Entretiens sur la pluralité des mondes, Bernard Le Bouyer de Fontenelle

Contexte

Étudiant en droit et fils d’avocat, Fontenelle ne rêve que d’une chose : devenir écrivain, et si possible, dramaturge. Il écrit donc de nombreuses pièces de théâtre, mais il s’essaie aussi à tous les autres genres littéraires. En 1683, il connaît enfin le succès avec la dissertation scientifique. Cette année-là, il publie ses Nouveaux dialogues des morts, entretiens avec des célébrités du passé pétries de préjugés, qui annoncent les Entretiens sur la pluralité des mondes, qu’il rédige à Rouen trois ans plus tard. Le succès est immense, car son projet de vulgarisation fonctionne. Fontenelle parvient à transmettre clairement des idées complexes. De plus, il ose écrire en français ses cinq leçons scientifiques, alors qu’habituellement les écrits de science sont toujours rédigés en latin. Une autre raison de son succès, c’est qu’il popularise une théorie révolutionnaire, qui était peu connue en France : l’héliocentrisme. Il contribue donc à bouleverser en profondeur la représentation de l’Univers et des humains que se font ses contemporains.

Le sixième et dernier soir n’est ajouté qu’en 1687. Ensuite, Fontenelle republiera trente-trois fois son ouvrage, en mettant à jour les connaissances qu’il expose. L’entreprise de vulgarisation des Entretiens sur la pluralité des mondes se poursuit donc toute la vie de l’auteur. À partir de cet ouvrage, Fontenelle se spécialise dans les activités de vulgarisation, ce qui lui ouvrira les portes de l’Académie française, puis de l’Académie des Sciences, et le poussera à produire d’autres ouvrages du même genre, comme l’Histoire des oracles. Le retentissement des Entretiens dans l’histoire des ouvrages de vulgarisation n’a pas d’égal sous l’Ancien Régime (1589-1789). Les intellectuels des Lumières, scientifiques ou philosophes, insisteront longuement sur ce qu’ils doivent aux Entretiens, et notamment cette volonté de devoir défendre la raison contre l’obscurantisme.

Personnages

Le philosophe : Le narrateur se présente comme un savant et un philosophe. Tous les entretiens sont rapportés d’après son point de vue, et jamais depuis celui de la marquise, bien qu’il ne cesse de rapporter ses paroles. Mais c’est surtout lui qui parle et qui semble vouloir montrer l’étendue de ses connaissances. Il n’en est pas moins passionnant. L’essentiel de son savoir se concentre sur les questions d’astronomie. Habile pédagogue, il ne se contente pas d’asséner des informations à prendre pour des vérités. Il invite son interlocutrice à réfléchir par elle-même, lui donne des opinions contradictoires, lui tend des pièges bienveillants qui lui donnent à penser, etc. Cependant, différents indices laissent penser que ce n’est pas seulement l’amour de la science qui le conduit à prendre la marquise pour élève. À plusieurs endroits du texte, il reconnaît qu’il est tenté de la séduire.
La marquise : La marquise est présentée de deux manières. Soit comme une ignorante superficielle, soit comme une femme curieuse, intelligente et avide de connaissances. En effet, elle ne se lasse jamais des entretiens avec le philosophe. Elle ne cesse de poser des questions, comprend sa naïveté sur certains sujets, est ravie d’en savoir davantage. Elle essaie même de faire changer d’avis deux hommes sur leur conception de l’Univers. Si le philosophe est le modèle du pédagogue idéal, la marquise est le modèle de l’élève idéal : jamais lassé, toujours en train de raisonner. Progressivement, la marquise gagne en autonomie et en maturité, si bien qu’elle devient un peu savante elle-même.
Les scientifiques : Ptolémée, Copernic, Descartes et d’autres sont montrés comme des scientifiques de renom, dignes d’admiration. Mais lorsqu’il réfute leurs théories, le philosophe ne manque jamais de souligner leurs mérites. Ce qui compte ce n’est pas tant la validité d’une opinion, de toute façon c’est aux autres de la confirmer ou de l’infirmer, mais plutôt la capacité à en forger une, qui soit la plus fiable et la plus solide possible. Au-delà d’un exposé des phénomènes de physique, le philosophe nourrit aussi la culture de son élève. En plusieurs endroits, le philosophe montre que les savants gagnent à être connus autant que les artistes ou les historiens, et que leurs connaissances théoriques valent bien les plus splendides et les plus érudites fictions.

