Fiche de lecture
Œdipe roi, Sophocle
Contexte

Contemporain de Périclès, Sophocle vit la grandeur d’Athènes, le déploiement de la cité-État et de la démocratie. S’il a écrit plus de 400 tragédies, seules 8 nous sont parvenues et montrent un auteur soucieux d’un certain réalisme psychologique, dont les personnages sont souvent des êtres esseulés, victimes autant que bourreaux de leur propre destinée qui se confond avec celle de la Cité. Car à travers le théâtre de Sophocle, c’est toute la société grecque qui se pense, se définit, oppose les logiques du sacré et du profane, pose la question de la légitimité du pouvoir et de la justice, et interroge la notion de libre arbitre alors même que le destin échappe.

Personnages

Œdipe : Roi de Thèbes, il apparaît dès le prologue comme un roi acclamé par son peuple, un souverain attentif qui souffre des malheurs de Thèbes. C’est un héros, un personnage que ses exploits (vaincre la Sphinx) ont placé au-dessus du commun des mortels. Il incarne le gouvernement juste, qui respecte autant les hommes que les dieux. Son caractère colérique et emporté, son hybris (démesure née de l’orgueil, qui conduit à un comportement au rebours des conventions sociales) sont aussi le signe d’une humanité qui ne peut être que limitée, défaillante, et toujours soumise au destin.
Jocaste : La reine a épousé Œdipe après la mort de Laïos, tué sur la route, et lui a donné 4 enfants. Si elle apparaît avant tout comme une compagne et un soutien pour le roi, elle sait aussi se montrer autoritaire et se faire la voix de la raison. Pour autant, c’est par elle que s’exprime l’ironie tragique de la pièce, qui la force à pratiquer un double langage et devenir par là l’un des instruments de la déchéance d’Œdipe.
Le coryphée : Chef du chœur, le coryphée intervient directement dans l’action de la pièce, sorte d’incarnation du peuple de Thèbes. Il a pour fonction dramatique d’apporter des informations et joue le rôle d’un conseiller raisonnable et avisé auprès d’Œdipe, symbole d’une cité soumise au roi mais suffisamment libre pour dialoguer avec lui.
Le chœur : Ensemble de thébains, le chœur n’intervient pas directement dans l’action mais la commente plutôt, et ne prend la parole que dans le cadre du parodos (premier chant du chœur), des stasimon (interruption de l’action par le chœur pour la commenter et l’analyser) et de l’exodos (dernier chant du chœur), à forte tonalité lyrique. Son « je » collectif lui permet d’incarner un intermédiaire entre le public et l’action reproduite sur scène, et de souligner la valeur didactique de la pièce.
Créon : Frère de Jocaste, c’est un homme raisonnable qui présente un sens aigu de son confort et de sa position, et dont les paroles sensées butent sans cesse contre la démesure d’Œdipe. Créon est le premier instrument du destin lorsqu’il vient rapporter les paroles de l’oracle. Il n’a pas la dimension héroïque du roi, mais incarne une forme de justice fondée sur l’humilité et le bon sens.
Tirésias : Le devin est traditionnellement la voix des dieux parmi les hommes et un détenteur de la vérité. Il répugne à avouer à Œdipe l’identité du meurtrier de Laïos. Le différent qui l’oppose au roi induit une opposition irréconciliable du profane et du sacré et permet de révéler l’aveuglement, encore métaphorique, d’Œdipe.
Le messager corinthien : Ce personnage, vite réduit à la fonction qu’il occupe, permet d’intégrer un faux coup de théâtre au 3e épisode puisqu’à cause de lui, Œdipe s’engage sur une fausse route, vers un soulagement qui n’a pas lieu d’être (il n’a pas tué Polybe, mais celui-ci n’est pas son père).
Le pâtre : Il s’agit encore d’un personnage qui n’a d’autre vertu que de révéler une vérité cachée, à savoir l’enfance d’Œdipe. Par sa bouche, la vérité devient incontournable et le destin du roi de Thèbes est scellé.

Thèmes

La tragédie et l’art théâtral : Œdipe roi satisfait à tous les canons de la tragédie grecque telle que définie dans la Poétique d’Aristote : structure strictement codifiée, présence d’une scène d’agôn (débat, confrontation), alternance de chants et de dialogues, auquel le philosophe ajoute les moyens du tragique (péripétie, reconnaissance de la vérité qui succède à l’ignorance, événement pathétique qui doit avoir lieu hors de la scène). L’originalité de Sophocle est de réduire sa pièce à une intrigue unique et de la construire comme une énigme à résoudre tournée non vers le présent, mais vers le passé.
Les métaphores structurantes : Le mouvement de la pièce est celui d’un lent dévoilement de la vérité. Les métaphores de l’aveuglement, métaphorique puis réel, et de la cécité, de Tirésias à Œdipe, permettent de construire l’opposition ignorance/savoir ou ténèbres/lumières.
La condition humaine : Roi devenu paria, Œdipe symbolise la fragilité de la condition humaine, sa soumission au destin qui la dépasse et qu’elle ne comprend souvent que trop tard. Pour autant, Œdipe n’est jamais un pantin, une force molle aux mains des dieux : en se crevant les yeux, en incarnant la faute, il embrasse l’intégralité de son destin et reste le sauveur de la cité qu’il avait juré de défendre.
Le bouc émissaire et le salut de la cité : « Tragédie » signifie « chant du bouc » et permet de replacer le théâtre dans le culte voué à Dionysos. Civique autant que religieuse, la tragédie est le lieu où la cité s’interroge sur elle-même et cherche des voies de salut. Le principe de la victime désignée (auto-désignée dans le cas d’Œdipe) permet la purgation des vices et des erreurs par l’évacuation de ceux-ci hors des murs sous les traits du pharmakos (bouc émissaire). Porteur des péchés des Labdacides et responsable de ses propres actes, Œdipe est doublement menaçant pour l’équilibre de la cité et gagne sa rédemption – et celle de Thèbes – par l’acceptation de son destin de paria.

