Fiche de lecture
Armance, Stendhal
Contexte

En 1827, Stendhal a essentiellement publié des textes sur l’Italie et l’art italien, ainsi que quelques pamphlets littéraires. Armance est son premier roman.

Armance est en partie inspiré d’Olivier ou le Secret de Claire de Duras, dont le propos, l’impuissance masculine, est similaire quoi que moins voilé, et qui a été écrit entre 1821 et 1823, soit moins d’une décennie avant Armance. L’impuissance masculine était alors un thème qui fascinait le monde littéraire et qui était souvent utilisé pour parler de façon détournée de l’homosexualité, sujet alors absolument tabou. La particularité d’Armance est que cette caractéristique de son personnage n’est jamais directement évoquée et qu’il faut se fier à des lettres de Stendhal pour affirmer que telle était bien son interprétation de son héros. C’est peut-être pour cette raison que ce roman, peu compréhensible sans cette information, a été peu apprécié au moment de sa parution.

Personnages

Octave de Malivert : Jeune homme de vingt ans tout juste sorti de l’École polytechnique, il est décrit comme ayant « beaucoup d’esprit, une taille élevée, des manières nobles, de grands yeux noirs les plus beaux du monde ». Mais c’est aussi un être mélancolique qui a parfois de subites crises de colère.
Armance de Zohiloff : Elle est issue d’une noble famille russe désargentée et a été recueillie par madame de Bonnivet. Elle est droite et loyale.
La marquise de Malivert : La mère d’Octave est très préoccupée par l’état de son fils dont l’alternance de tristesse et de colère l’inquiète. Elle voudrait le marier à Armance.
La comtesse d’Aumale : C’est une amie de la famille Malivert. Elle tient un salon où se réunit la bonne société. Femme intelligente et d’une grande finesse psychologique, elle devine les sentiments de ses deux jeunes amis.

Thèmes

La société française des débuts de la Restauration : Un intérêt de ce roman est de peindre la société française des débuts de la Restauration. Plus qu’un simple décor, il s’agit pour Stendhal de faire la critique de cette période. Les préoccupations sociales apparentes des deux héros, s’inquiétant de leur rang et de leur fortune, témoignent de la frivolité de cette époque assez peu héroïque aux yeux de Stendhal.
L’amour : Le thème majeur en est cependant l’amour, comme souvent chez Stendhal, et plus précisément la naissance et les développement du sentiment amoureux, analysé dans ses moindres détails et dans la variété de ses formes. Octave passe ainsi d’un sentiment refoulé à une amitié pleine d’admiration qui se change finalement en véritable passion. Chez Octave comme chez Armance, les sentiments donnent lieu à tout un jeu de chassé-croisé, de dissimulations, non-dits, mensonges et rumeurs.
Le secret : Les complications sont si nombreuses qu’elles rendent l’intrigue peu crédible, même pour les lecteurs contemporains de Stendhal. Le goût du secret et le refus de vivre un amour réel et partagé ne peut s’expliquer par le seul romantisme des personnages. La clef n’est pas explicitement dévoilée puisqu’Octave déchire la lettre dans laquelle il révèle son secret. Stendhal en donne l’explication : Octave est impuissant suite à une maladie qui l’a frappée dans sa jeunesse et qui est également la cause de ses accès de fureur. Il ne dit rien d’Armance, dont le comportement est également curieux. Elle partage avec son ami un goût du secret, et son refus de l’épouser ne peut s’expliquer uniquement par son manque d’argent. Dans une scène où elle se regarde dans le miroir, Stendhal la décrit ainsi :
« En se levant elle se regarda dans une glace et vit qu’elle était hors de se montrer à un homme. Ah ! s’écria-t-elle en se laissant tomber de désespoir sur une chaise, je suis une malheureuse perdue d’honneur et perdue aux yeux de qui ? aux yeux d’Octave… »

Peut-être faut-il comprendre qu’elle souffre, comme d’Octave, d’un défaut physique, ou plus simplement d’une grossesse, qui disparaît opportunément mais qui la laisse selon elle avec l’indignité d’avoir perdu sa virginité.

Résumé

Dans un avant-propos, Stendhal dit ne pas être l’auteur du texte qui va suivre mais avoir seulement fait éditer un manuscrit qu’on lui a remis. Il définit également, dans un passage resté célèbre, le roman comme un miroir tendu au public.

Octave de Malivert a vingt ans et sort de l’École polytechnique. C’est un très beau jeune homme, spirituel mais mélancolique, aimant la solitude et profondément attaché à sa mère. Il éprouve depuis toujours un sentiment de différence.

