« Un cœur simple » appartient au recueil Trois contes de Gustave Flaubert (1821-1880), publié en 1877 après une lente gestation de près de 30 ans et présentant trois figures de l’imaginaire religieux. Pour l’auteur, en proie à des difficultés financières et à une panne d’inspiration dans l’écriture de Bouvard et Pécuchet, ce recueil représente une respiration. L’histoire de Félicité lui a été largement inspirée par la région et les souvenirs de son enfance, notamment la gouvernante qui passa plus de 50 ans au service de sa famille. L’intrigue est des plus simples : la vie d’une servante mourant saintement et prenant son perroquet pour le Saint-Esprit. Il note dans ses carnets qu’il a l’ambition d’écrire « un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presqu’invisible ».
Félicité : Une domestique dont le récit retrace la vie sur près de 50 ans. Elle est décrite comme pleine de bon sens et de bonne volonté, ne sachant où diriger son affection, entre un homme qui la rejette puis des enfants qui l’oublient, avant de finalement s’attacher à un perroquet. Elle fait aussi preuve d’une foi inébranlable, faite d’images aussi somptueuses que naïves. Madame Aubain : La patronne de Félicité, veuve de petite fortune et mère de deux enfants, est décrite comme une femme froide et hautaine, très attachée au respect des classes sociales. Elle se rapprochera brièvement de Félicité après la mort de sa fille. Paul et Virginie : Les deux enfants de Mme Aubain, s’ils sont attachés à la domestique dans leur enfance, ne tardent pas à se détacher d’elle, rattrapés par leur conscience de classe. Virginie meurt jeune, au couvent (comme la propre sœur de Flaubert) et Paul fait preuve d’un dilettantisme qui ne causera guère que des désillusions à sa mère. La population de Pont-l’Evêque : Pont-l’Evêque, pour la domestique qui n’a rien connu, représente la société dans son ensemble, avec ses bourgeois méprisants et une population rurale assommée de travail. Certains chercheront à nuire à la maisonnée Aubain, comme M. Bourais, mais tous reconnaissent la diligence et la bonté d’âme de Félicité. Victor : Il s’agit du neveu de Félicité, que celle-ci aime tendrement. Marin, voyageur au long cours, les récits de ses voyages permettent à la domestique de s’évader quelque peu. Mais il mourra jeune, de la fièvre jaune, à la Havane, sans avoir revu sa tante. Loulou : Le perroquet de Félicité lui a été donné par Mme Aubain, que l’oiseau agace. L’animal exotique, au plumage multicolore, est le dernier objet d’affection de la servante et se transforme dans son esprit en une image du Saint-Esprit.
Un portrait psychologique : L’intrigue d’« Un cœur simple » importe peu, car c’est le caractère de Félicité qui est l’enjeu du récit. Flaubert ambitionne ici de peindre une sainte moderne, dont la foi simple et facilement impressionnable finit par toucher au sublime. Bien que la vie de la domestique soit faite de deuils successifs, d’abandons, celle-ci reste fidèle dans ses affections, et soucieuse d’accomplir au mieux un travail ingrat et difficile, malgré une forme de bovarysme qui s’applique aux objets les plus incongrus, comme un perroquet. Le réalisme en question : Flaubert disait exécrer le réalisme, et l’étude documentaire (la région, les souvenirs d’enfance reconstitués) ne sert qu’à soutenir une écriture qui mêle volontiers des éléments exotique, voire fantastiques, aux actions les plus triviales. Il y a donc un contraste entre l’intrigue banale – et triste – et le traitement hagiographique que lui réserve l’auteur. Satire et ironie : La foi de Félicité, pour sincère qu’elle soit, n’en est pas moins naïve. L’auteur, qui s’est toujours affirmé anticlérical, entend montrer que la foi est ici un refuge, une échappatoire contre un monde laid et cruel. Parce qu’elle cherche toujours de nouveaux objets de culte, Félicité tombe dans l’idolâtrie en plaçant au milieu de ses images saintes un perroquet empaillé.
Chapitre 1
Chapitre 1
Félicité est domestique au service de Mme Aubain, une veuve aux revenus modestes. Elle mène une vie pieuse, austère et frugale qui la fait vieillir prématurément, mais tout le monde loue la qualité de son travail.
