Les personnages des Faux-Monnayeurs

Introduction :

Le roman Les Faux-Monnayeurs se distingue, entre autres particularités, par le grand nombre de ses personnages et par la difficulté à distinguer lequel d’entre eux est le personnage principal. Un tel foisonnement pourrait perdre le lecteur. Cependant, le fait que les personnages appartiennent à des groupes liés par des rapports de différentes natures (familiaux, amicaux, amoureux) tisse entre eux un réseau étroit et permet d’éviter l’impression de dispersion. On remarque aussi des affinités particulières entre des couples de personnages, soit que l’un semble être un reflet – bien qu’imparfait – de l’autre, soit que le premier soit l’opposé du second.

Après avoir réparti les personnages principaux en groupes formés par les liens du sang ou de l’amitié, nous montrerons par qui et comment ces différents groupes sont connectés entre eux. Pour finir, nous étudierons les convergences ou oppositions qui s’établissent entre certaines figures du roman.

Les groupes de personnages

On note tout d’abord que les personnages appartiennent à différentes familles.

Les familles

Les Profitendieu

Bernard Profitendieu ouvre le roman. Caloub, son petit frère, le clôt : son prénom est le dernier mot de l’œuvre de Gide.

Les personnages des Faux-Monnayeurs littérature terminale

Les Molinier

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Les Azaïs-Vedel

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Les La Pérouse

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Les de Passavant

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Les Sophroniska

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D’autres types de liens peuvent exister, notamment des liens de camaraderie dus à la vie dans un même lieu.

Les liens créés par la cohabitation

La vie à la pension Azaïs-Vedel entraîne des rapprochements entre ses résidents. C’est parce qu’ils en sont pensionnaires que Philippe Adamenti, Ghéridanisol, Georges Molinier, Boris et Gontran de Passavant vont se retrouver liés, certains pour le pire (la participation des trois premiers aux rencontres avec des prostituées et au trafic de fausse monnaie, l’organisation du « suicide » de Boris).

L’étude des groupes de personnages constitués grâce aux liens de sang ou de camaraderie ne suffit pas à rendre compte de la densité du réseau tissé par Gide entre les figures principales qui animent le roman. Des relations diverses s’établissent aussi entre les membres des différentes familles et leurs proches.

Les relations entre les familles

Le schéma suivant donne un aperçu de ces nombreuses connexions. Il ne tient compte que des personnages principaux et peut donc être complété.

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Astuce

Comme précédemment, Édouard est placé dans la famille Molinier parce qu’il est le demi-frère de Marguerite et, à ce titre, l’oncle d’Olivier et de Georges, mais on ignore son patronyme.

Les flèches simples traduisent une relation unilatérale, les doubles une réciprocité dans la relation ou dans les sentiments.

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Comme on peut le voir ici, c’est Édouard qui est au cœur du réseau le plus important. Ce point souligne l’importance de ce personnage, sorte de double de Gide.

  • Cela signifie-t-il pour autant qu’il est le personnage principal du roman ?

Le schéma montre aussi la place tenue par Bernard. De plus, le roman s’ouvre avec son départ de la maison parentale et se termine avec son retour : une boucle est bouclée.

  • Le but du romancier était-il de retracer l’évolution du personnage, de montrer comment il prend conscience de sa nature profonde et de ce qu’il ressent vraiment ?

Mais en réalité, même à la fin du roman, l’intrigue n’est pas vraiment close ; une autre s’amorce. « Je suis bien curieux de connaître Caloub » écrit Édouard dans son journal. C’est cette phrase qui clôt le roman.
Or, dans le Journal des Faux-Monnayeurs, Gide note :

« Ne pas amener trop au premier plan – ou du moins pas trop vite – les personnages les plus importants, mais les reculer, au contraire, les faire attendre. »

Caloub est bien présent depuis le début : on l’a vu pleurer à l’annonce du départ de son demi-frère Bernard, puis il est resté dans l’ombre. Dans une suite que le lecteur est libre d’imaginer, il deviendra certainement un proche d’Édouard.

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À retenir

S’appuyant sur les conceptions de Gide au sujet des héros romanesques, certains critiques ont fait de Caloub le véritable héros du récit.

Le lecteur des Faux-Monnayeurs peut aussi être frappé par les convergences qui rapprochent certains personnages ou les oppositions qui en font des figures antithétiques (opposées).

Convergences et oppositions

Le relevé qui suit n’est pas exhaustif mais s’intéresse seulement aux personnages principaux.

Bernard et Olivier / Édouard et Gide

On note dès le début du roman une série d’affinités entre Olivier et Bernard.

  • Ils ont le même âge et, au début du roman, ils sont tous les deux sur le point de passer leur baccalauréat.
  • Ils sont amis.
  • Leurs pères sont collègues au ministère de la Justice et travaillent sur l’affaire des orgies organisées entre adolescents et prostituées.
  • Olivier écrit des poèmes et Bernard a des velléités d’écriture (partie II, chapitre 4).
  • Tous les deux sont engagés par un homme plus mûr dans le cadre d’une activité littéraire : Bernard devient le secrétaire d’Édouard et Olivier le rédacteur en chef de la revue littéraire Avant-Garde dirigée en sous-main par Robert de Passavant (partie II, chapitre 6). De plus, Robert et Édouard sont tous deux homosexuels.
  • Tous les deux partent en voyage avec leur employeur : Bernard à Saas-Fée en Suisse (partie II) et Olivier en Corse, à Vizzavone, avec Robert (partie II, chapitre 6).
  • Ces deux collaborations tournent court : Bernard devient finalement surveillant à la pension Vedel-Azaïs, et Olivier est démis de ses fonctions de rédacteur de la revue au profit de Strouvilhou.