Une loi d’indemnité a été votée, qui rend possible l’indemnisation des nobles ruinés par la Révolution. Octave devient riche. Sur les conseils de sa mère, il fréquente le salon de madame de Bonnivet où il fait la connaissance de sa cousine Armance de Zohiloff, très belle jeune fille issue de l’aristocratie russe.

Octave comprend qu’Armance, contrairement aux personnes qu’il fréquente, ne s’intéresse pas à lui pour son argent. Il pense de plus en plus à elle, essaye de la voir en tête à tête, ce qu’elle refuse. Pourtant, il est persuadé de ne pas en être amoureux.

Armance, quant à elle, est tombée amoureuse d’Octave, qui est maintenant un jeune homme très en vue. Mais de peur de passer pour une opportuniste, elle ne veut avouer son amour et prétexte un mariage mystérieux auquel elle serait promise. Octave est vexé, mais il s’est lui-même promis de ne pas se marier avant ses vingt-six ans.

Octave fréquente assidument l’hôtel de Bonnivet et il craint de donner naissance à des rumeurs. Afin de les éviter, il fait croire qu’il est amoureux de la comtesse d’Aumale. Armance est jalouse. Mais quand la mère d’Octave confie à Armance son désir de voir son fils l’épouser, elle repousse cette idée. Elle se trouve en effet de condition trop modeste pour s’unir à ce riche aristocrate et ne veut pas que l’on dise d’elle qu’elle l’épouse pour son argent.

Lors d’un séjour au château d’Andilly, Octave avoue à Armance que la comtesse d’Aumale n’est pour lui qu’un prétexte à rester près d’elle : Armance en est très heureuse. Mais plus tard, lorsque la comtesse parvient à convaincre Octave qu’il aime Armance, il est désespéré. Ce retournement le conduit à prétendre à Armance qu’il ne l’aime pas. La jeune fille s’évanouie. Pendant qu’elle est inconsciente, Octave lui dit qu’il l’aime.

De retour à Paris, Octave, pris dans une querelle, se bat en duel. Il parvient à tuer son adversaire mais il est grièvement blessé. Il écrit à Armance une lettre rédigée avec son propre sang. Armance accourt. Comme un médecin a pronostiqué une mort prochaine, les jeunes gens se parlent enfin librement et s’avouent leur amour. Mais Armance lui fait promettre de ne jamais la demander en mariage.

Octave guérit. Il est heureux auprès d’Armance.

Suite à un décès, Armance hérite d’une forte somme d’argent. Un quiproquo sépare à nouveau le couple, chacun croyant l’autre attiré par une tierce personne. Mais le malentendu est rapidement levé. Madame de Malivert parvient à les convaincre de ses marier.

Octave, cependant, est inquiet. Il dit à Armance qu’il porte en lui un « secret affreux » qui fait de lui un « monstre ». Il rédige une lettre révélant les détails de son secret. Mais avant qu’il ne l’envoie, il est victime d’une malveillance. Le frère de Madame de Malivert, qui est contre ce mariage, écrit une fausse lettre, qu’Armance aurait envoyée à une amie, et dans laquelle elle confie ne plus aimer Octave. Lorsque le jeune homme lit cette lettre, il déchire la sienne et résout de se marier et de mourir. Quelques jours après son mariage, il part effectivement en Grèce se battre contre les Turcs et y meurt trois jours après.

Citation

« Depuis trois quarts d’heure le cœur d’Octave était abreuvé d’amertume, il fut saisi de cette idée : Armance ne me fait pas de compliment, elle seule ici est étrangère à ce redoublement d’intérêt que je dois à de l’argent, elle seule ici a quelque noblesse d’âme. Et ce fut pour lui une consolation que de regarder Armance. Voilà donc un être inestimable, se dit-il, et comme la soirée s’avançait, il vit avec un plaisir égal au chagrin qui d’abord avait inondé son cœur qu’elle continuait à ne point lui parler. »
« Une imagination passionnée le portait à s’exagérer les bonheurs dont il ne pouvait jouir. S’il eût reçu du ciel un cœur sec, froid, raisonnable, avec tous les autres avantages qu’il réunissait d’ailleurs, il eût pu être fort heureux. Il ne lui manquait qu’une âme commune. »
« Oui, chère amie, lui dit-il en la regardant enfin, je t’adore, tu ne doutes pas de mon amour ; mais quel est l’homme qui t’adore ? C’est un monstre. »
« Il reconnut qu’une légèreté de tous les moments rend tout esprit de suite impossible ; il s’aperçut enfin que ce monde qu’il avait eu le fol orgueil de croire arrangé d’une manière hostile pour lui n’était tout simplement que mal arrangé. »