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Modèles démographiques : comprendre l’évolution quantitative des populations
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Introduction :
Dans le cours précédent, « Origine et évolution de la biodiversité », nous avons notamment découvert comment estimer une population, en prenant l’exemple du nombre de batraciens dans un étang.
Or, si estimer une population est indispensable, il est tout aussi important, si ce n’est plus, d’ensuite étudier l’évolution de cette population, c’est-à-dire de savoir si, au fil du temps, son effectif diminuera, restera constant ou augmentera.
Par exemple, prévoir que la population d’une espèce va décroître jusqu’à disparaître peut permettre de prendre les dispositions nécessaires à sa sauvegarde avant qu’il ne soit trop tard.
Ou, à l’inverse, il peut être important de se rendre compte qu’une espèce croîtra tant qu’elle finira par mettre en danger son écosystème.
Ainsi, dans ce cours, nous allons découvrir comment modéliser mathématiquement l’évolution des effectifs d’une population, grâce à des suites numériques particulières : les suites arithmétiques pour le modèle linéaire et les suites géométriques pour le modèle exponentiel.
Cela nous permettra d’étudier le raisonnement de Malthus et d’en comprendre les limites.
Enfin, à travers un exemple concret, celui de l’évolution de la population japonaise, nous verrons comment appliquer le modèle exponentiel.
Modèle linéaire et suites arithmétiques
Nous allons commencer par le modèle le plus simple et, pour cela, nous allons nous servir de l’exemple des batraciens du cours précédent.
Modèle théorique
Nous avions estimé à le nombre de batraciens dans l’étang. Nous prenons donc cet effectif pour référence (c’est l’année ).
De plus, en considérant le nombre théorique de décès et de naissances par an, nous supposons que la population diminue chaque année de individus.
Année | Effectif |
Nous voyons que tous les points sont alignés.
Sous les hypothèses de notre exemple, la décroissance de la population des batraciens est dite linéaire (elle « suit » une droite).
Modèle linéaire :
Une grandeur discrète varie de manière linéaire en fonction d’un palier entier si sa variation absolue est constante.
Dans ce cas, les points sont alignés et situés sur une droite.
Reprenons notre exemple et déterminons l’équation réduite de la droite, qui sera de la forme , comme nous avons appris à le faire en classe de seconde.
Nous remarquons qu’il est égal à la variation absolue, c’est-à-dire à la différence d’effectif d’une année à l’autre.
est ainsi égal à , c’est-à-dire à la valeur de l’effectif de référence, à l’année .
Si le palier qui nous intéresse ici est l’année, nous pouvons également choisir n’importe quel autre palier (décennie, quart de siècle, siècle, etc.), dans la mesure où ce choix est pertinent dans l’étude concernée.
Suites arithmétiques
Dans notre modèle linéaire précédent, nous avons dit que la variation absolue de l’effectif des batraciens est constante et égale à .
Autrement dit, si nous considérons deux années consécutives quelconques et , et leurs effectifs respectifs et , nous avons logiquement :
Suite arithmétique :
Une suite est arithmétique si et seulement si il existe un réel tel que, pour tout :
Considérons le premier terme de la suite .
Nous pouvons représenter l’évolution de la manière suivante, jusqu’à :
Pour passer d’un terme au suivant, nous ajoutons toujours le même nombre : la raison .
En particulier, pour passer de à , nous ajoutons fois à et obtenons .
On considère une suite arithmétique de premier terme et de raison . Alors, pour tout :
Reprenons l’exemple des batraciens, la suite est une suite arithmétique de premier terme et de raison . Son terme général est :
Calculons maintenant :
Approfondissons encore un peu notre étude de l’évolution de la population des batraciens. La raison de la suite arithmétique qui la modélise est strictement négative.
Soit une suite arithmétique de raison .
Comme nous nous intéressons à des effectifs, ceux-ci ne peuvent pas être négatifs.
En revanche, ce qui nous intéresse lorsque la suite est décroissante, c’est de savoir à quel rang s’annulera, car cela correspond tout simplement à l’extinction de l’espèce étudiée.
