est apportée à la même question : à la fin de la nouvelle, Guise, tout occupé par ses exploits glorieux, oublie la princesse. Cette dernière séparation signera la fin de son amour. Un esprit précieux jouerait de toutes les subtilités possibles en établissant des distinctions entre les deux situations, en fait dissemblables.

  • Dans la première situation, Guise a l’esprit vacant car la guerre connaît une trêve ; de plus, il revoit la princesse, ce qui rallume sa flamme.
  • Dans la seconde situation, Guise, obsédé par le combat, passe à autre chose et le hasard ne le remet pas sur la route de la princesse.

Madame de Lafayette semble dire qu’il existe de ce point de vue une différence entre homme et femme : la femme étant, par sa condition, livrée à l’inactivité, est vouée à une fidélité plus grande que l’homme qui, lui, peut trouver des diversions.

D’autres préoccupations précieuses transparaissent dans la nouvelle : le mariage est-il compatible avec l’amour ? Une femme doit-elle céder à son amant ?…

bannière à retenir

À retenir

L’œuvre de madame de Lafayette pose le problème de la condition féminine en un temps où la femme, au moins dans les milieux aristocratiques, ne choisit pas son époux.

Mademoiselle de Mézières est « tourmentée » d’épouser le prince de Montpensier. Dans son film, Tavernier interprète parfaitement le sens du mot « tourmenter » qui, au XVIIe siècle, signifie « infliger des tourments psychologiques comme physiques ». En effet, il montre le marquis de Mézières en train de battre sa fille pour la contraindre à cette union qu’elle ne souhaite pas.

Les marques de l’influence précieuse dans l’écriture

L’idéalisation des personnages

Les personnages des romans précieux sont idéalisés : ils sont toujours beaux, nobles et vertueux. Chez l’héroïne de madame de Lafayette, la beauté, citée plusieurs fois, (c’est « une des plus belles princesses du monde ») se joint à l’esprit et à la modestie : « [Guise et Anjou] ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit qu’ils l’avaient été de sa de beauté […]. Elle répondit à leurs louanges avec toute la modestie imaginable ».

Les hommes, eux, sont tous, sauf Chabannes qui s’est retiré de la guerre, de vaillants guerriers : Montpensier est « couvert de la gloire qu'il avait acquise au siège de Paris et à la bataille de Saint-Denis » ; Anjou est associé à « beaucoup de gloire » et de « belles actions », et Guise dépasse « les grandes espérances qu'on avait conçues de lui ». Les romans précieux aiment aussi les scènes si romanesques qu’elles en deviennent invraisemblables.

Une scène de la nouvelle présente ces caractéristiques.

Un épisode peu vraisemblable

Alors que six hommes – Anjou, Guise et quatre autres – dansent « une entrée des Maures », la princesse, croyant s’adresser à Guise, parle en fait à Anjou. Le moment pour se confier à son amant semble bien mal choisi puisque « leurs habits [ceux des danseurs] étaient tous pareils » et qu’ils sont masqués. Le film de Tavernier montre bien l’impossibilité de distinguer son interlocuteur dans de telles conditions. Cependant, l’auteur donne à ce moment une fonction dramatique importante : c’est ainsi que l’amour de Guise et de la princesse est dévoilé.

La préciosité dans le langage employé

Enfin, le goût pour les adverbes d’intensité et les hyperboles trahit une tendance précieuse dans l’écriture de madame de Lafayette. Les exemples sont nombreux : « Toute la maison de Guise fut extrêmement surprise de ce procédé », « La guerre s’y alluma fortement », « Il se mit à […] lui faire comprendre qu’il mourrait infailliblement, s’il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir. », etc.

bannière astuce

Astuce

Dès la première ligne du texte, un trait de préciosité apparaît avec la référence à l’« empire de l’amour », écho du pays de Tendre.

Conclusion :

La Princesse de Montpensier reprend donc bien les codes de la préciosité, idéal artistique du XVIIe siècle. Cette influence précieuse se ressent tant de le fond de la nouvelle, à travers la façon qu’a l’auteur de présenter la passion amoureuse et d’idéaliser ses personnages, mais également dans la forme : madame de Lafayette étant elle-même une précieuse.