Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie

Contexte

C’est sous le titre Contre’Un qu’est publié pour la première fois, en 1574, le Discours de la servitude volontaire. Ce sont les protestants qui publient ce livre, en pleine guerre de religion, car ils y voient une attaque de la monarchie catholique. Ce n’est pas La Boétie qui publie son texte, car il meurt en 1563, probablement des suites d’une tuberculose.
Grâce à son illustre ami Montaigne, nous savons qu’il a écrit le Discours, traité de philosophie politique, dès l’âge de dix-huit ans, et qu’il le reprendra plusieurs fois avant sa mort. C’est un ouvrage d’une profonde érudition qui démontre la grande capacité de raisonnement de ce jeune homme. En 1548, il est marqué par la violente répression d’une révolte contre les impôts en Guyenne, ce qui le conduit à produire ce texte, qui trahit le malaise de l’élite face à la brutalité du pouvoir monarchique.

La brillante remise en cause de la légitimité des tyrans apporte une grande renommée au Discours de la servitude volontaire. Outre l’admiration des protestants, Montaigne va faire une grande publicité au texte, qui deviendra une référence, plus de deux cents ans après sa première publication, pour les philosophes des Lumières, comme Rousseau, puis pour les révolutionnaires, tel Marat qui ira jusqu’à le plagier. Des penseurs de la fin du dix-neuvièmesiècle et du vingtième vont le discuter abondamment, comme Henri Bergson, Simone Weil ou Pierre Clastres. Avec des perspectives et des réponses bien différentes, le philosophe Paul Nizan ou encore le sociologue Luc Boltanski se poseront la même question que La Boétie : pourquoi les peuples obéissent-ils ? Enfin, il est possible de dire, en exagérant à peine, que la formule « Soyez donc résolus à ne servir plus, et vous voilà libres » est une devise incontournable pour des générations entières de révoltés à travers les siècles.

Personnages

Le « je » : Le statut de la voix énonciative dans le Discours de la servitude volontaire est ambigu. La Boétie n’évoque pas des étapes marquantes de sa vie, et ne se désigne pas en son nom, mais se remémore souvent des échanges intellectuels, des pensées, des lectures. Il met en avant sa culture, son érudition, ses connaissances, sa faculté de raisonnement, pour convaincre et persuader le lecteur du bien-fondé de sa thèse, à savoir qu’il est possible de se gouverner soi-même et de refuser la servitude. Il construit une image de lui-même dans laquelle il semble se soucier du petit peuple, tout en se montrant paternaliste ; et appartenir aux élites, tout en les fustigeant. Il cultive donc une position subtile qui prend des partis différents selon le point à discuter.
En revanche, il ne se range jamais du côté des tyrans. Il reste toutefois difficile de savoir exactement ce qu’il pense, car il utilise souvent l’ironie, le second degré, l’humour. S’il admire les auteurs de l’Antiquité, il n’hésite pas à les critiquer parfois ; s’il flatte les érudits, il les met en garde contre leur orgueil, mais ces critiques sont souvent énoncées de manière détournée, indirecte.
Le peuple et les élites : La vision du peuple dans le Discours de la servitude volontaire est ambiguë : il est montré à la fois comme une victime de la tyrannie, et tantôt comme le responsable de son oppression. La Boétie s’indigne de ce que le tyran fait subir à une population qu’il rend bête, qu’il réduit à l’esclavage et qu’il massacre, et reproche à cette même population d’être passive, lascive, coupable de révolte sanglante, et parfois indigne de la liberté. La Boétie n’en appelle pas à un gouvernement du peuple, mais à un gouvernement de soi lucide, que seule une part limitée de la population peut atteindre et donner en exemple. Il distingue donc le peuple moutonnier de l’élite érudite.
Les tyrans : Le Discours de la servitude volontaire est une galerie de portraits de tyrans.
Pour ne pas trop s’attirer les foudres du pouvoir en place, La Boétie tire la plupart de ses exemples de l’Antiquité, époque pendant laquelle a été créée la tyrannie. Il fustige également les seigneurs et les monarques de la société féodale qui se meurt au moment de l’écriture du pamphlet. La Boétie ne voit dans la soumission des serfs qu’obscurantisme et cruauté. Le tyran est un « mangepeuples », vicieux et manipulateur, à qui on ne peut pas faire confiance. Rusé, il ne s’impose pas forcément par la force. Il « effémine » le peuple et utilise ses « tyranneaux » pour asseoir son pouvoir. Heureusement, le savoir et l’amitié sont en mesure de faire trembler les bases de son pouvoir.

Thèmes

La servitude : La servitude est le sujet de la réflexion proposée par La Boétie. Elle est définie comme un état de soumission comparable à une maladie du corps ou un poison. Le paradoxe qu’identifie La Boétie c’est que cette servitude est acceptée par le plus grand nombre. La servitude est à distinguer de l’obéissance éclairée. Les plus asservis sont les « favoris » et les personnes qui se situent juste en dessous du tyran dans la hiérarchie du pouvoir. La servitude est montrée comme une habitude. L’homme croit que c’est un état naturel, mais oublierait que ce n’est que le produit de la coutume et de son éducation. Même les animaux refusent parfois d’être soumis : il faudrait donc user de son jugement individuel pour refuser la servitude.
La liberté : La liberté est le bien le plus précieux que nous puissions défendre. Il s’articule avec la « franchise » : façon d’être libre dans la société féodale. Chacun est en mesure de s’emparer de sa liberté s’il fait preuve de vaillance, même s’il est vrai que ce sont les « mieux nés » qui sont le plus capables de revendiquer leur liberté. Cette position leur donne donc une responsabilité : ils doivent guider le peuple vers son émancipation en usant de leur savoir, véritable menace pour le tyran.
L’amitié : C’est la vertu cardinale pour La Boétie. Elle implique des devoirs et des droits, mais garantit l’égalité entre les hommes. Si je suis ami avec quelqu’un je vais être bon pour lui et vais faire en sorte de ne pas lui faire de mal. Je vais le considérer comme un être doué de raison, et vais apprendre à son contact. Il n’y a donc que de bonnes choses à tirer d’une relation amicale, et le pouvoir institutionnel devrait prendre les rapports amicaux pour exemples. L’harmonie, la justice, la paix et la liberté s’envisagent à travers la fraternité. Le tyran n’a jamais d’ami et n’est pas aimé, ce qui est une faiblesse.