Pour les batraciens, cela donne :
Si rien n’est fait, ans après le début de l’étude, les batraciens auront disparu de l’étang.
Remarquons que nous pouvons lire cette information directement sur la représentation graphique que nous avons donnée dans le premier paragraphe.
À un modèle linéaire, nous pouvons associer une suite dite arithmétique, dont le terme général est donné par la formule :
Modélisation réelle
Dans la pratique, les observations expérimentales ne correspondent jamais précisément aux prévisions théoriques.
Cependant, lorsque la variation absolue d’une population entre
Nous allons donc donner la méthode pour effectuer cette régression linéaire, en l’appliquant sur l’exemple de la population de batraciens au moyen d’un tableur (nous pouvons aussi nous servir d’une calculatrice).
Régression linéaire :
Effectuer une régression linéaire revient à déterminer la droite la plus ajustée aux données de l’étude.
Il existe plusieurs méthodes ; dans ce cours, nous nous intéressons à la droite dite des moindres carrés, utilisée par les tableurs ou les calculatrices.
Reprenons donc notre exemple de la population de batraciens. Mais, cette fois, nous avons les relevés expérimentaux suivants, obtenus grâce aux techniques vues dans le cours précédent :
Année |
Effectif |
Sur la feuille d’un tableur :
Sur la feuille du tableur, une fois le graphique réalisé :
Le tableur nous donne donc l’équation de la droite de régression linéaire correspondant à nos données (nous arrondissons à l’entier le plus proche), qui nous indique la raison $r$ et le premier terme
Nous pouvons maintenant estimer la population pour chaque année
Par exemple, calculons
Par définition, le modèle linéaire ne convient plus dès lors que la variation absolue de la population change significativement d’un palier à l’autre.
Ainsi, la plupart du temps, il est utilisé pour modéliser l’évolution de ressources, plutôt que celle de populations.
Nous allons donc découvrir un nouveau modèle, dit exponentiel, plus utilisé dès qu’il s’agit de populations animales ou humaines et sur lequel repose celui de Malthus.
Modèle exponentiel et suites géométriques
Dans le modèle linéaire, la variation absolue, c’est-à-dire le nombre d’individus en plus ou en moins, est constante, ou presque constante, et ne dépend donc pas de l’effectif. Et c’est là sa principale limite pour étudier des populations animales ou humaines.
En effet, plus la population sera nombreuse, plus les nombres de naissances et de décès, par exemple, seront élevés.
Rappels et définition du modèle
Nous allons donc cette fois considérer que la variation absolue n’est plus constante, mais proportionnelle à l’effectif courant.
On appelle taux d’évolution, ou taux de variation, entre une valeur initiale
Ce taux peut être positif – augmentation – ou négatif – diminution –, il peut aussi bien sûr être nul – aucune évolution. Enfin, il peut être supérieur à
On lui associe un coefficient multiplicateur, égal à
Nous pouvons maintenant définir ce nouveau modèle, dit exponentiel.
Modèle exponentiel :
Une grandeur discrète
Dans ce cas, sa variation relative (ou taux d’évolution) est constante.
Dans la pratique, si le taux d’évolution est presque constant et que nous pouvons donc le considérer comme constant, nous utiliserons le modèle exponentiel.
En outre, de la même façon que nous avons associé à un modèle linéaire une suite arithmétique, nous allons associer à un modèle exponentiel une suite géométrique, que nous allons maintenant définir.
Suites géométriques
Nous allons étudier une population dont les taux de natalité
Taux de natalité :
« Le taux de natalité est le rapport du nombre de naissances vivantes de l'année à la population totale moyenne de l'année » (définition de l’Insee).
Taux de mortalité :
« Le taux (brut) de mortalité est le rapport du nombre de décès de l'année à la population totale moyenne de l'année » (définition de l’Insee).
Nous allons en outre considérer que, à aucun moment, l’effectif de la population ne s’annule.