Comme on le voit, les trajectoires des deux jeunes garçons présentent de nombreux points communs. Cela relève en partie du fait que leur amitié n’est pas dénuée d’instinct de propriété.

  • Olivier décide de partir en Corse avec Robert parce que Bernard est parti en Suisse avec Édouard et qu’il en est jaloux.

Surtout, on retrouve ici les caractéristiques de la mise en abyme. En effet, dans une mise en abyme, le reflet de l’œuvre inséré dans l’œuvre elle-même ne lui est pas toujours totalement fidèle. Ainsi, dans l’Autoportrait de Gumpp par exemple, on voit l’artiste en train de se peindre mais, des deux toiles, celle qui représente l’autre (c’est-à-dire la toile réelle, celle qui est exposée dans une musée) est achevée alors que la toile qui est représentée n’est pas terminée.

Johannes Gumpp, Autoportrait, 1646 Johannes Gumpp, Autoportrait, 1646

De plus, le point de vue d’après lequel le modèle est peint diffère d’une toile à l’autre : celle qui est achevée nous propose deux points de vue différents sur l’artiste, vu de face et de dos ; alors que celle qui est en cours d’exécution le montre uniquement de face.

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À retenir

La toile qui inclut est plus riche puisqu’elle est double et même triple grâce au reflet du peintre dans un miroir. On peut en dire autant du roman de Gide : il est terminé alors que celui d’Édouard est en gestation ; de plus, il inclut à la fois le projet littéraire d’Édouard et son journal qui raconte certains événements, mais il en dit plus.

Par exemple, dans le roman, nous assistons au suicide de Boris et pourtant, dans son journal, Édouard écrit :

« je ne me servirai pas pour mes Faux-Monnayeurs du suicide du petit Boris ; j’ai déjà trop de mal à le comprendre. Et puis je n’aime pas les faits divers. »

Or, le Journal des Faux-Monnayeurs retrace le fait divers qui a inspiré Gide pour cet épisode tragique en reprenant un article du journal de Rouen du 5 juin 1909 (pages 103 à 105).

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À retenir

Édouard n’est donc qu’un double imparfait ou un avatar de Gide. C’est cette même relation de double imparfait qui unit le roman de Gide et celui d’Édouard ainsi que les personnages de Bernard et d’Olivier.

Édouard et Passavant

Romanciers tous les deux, ils semblent aux antipodes l’un de l’autre dans leurs conceptions littéraires : Robert de Passavant cherche avant tout le succès ; la littérature n’est pour lui que le moyen d’y parvenir. Édouard, lui, considère la littérature comme un but en soi. Il écrit pour les générations futures, avide de renouvellement : « Quels problèmes inquièteront demain ceux qui viennent ? C’est pour eux que je veux écrire » (partie I, chapitre 12) et d’authenticité : « Ai-je eu raison de laisser rééditer ces vieilleries ? Elles ne répondent plus à rien de ce que j’aime à présent. ». Passavant, au contraire « plaît aux jeunes. Peu lui chaut l’avenir. C’est à la génération d’aujourd’hui qu’il s’adresse. »

  • Faut-il voir dans cette opposition une autre déclinaison de la mise en abyme ?

On peut l’affirmer si on tient compte du fait que l’image reflétée dans un miroir est en fait toujours inversée par rapport à celui qui s’observe.

Bernard et Laura / Bernard et Sarah

Un autre exemple d’opposition est offert par la relation entre Laura et Bernard dans un premier temps puis par celle entre le même Bernard et la sœur de Laura : Sarah.

La première relation est platonique : Bernard se met au service de Laura, il veut la sauver. Il s’offre tout entier à elle sans attendre de réciprocité.

Plus tard dans le roman, il rencontre Sarah, la sœur de Laura. Il est frappé par leur ressemblance : « C’était le même front, les mêmes lèvres » (partie III, chapitre 8). Leur relation sera uniquement physique (partie III, chapitre 9).

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À retenir

Les deux sœurs, par ce qu’elles offrent chacune à Bernard, s’opposent et se complètent.

Conclusion :

La richesse et la complexité du roman de Gide apparaissent clairement lorsqu’on étudie ses personnages. De nombreux types de relations s’établissent entre eux et plus un personnage est important, plus le nombre de ses connexions avec les autres l’est aussi.

Cependant, l’étude de ces connexions ne suffit pas à déterminer quel personnage du roman est le personnage principal.

Enfin, on retrouve des déclinaisons de la technique de la mise en abyme dans la manière dont certains personnages se répondent, soit qu’ils constituent des formes de doubles les uns des autres, soit, au contraire, qu’il s’agisse de figures opposées.