Résumé

La structure du texte est délicate à déterminer, puisque l’auteur multiplie les digressions autour d’anecdotes historiques, et ne crée pas de paragraphes. Néanmoins, il suit bien les grandes étapes du discours définies par Cicéron dans l’Antiquité.

Exorde

La Boétie pose le problème : le peuple se soumet volontiers à un chef. Il utilise Homère pour introduire son propos, mais réfute l’idée de L’Illiade, exposée par Ulysse, selon laquelle il est bon de suivre un seul maître.

Développement

  • 1re partie

La Boétie blâme la servitude volontaire. Il écarte tout de suite l’idée qu’il proposerait un nouveau régime politique. Son raisonnement est purement éthique : qu’est-ce qui fait que nous obéissons ? Selon lui, ce n’est pas seulement à cause de la lâcheté des peuples. Il oppose l’amitié à notre tendance à la soumission. Il digresse sur des récits de batailles, dans lesquelles la « vaillance » montre que ce sont ceux qui se battent pour leur liberté qui sont les meilleurs. La Boétie insiste sur la responsabilité du peuple : il oublierait de défendre la liberté. Il harangue les pauvres et les miséreux, et les appelle à se guérir de la maladie de la soumission.

  • 2e partie

La Boétie tente d’identifier les raisons qui conduisent à oublier la liberté. Il se dit que l’obéissance aux parents, loi naturelle, peut être une des causes, dans le sens où nous agirions par réflexe. Il digresse ensuite en donnant de nombreux exemples d’animaux refusant leur captivité. Il termine cette séquence sur des vers de sa composition et une apostrophe à Longa et une réflexion sur la « malencontre ».
Le développement qui suit tourne autour de ce que La Boétie considère comme trois causes de notre servitude : la coutume, l’affaiblissement du peuple, l’imagination. La coutume nous dénature, tel Mithridate s’étant habitué au poison, et nous devrions être mieux éduqués pour la remettre en question, tels les chiens de Lycurgue. L’exemple de Xerxès et des Spartiates offre un exemple de désobéissance heureuse. La fable des Cimmériens montre aussi qu’on peut s’imaginer être autre chose qu’un esclave. Le savoir contre la coutume passe aussi pour une menace envers le tyran. La Boétie précise que le savoir est un meilleur outil d’insoumission que certaines révoltes.
La Boétie reprend son exposé en présentant l’affaiblissement du peuple, c’est-à-dire la corruption organisée par le tyran, comme un fléau auquel Hippocrate a su résister. L’imagination est enfin la dernière cause de l’asservissement : nous imaginons d’atroces punitions, nous laissons abêtir tels les Lydiens pervertis par Cyrus ou les Romains multipliant les banquets, ou les rois manipulateurs d’Assyrie. L’exemple de Xénophon nous permet de penser cet état de fait et de repousser les croyances absurdes, les miracles, le mauvais usage de la religion. Les poètes nous éclaireraient mieux que les rois.

  • 3e partie

Dans un dernier temps de son raisonnement, La Boétie s’en prend ouvertement à ceux qu’il désigne comme les complices de la tyrannie, c’est-à-dire les « favoris », les militaires, les courtisans, tous ceux qui se trouvent entre le « grossier peuple » et le tyran. Ils sont les piliers d’un système d’oppression et en même temps, c’est à eux de le renverser. Ils sont la proie du tyran qui ne sera jamais leur ami. À travers la fable du Renard et du Lion, La Boétie déplore que « personne ne veuille se faire sage ». Il méprise le sort des « favoris », entachés pour toujours d’être de vils complices.

Péroraison

La conclusion de l’ouvrage s’adresse à l’élite, qui se doit d’être vertueuse et responsable. C’est à elle que revient le devoir de refuser la tyrannie, d’éclairer le peuple, de réveiller les consciences, de défendre la liberté. Les tyrans et leurs complices seront de toute façon damnés par Dieu. Il y a donc une responsabilité individuelle à opposer à une servitude volontaire et collective.

Citations

« Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres. »

Exorde


« C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte sa franchise et prend le joug ; qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. »

Exorde


« [C]’est la liberté qui est pourtant un bien si grand et si plaisant que, lorsqu’elle est perdue, tous les maux viennent ensuite. »

Développement, 1re partie


« Le Grand Turc a bien compris que les livres et la doctrine permettent plus que tout autre chose aux hommes de se reconnaître et de haïr la tyrannie : je comprends qu’il n’ait en ses terres guère de gens savants, ni n’en demande. »

Développement, 1re partie


« [E]t personne ne peut comprendre que la Nature ait mis qui que ce soit en servitude, nous ayant tous mis en compagnie. »

Développement, 3e partie


« [L]e tyran n’est jamais aimé, ni n’aime : l’amitié c’est un nom sacré, c’est une chose sainte ; elle ne se met jamais qu’entre gens de bien, et ne se noue que par une mutuelle estime. »

Péroraison

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