Et nous nous intéressons à l’évolution de la population entre
Nous obtenons ainsi :
Nous reconnaissons en
Suite géométrique :
Une suite
Considérons une suite géométrique
Comme pour les suites arithmétiques, nous pouvons représenter l’évolution entre
Pour passer d’un terme au suivant, nous multiplions toujours par le même nombre : la raison
On considère une suite géométrique de premier terme
Comme nous nous intéressons ici à l’évolution de population, nous nous en tiendrons à des suites de raison et de premier terme strictement positifs.
Nous pouvons alors déterminer le sens de variation d’une suite géométrique grâce à sa raison.
Soit
Pour une suite strictement croissante, donc pour
Explicitons concrètement le lien entre la raison
Le taux de natalité est égal au taux de mortalité, le nombre de naissances à chaque palier est donc égal au nombre de décès.
Le taux de natalité est supérieur au taux de mortalité, le nombre de naissances à chaque palier est donc supérieur au nombre de décès.
Le taux de natalité est inférieur au taux de mortalité, le nombre de naissances à chaque palier est donc inférieur au nombre de décès.
Représentation graphique
Considérons l’évolution annuelle d’une population modélisée par la suite géométrique
Nous remarquons que la fonction représentée croît effectivement de plus en plus vite.
Pour l’évolution annuelle d’une population modélisée par une telle suite, nous pouvons déterminer graphiquement le temps de doublement de la population considérée :
Remarquons que nous trouvons des résultats équivalents quel que soit le point initial choisi.
Allons un peu plus loin, pour ceux qui suivent la spécialité « Mathématiques », qui connaissent la fonction exponentielle, éponyme du modèle, et qui découvrent cette année la fonction logarithme népérien.
Une suite géométrique
Nous nous sommes placés dans l’hypothèse où
0$ si $q>1$]}}}
\end{aligned}
Nous avons donc fait apparaître la fonction exponentielle, d’où le nom donné au modèle exponentiel et la qualification de croissance exponentielle.
Modèle de Malthus et modèle exponentiel
Thomas Malthus, économiste britannique des XVIIIe et XIXe siècles, publie en 1798 son Essai sur le principe de population, qui rencontre un vif succès, tout en déclenchant nombre de polémiques. Il fut le premier à appliquer le modèle exponentiel à l’étude de populations.
En nous fondant sur une citation de son ouvrage, nous allons voir comment, à partir d’un modèle exponentiel appliqué à l’évolution de la population britannique et en se servant également d’un modèle linéaire pour les ressources, il a travaillé sur le rapport entre l’évolution d’une population et ses moyens de subsistance.
« Comptons pour
« Au bout de
« Après une deuxième période de
« Dans la période suivante, la population – arrivée à
Modélisation mathématique
Considérons donc la suite
Nous avons donc :
Il s’agit donc d’un modèle exponentiel et nous pouvons donner le terme général de
Utilisons cette formule pour calculer, par exemple, la population prévue par ce modèle après
Dans la partie précédente, nous avons vu qu’un temps de doublement de la population de
Pour cela, considérons la suite
Nous obtenons ainsi, d’après le raisonnement donné :
Il s’agit donc d’un modèle linéaire et nous pouvons là aussi donner le terme général de la suite, pour tout entier naturel
Utilisons cette formule pour calculer le nombre de personnes qui peuvent être satisfaites selon ce modèle après
Interprétation
Nous avons calculé
Pour rendre encore plus évident ce déséquilibre, représentons sur un même graphe les deux modèles :
Pour remédier à ce déséquilibre, Thomas Malthus propose d’agir sur la production de ressources et, de manière plus polémique, de réduire significativement la croissance démographique.
Ainsi son nom sera-t-il utilisé pour nommer, en 1849, une doctrine tirée de ses travaux qui préconise un contrôle strict des naissances : le malthusianisme. Cette doctrine a notamment inspiré la politique chinoise de l’enfant unique, mise en œuvre jusqu’en 2015.