Résumé

Prologue

Un prêtre supplie Œdipe, vainqueur du sphinx, de venir en aide à Thèbes, frappée par la peste. Entre alors Créon, frère de la reine Jocaste, qui était parti consulter l’oracle d’Apollon et annonce que la ville sera libérée de la peste quand « la souillure » qu’est le meurtre du roi Laïos aura été lavée. Œdipe jure de retrouver les assassins.

Parodos

Le chœur appelle les dieux au secours de Thèbes, dont il chante les malheurs.

Premier épisode

Œdipe proclame à nouveau devant le peuple de Thèbes son intention de châtier durement le meurtrier de Laïos. Le coryphée lui rappelle que seuls les dieux peuvent punir les coupables et que le roi fait preuve d’hybris (démesure née de l’orgueil, qui conduit à un comportement au rebours des conventions sociales). Le devin Tirésias entre en scène pour annoncer à Œdipe, qui le pousse à bout, qu’il est lui-même l’assassin recherché. Le roi ne veut rien entendre et préfère croire à un complot politique de la part de Créon. Le devin affirme que la souillure se trouve dans le foyer d’Œdipe et que la vérité éclatera, tandis que le pêcheur sera condamné à l’errance : « Ce jour te fera naître et mourir à la fois ».

Premier stasimon

Le chœur exprime ses doutes sur Œdipe, qu’il ne parvient pas à croire coupable.

Deuxième épisode

Créon demande à Œdipe de justifier ses accusations. Le roi s’entête dans la fausse piste du complot, bien que son beau-frère explique qu’il n’a jamais eu l’ambition de gouverner. La discussion s’envenime alors qu’Œdipe exige la mort de Créon et que celui-ci refuse de se soumettre à un roi injuste. L’intervention de Jocaste et du coryphée permettent d’infléchir la punition vers le bannissement. Pourtant lorsque Jocaste raconte à son époux les circonstances de la mort de Laïos, Œdipe commence à comprendre qu’il est bien le meurtrier du roi et l’avoue à la reine en lui racontant son enfance.

Deuxième stasimon

Le chœur se désole de ce que Thèbes a perdu la confiance des dieux et condamne la démesure des rois qui ouvre la porte à la tyrannie.

Troisième épisode

Un messager vient annoncer la mort de Polybe, roi de Corinthe et père d’Œdipe. Celui-ci se réjouit de voir que la prophétie ne s’est pas réalisée. Pourtant, le vieux messager révèle également qu’il sauva jadis le jeune Œdipe de son père Laïos qui cherchait à le tuer, pour le confier à Polybe. Jocaste comprend que son époux est l’enfant qu’elle a dû abandonner. Le témoignage d’un vieux serviteur confirme que Œdipe est bien le fils de Laïos.

Troisième stasimon

Le chœur chante le destin tragique d’Œdipe.

Exodos

Un messager vient annoncer la mort de Jocaste, qui s’est pendue dans sa chambre. Devant ce spectacle, Œdipe s’est crevé les yeux et veut exhiber sa faute dans toute la ville. Le roi désespéré affirme que, s’il a bien été puni par Apollon, il est seul responsable de ses maux. Créon, revenu d’une visite à l’oracle du dieu, accepte de bannir Œdipe de Thèbes, tout en lui permettant de parler une dernière fois à ses deux filles. Le coryphée conclut la pièce sur les vicissitudes de la vie humaine.

Citation

« Voilà comment j’entends servir et le dieu et le mort. Je voue le criminel, qu’il ait agi tout seul, sans se trahir, ou avec des complices, à user misérablement, comme un misérable, une vie sans joie ; et, si d’aventure je venais à l’admettre consciemment à mon foyer, je me voue moi-même à tous les châtiments que mes imprécations viennent à l’instant d’appeler sur d’autres. »

Premier épisode
« La démesure enfante le tyran. »

Deuxième stasimon
« Malheureux ! malheureux ! oui, c’est là le seul nom dont je peux t’appeler. Tu n’en auras jamais un autre de ma bouche. »

Troisième épisode
« Ah ! lumière du jour, que je te voie ici pour la dernière fois, puisque aujourd’hui, je me révèle le fils de qui je ne devais pas naître, l’époux de qui je ne devais pas l’être, le meurtrier de qui je ne devais pas tuer ! »

Troisième épisode