Fiche de lecture
De l’esprit des lois, Montesquieu
Contexte

Publié à Genève sans nom d’auteur afin de contourner la censure, De l’esprit des lois est l’essai le plus connu de Montesquieu. Il y esquisse une théorie des types de gouvernements et une typologie des lois sur des critères essentiellement pratiques, et non sur des vérités générales ou sur des valeurs idéologiques ou religieuses, ce qui fait l’originalité de l’œuvre. Celle-ci est d’ailleurs amplement critiquée, et même mise à l’Index en 1751 (l’Index est un registre de l’Église qui liste toutes les œuvres jugées néfastes et indignes d’êtres lues par les catholiques). Le livre est en revanche bien reçu par l’encyclopédiste d’Alembert, qui se trouve d’ailleurs être le fils naturel de Mme de Tencin, qui apporte une aide financière à Montesquieu pour la publication de son ouvrage.

Dans une optique plutôt pragmatique, Montesquieu cherche à définir quelles sont les lois les plus efficaces au sein d’un système et d’un peuple donnés. Les différents facteurs déterminant le type de loi le plus adapté forment donc ce qu’il appelle « l’esprit » des lois : le régime politique visé, les caractéristiques physiques du pays, et les mœurs du peuple.

Cet ouvrage politique majeur a contribué, à l’instar du Contrat social de Rousseau, à jeter les bases philosophiques de la démocratie moderne.

Thèmes

La politique : L’objet du livre est de définir sur quels principes s’appuie la loi, et de distinguer les différents types de régimes politiques. À chaque type de régime correspondent des types de lois. Montesquieu semble ne pas vraiment trancher entre la monarchie et la démocratie, et garder un point de vue extérieur : en effet, son optique est davantage pragmatique qu’idéologique.
La liberté : Pour Montesquieu, la liberté est essentielle pour la pérennité des régimes. Il la définit comme « le droit de faire tout ce que les lois permettent » (livre XI, chapitre 3). Par ailleurs, le régime despotique fait l’objet de critiques tout au long du livre. Celui-ci, en effet, est corrompu par nature et tend à sa propre perte ; la liberté est donc indispensable d’un point de vue pragmatique.

Résumé

De l’esprit des lois est un ouvrage très dense, qui expose les grandes lignes de la pensée de Montesquieu tout en alternant avec des passages d’études de cas qui montrent une grande érudition dans le domaine du droit. Après chaque passage général, Montesquieu appuie son argumentaire par des exemples issus des régimes politiques passés, comme ceux d’Athènes ou de Rome. Il expose une série de principes, dont voici les principaux.

Le premier principe consiste à dire que chaque chose dans l’univers est dominé par des lois intemporelles. En cherchant à définir les lois qui gouvernent la nature, Montesquieu s’oppose à Hobbes, un philosophe du XVIIe siècle. En effet, si pour ce dernier l’état de nature correspond à un état de guerre, pour Montesquieu, il s’agit d’un monde où règnent la peur et la méfiance, où chacun fuit ses semblables. Il définit quatre lois régissant la vie de l’Homme dans l’état de nature : l’idée de Dieu, la quête de la nourriture, le désir de se reproduire, et l’aspiration à vivre en société.

L’état de guerre ne commence qu’au moment où la société se construit. Dans une société, Montesquieu distingue trois types de lois : les lois qui concernent les relations entre les peuples, qu’il appelle « le droit des gens », les lois concernant les rapports des puissants face à ceux qu’ils gouvernent (« le droit politique »), et les lois définissant les relations entre citoyens (« le droit civil »).

Le philosophe pose ensuite la question de savoir quelle est la meilleure forme de gouvernement. La réponse est à la fois simple et complexe : le meilleur gouvernement est celui qui est le plus adapté aux caractéristiques du peuple qu’il doit régir. Ce gouvernement doit donc correspondre au régime politique visé, aux caractéristiques physiques du pays (géographie, climat), et aux mœurs (religion, commerce).