Toutefois, si le modèle de Malthus peut s’avérer efficace sur des périodes courtes, il s’avère inutile sur des périodes plus longues, justement à cause des diverses limitations que peut connaître une croissance démographique.
En 1838, un mathématicien belge, Pierre-François Verhulst propose un modèle, lui aussi limité, où l’effectif d’une population tend à se stabiliser vers une valeur maximale.
Aujourd’hui, des modèles beaucoup plus élaborés existent. Mis à jour très régulièrement, ils prennent en compte les évolutions des ressources – nourriture, eau, énergie… –, les conditions climatiques, les politiques nationales et internationales, etc.
Pour mieux comprendre la nécessité de modèles plus élaborés, il suffit de songer à la dépendance qui existe entre les effectifs d’une espèce et les effectifs de l’espèce prédatrice : la population de la première dépendra de celle de la seconde, et inversement. Il est donc impossible d’étudier la population d’une espèce indépendamment de l’autre.
Une application : la population du Japon
Dans la dernière partie de ce cours, nous allons appliquer les définitions et propriétés que nous avons découvertes, ou redécouvertes, à un cas concret : l’évolution de la population du Japon, entre les années 1950 et 2010.
Cela nous permettra de voir à la fois l’efficacité du modèle exponentiel sur des temps courts et ses limites sur des périodes plus longues.
Nous disposons des recensements suivants de la population japonaise, de 1950 à 2010, par paliers de
Année | Effectif (en millions) |
1950 | |
1955 | |
1960 | |
1965 | |
1970 | |
1975 | |
1980 | |
1985 | |
1990 | |
1995 | |
2000 | |
2005 | |
2010 |
Modélisation : années 1950-1965
Pour cela :
Nous obtenons ainsi le tableau suivant :
Année | Effectif | Variation absolue | Taux d’évolution | |
1950 | ||||
1955 | ||||
1960 | ||||
1965 |
Nous remarquons que la variation absolue varie significativement.
En revanche, s’il y a des petits écarts pour le taux d’évolution, le considérer comme constant semble une approximation acceptable.
Considérons la suite
En effet, nous connaissons la population en 1965,
En nous servant de la calculatrice, nous trouvons :
Nous choisissons donc de modéliser l’évolution de la population par une suite géométrique, de premier terme
Calculons la population en 1955 et 1960 prévue par ce modèle :
Si nous comparons ces résultats aux recensements réels (respectivement
Efficacité du modèle : années 1966-1980
Nous allons maintenant appliquer ce modèle pour estimer les effectifs de la population de 1966 à 1980, arrondis à
Année | $n$ | Effectif |
Année | $n$ | Effectif |
|
1966 | 1974 | |||||
1967 | 1975 | |||||
1968 | 1976 | |||||
1969 | 1977 | |||||
1970 | 1978 | |||||
1971 | 1979 | |||||
1972 | 1980 | |||||
1973 |
Si nous comparons les valeurs réelles pour les années 1970 (
Limites du modèle : années 1981-2010
Continuons à nous servir du modèle pour estimer la population japonaise en 1985 :
Ce que nous confirment les termes suivants de la suite
Au fil du temps, l’écart entre le modèle et les données réelles ne cesse de grandir.
Méthodologie
Pour conclure ce cours, donnons une méthodologie à appliquer lors de la modélisation d’une évolution de population.
Conclusion :
Nous avons découvert dans ce cours deux méthodes, assez simples, pour modéliser l’évolution d’une population :
Comme toujours en statistique, il convient de garder toujours à l’esprit les limites des modèles utilisés, pour ne pas donner des interprétations erronées et pour éviter de tirer des conclusions injustifiées, voire injustes.
Nous avons également vu que, dans un monde aux ressources finies, toute croissance infinie est inconcevable. Afin de prévoir précisément l’évolution d’une population, il faut ainsi prendre en compte de multiples paramètres : économiques, politiques, climatiques, sociologiques, etc.
L’on comprend alors tous les enjeux transversaux que recèle l’étude des dynamiques démographiques.