Chapitre 2
Chapitre 2
L’enfance de la domestique n’a pas été très heureuse. Orpheline, recueillie par un fermier qui la battait, elle n’a connu qu’une seule fois l’amour, sous les traits de Théodore, avant de découvrir que son fiancé s’était en fait déjà marié à une femme riche. Elle rencontre par hasard Mme Aubain qui l’engage comme cuisinière. Elle se révèle rapidement indispensable, car ferme et pleine de bon sens. Son sang-froid la sauvera également d’un taureau qui la charge. La veuve est aussi distante avec ses deux enfants que Félicité est affectueuse, et voit d’un mauvais œil cette familiarité. Elle finira par envoyer Paul, son fils aîné, en pension.
Chapitre 3
Chapitre 3
C’est en menant Virginie, cadette de Mme Aubain, au catéchisme que Félicité fait son éducation religieuse, ce qui l’emplit de ravissement. Lorsque la veuve décide d’envoyer sa fille au couvent des Ursulines pour parfaire son éducation, Félicité se retrouve seule et désemparée et se console en invitant son neveu Victor qui l’amuse par ses récits de voyage. Lorsque les enfants rentrent à la maison, la distance et la gêne s’installent entre eux et la domestique. En 1819, Paul annonce qu’il s’est engagé dans la marine. Félicité tente de soigner son chagrin par la prière et se concentre sur Victor, également parti sur les mers, et les voyages qu’elle imagine la terrifient et la ravissent à la fois. Elle finit par apprendre que Victor est décédé de la fièvre jaune. Virginie, de santé fragile, s’étiole lentement. Félicité tente de réconforter Mme Aubain, mais la jeune fille finit par succomber à la fièvre. Ce sera la domestique qui se chargera de sa dernière toilette et de veiller le corps. Par la suite, Félicité visitera sa tombe tous les jours. Les années s’écoulent, rythmées par les fêtes religieuses, par quelques événements extérieurs comme la révolution de Juillet (1830). Les deux femmes tentent de faire revivre les souvenirs de la morte et finissent par se rapprocher. Félicité trouve l’apaisement dans la charité et vient en aide au voisinage. À la mort du sous-préfet, leur voisin, le domestique de celui-ci offre à Mme Aubain le perroquet du défunt.
Chapitre 4
Chapitre 4
Félicité récupère le perroquet, nommé Loulou. Elle le soigne, tente de l’instruire, et se ronge les sangs quand l’animal fugue. S’établit un parallèle entre l’oiseau et la domestique, tout deux moqués et souvent dénigrés par leur entourage. Un coup de froid la rend sourde et la domestique se réfugie dans la foi, se coupant progressivement du monde, à l’exception du perroquet. Lorsque l’oiseau est retrouvé mort un matin, Félicité est si désespérée que Mme Aubain lui suggère de le faire empailler. La vie suit son cours : Paul, revenu de son voyage au long cours, se marie. Mais sa jeune épouse est odieuse. Mme Aubain meurt en 1853, d’une maladie inconnue, au grand dam de Félicité. Les héritiers souhaitant vendre la maison, la domestique se désole de devoir trouver un nouvel abri à son oiseau empaillé. Mais le temps passe, Félicité vieillit et la maison tombe en ruine sans trouver acquéreur. La vieille femme contracte une pneumonie mais son seul souci est le reposoir de Loulou. Alitée, ayant reçu les derniers sacrements, elle embrasse une dernière fois le perroquet dont le corps est rongé par les vers et la pourriture.
Chapitre 5
Chapitre 5
Félicité se meurt. Les voisins se sont réunis, de même que le curé et les enfants de chœur. Entourée des fastes de la religion, la domestique s’éteint en croyant voir un immense perroquet voler au-dessus de son lit.
« Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage, cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle à sa maîtresse, – qui cependant n’était pas une personne agréable. »
Chapitre 1 « Elle croyait voir le paradis, le déluge, la tour de Babel, des villes en flammes, des peuples qui mouraient, des idoles renversées ; et elle garda de cet éblouissement le respect du Très-Haut et la crainte de sa colère. »
Chapitre 3« Ils avaient des dialogues, lui, débitant à satiété les trois phrases de son répertoire, et elle, y répondant par des mots sans plus de suite, mais où son cœur s’épanchait. »
Chapitre 4 « Les mouvements de son cœur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s’épuise, comme un écho disparaît ».
Chapitre 5