Montesquieu définit ensuite les différents types de gouvernement : la république, la monarchie, et le despotisme. Le régime républicain est gouverné par le peuple, le régime monarchique par une personne unique avec des lois fixes, et le régime despotique par une seule personne, selon ses caprices. Chacun de ces gouvernements agit selon un principe : la vertu pour la démocratie, puisque la justesse des lois dépend de la vertu des citoyens ; l’honneur pour la monarchie, car ce système favorise l’ambition ; et la crainte est le principe du despotisme, car c’est grâce à la peur qu’il inspire que le despote peut se maintenir en place.

Montesquieu traite ensuite le type d’éducation que l’on reçoit dans chacun de ces gouvernements : dans une monarchie, l’éducation se fait au contact du beau monde. « On n’y juge pas les actions des hommes comme bonnes, mais comme belles ; comme justes, mais comme grandes ; comme raisonnables, mais comme extraordinaires » (livre IV, chapitre 3). Dans le régime despotique, l’éducation est absente, car « l’extrême obéissance suppose de l’ignorance dans celui obéit » (livre IV, chapitre 2). En revanche, l’éducation est indispensable dans une démocratie, pour donner au peuple l’amour de la vertu.

Le régime démocratique est marqué par un esprit d’égalité, qui encourage le commerce et le travail. Si ce principe disparaît, le régime s’effondre : « Lorsqu’on perd l’esprit d’égalité ; mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander » (livre VIII, chapitre 2). Les citoyens ne font plus confiance à leurs représentants et veulent gouverner à leur place. Selon Montesquieu, cette situation finit par dégénérer en despotisme.

La monarchie peut s’effondrer si le monarque veut supprimer les intermédiaires et gouverner seul : il devient alors un despote.

Le despotisme, par nature corrompu, n’a pas besoin de cause extérieure pour s’effondrer.

La pérennité de ces régimes dépend de la taille du pays : un despote ou un roi serait renversé dans une ville, qui favorise la démocratie. En revanche, le despote règne sur de vastes territoires, et le monarque sur un territoire de taille moyenne.

Montesquieu aborde ensuite sa théorie de la séparation des pouvoirs, sur laquelle s’est sans doute appuyée la Constitution, élaborée après la Révolution de 1789. Selon cette théorie, le pouvoir doit limiter le pouvoir afin de conserver la liberté : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principes, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (Livre IX, chapitre 6). Il faut donc séparer le pouvoir législatif, exécutif, et judiciaire.

Montesquieu examine les rapports entre la géographie d’un territoire et les lois qui le régissent. Les mœurs dépendent du climat. Cette théorie est très critiquée à l’époque, et encore aujourd’hui. En effet, elle perpétue certains stéréotypes voulant que les pays froids engendrent des peuples forts et vifs, et les pays chauds des peuples paresseux.

Au livre XV, Montesquieu se livre à une critique de l’esclavage demeurée célèbre en raison de l’usage qu’il fait de l’ironie pour mieux dénoncer l’absurdité d’un tel système. « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir » (livre XV, chapitre 5).

Dans le livre XIX, Montesquieu définit l’esprit des peuples, qui dépend de multiples facteurs comme le climat, la religion, les mœurs, etc. Il souligne que les lois doivent être adaptées à ces facteurs, et non s’y opposer : « il est aussi dangereux, et plus, de renverser l’esprit général, que de changer une institution particulière. » (livre XIX, chapitre 12).

Citation

« Il vaut mieux dire que le gouvernement le plus conforme à la nature, est celui dont la disposition particulière le rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi. »

Livre I, chapitre 3
« Dans l’état de la nature, les hommes naissent bien dans l’égalité : mais ils ne sauraient y rester. La société la leur fait perdre, et ils ne redeviennent égaux que par les lois. »

Livre VIII, chapitre 3
« Il y a deux sortes de tyrannie ; une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement ; et une d’opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la manière de penser d’une nation. »

Livre XIX, chapitre 3
« L’effet naturel du commerce est de porter la paix. […] Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font, ou s’y donnent pour de l’argent. »

Livre XX, chapitre 2