André Gide et Paul Valéry se rencontrent en 1890 par l’intermédiaire de Pierre Louÿs, grand ami de Gide, qui avait rencontré Valéry à Montpellier et l’avait recommandé à son ami. Les deux jeunes hommes étaient de la même génération et avaient une vingtaine d’année, Gide étant de deux ans l’aîné de Valéry. Leur amitié dura jusqu’à la mort de ce dernier et fut sans faille. Gide avait rencontré avec Valéry un interlocuteur de valeur, bien souvent d’opinions contraires aux siennes. Quant à Valéry, il trouvait en Gide une oreille capable de l’entendre et de le comprendre.
Leur correspondance couvre les années 1890 à 1942 et a été publiée une première fois en 1955. Une nouvelle édition, en 2009, ajoute 176 lettres qui avaient été volontairement omises dans la première édition.
L’évolution des deux auteurs : Les premières années les montrent entièrement sous le charme de Mallarmé, auquel ils vouent tous deux un culte. Puis on les voit se détacher de l’idéal mallarméen de l’art pur et de l’esthétisme fin de siècle. Leur langue, d’abord précieuse et maniérée, devient plus vivante et naturelle – surtout celle de Valéry, qui sera toujours plus spontané que Gide. Les lectures : Outre leurs observations du monde littéraire et la narration de quelques anecdotes mondaines, ils font part de leurs admirations pour leurs auteurs fétiches tels que Huysmans ou Poe. Il s’agit alors pour chacun de faire partager ses émerveillements de d’inciter l’autre à quelques lectures précises. Ainsi, le 26 octobre 1896, Gide écrit à Valéry : « Lis donc L’Idiot de Dostoïevsky. J’attends pour en parler d’avoir fini Les [Frères] Karamazof – mais jusqu’à présent, je trouve ça presque très mauvais – procédeux et… intéressant. Lis donc L’Idiot. » L’affaire Dreyfus : Un autre événement majeur de cette correspondance, l’affaire Dreyfus, était totalement absent de la première édition. Il était pourtant évident que cette affaire devait occuper leurs conversations. Valéry se montre très anti-dreyfusard, ce qui est probablement la cause de la censure initiale, et Gide, relativement hésitant, est dreyfusard, quoi que sans fermeté. Les personnalités des auteurs : L’intelligence et la personnalité de Valéry dominent cette correspondance comme elles devaient probablement dominer cette amitié. Il apparaît bien plus authentique et naturel que Gide, qui se dissimule toujours un peu. Mais ce manque de naturel, qui tenait en partie au caractère de Gide, s’explique également par le fait que Gide a longtemps caché son homosexualité à son ami. Lorsque Valéry lui confiait son étonnement, sa gêne ou son incompréhension devant Saül, Gide ne lui fournit pas l’explication pourtant évidente et préfère laisser son ami dans l’incompréhension. Mais lorsque Gide lève le voile sur sa sexualité, avec Corydon d’abord, puis avec Si le grain ne meurt, Valéry ne manifeste aucun étonnement ni réprobation.
Gide manifeste dans cette correspondance combien il est conscient de l’intelligence et de la supériorité de son ami. Leurs échanges se font toujours sur le ton très libre de la conversation familière, avec d’avantage de sincérité du côté de Valéry, d’avantage de pudeur du côté de Gide, mais toujours dans un soucis de recherche de la vérité. On ne trouve ni médisance ni ragots dans leurs lettres.
Cette correspondance retrace cinquante-cinq ans d’amitié et d’admiration littéraire. Les trois quarts des lettres sont cependant antérieures à 1900 et s’espacent lorsque les auteurs atteignent la trentaine. Elles constituent donc un témoignage précieux sur leur formation intellectuelle et littéraire.
« Je rêve des trucs impossibles ; je deviens inventeur des jouets du Jour de l’an sans emploi. Je fais des remarques honnêtes, je fume, je m’embête, je m’éreinte la nuit, je fais des haltères, j’ai brisé deux montres, je commence des calculs, je reprends mon système, je vais retrouver Louÿs au d’Harcourt, les jours s’oxydent, et tantôt un appel épatant de trompette qui dure une seconde… »
Paul Valéry à André Gide, lettre de 1895
« Ah ! comme c’est difficile d’écrire sitôt qu’on commence à y penser. »
André Gide à Paul Valéry, 12 janvier 1898
« Ma principale “maladresse” consiste à écrire chaque nouvelle œuvre contre la précédente. »
André Gide à Paul Valéry, le 29 octobre 1899
« J’ai pensé dans mes tramways à ce que tu m’as dit. Chose énorme. Mes impressions propres sur cet aspect de toi sont curieuses, et d’une complexité infiniment rare chez moi ; moi (quoi qu’on dise) étant simpliste, simplicissimus.
Je crois qu’il n’y a pas de types plus différents entr’eux que toi et moi, et donc plus intéressants l’un pour l’autre, puisqu’en sus de ladite différence, il y a la condition capitale : que nous pouvons tout entendre l’un de l’autre. »
Paul Valéry répondant à André Gide qui se demande s’il doit publier Corydon et Si le grain ne meurt où il est question de son homosexualité, 31 octobre 1923