Thèmes

La science : L’objectif des Entretiens sur la pluralité des mondes est de donner au lecteur le goût de la science. En général, le sujet de la conversation porte sur l’astronomie, et dérive de rares fois sur des considérations de physique ou de mathématique plus abstraites. Il ne s’agit pas de montrer en quoi la science est utile, mais de montrer qu’elle est « riante » et toujours d’actualité. En effet, le philosophe donne des nouvelles des découvertes récentes. À la fin du XVIIe siècle, les scientifiques ne sont pas toujours pris au sérieux, ou sont suspectés d’hérésie (croyance condamnée par l’Église) par les autorités religieuses. Il est important de les réhabiliter en montrant qu’ils font avancer le savoir et qu’ils donnent matière à philosopher.
La pluralité des mondes : En matière d’astronomie, le philosophe et la marquise discutent de la possibilité qu’il existe d’autres mondes, et que ceux-ci soient habités. La question extraterrestre revient tout au long des six entretiens. L’expression « pluralité des mondes » existait déjà chez Hérodote et le philosophe Giordano Bruno. L’objectif est de trouver quel milieu serait favorable à l’émergence de la vie ailleurs que sur la planète Terre. Ce sujet permet de parler de physique, mais aussi, dans une moindre mesure, de réfléchir à notre place et notre rôle dans l’Univers, voire à inventer des mondes farfelus. Par le sujet de la pluralité des mondes, les frontières entre science, philosophie et art sont donc abolies.
Le plaisir de la vulgarisation : Avec son livre, Fontenelle entend montrer que la science est accessible à toutes et à tous. Il ne rédige pas un manuel d’astronomie à l’usage des savants. Il produit une fiction galante, dans laquelle il est question de séduction, mais aussi, et surtout, de science. Pour que son discours soit accessible à tous, il évite le jargon scientifique, ne présente jamais de chiffres et de formules, recourt à des analogies, comparaisons et métaphores, pour rendre le propos plus familier. La structure en soirées permet de séparer les sujets, et la présence d’une femme ignorante permet de poser les questions les plus évidentes, mais que le lecteur n’oserait peut-être pas poser. Il y a donc une fine structure didactique dans cet ouvrage, qui permet de faire de la vulgarisation un genre littéraire à part entière.
La place des femmes : Les préjugés de Fontenelle et le fait que son récit reprenne les codes de la littérature galante le conduisent à produire une œuvre misogyne par plusieurs aspects : la marquise est une ignorante qui intéresse le philosophe d’abord pour ses charmes. Passées ces considérations, il apparaît que Fontenelle ose utiliser un dispositif narratif audacieux sur le plan de la défense du statut des femmes au XVIIe siècle. En effet, il ne choisit pas un homme pour incarner l’élève du savant. C’est surprenant, car à l’époque les femmes n’ont pas accès aux études, y compris au sein de la noblesse, où on attend des femmes qu’elles aient une culture limitée. Fontenelle plaide donc en faveur de l’éducation des femmes. Sa marquise est de moins en moins superficielle à mesure que les entretiens s’enchaînent, et la question amoureuse passe largement au second plan. À la fin de l’ouvrage, le savant l’adoube en voyant chez elle une réelle savante.

Résumé

Préface

Dans sa préface, Fontenelle présente le projet de ses entretiens. Il souhaite divertir des gens qui sont déjà savants, et instruire tout en amusant des lecteurs et des lectrices qui ne connaîtraient rien à l’astronomie. C’est pour atteindre ces deux objectifs qu’il adopte la forme de la conversation avec une marquise ignorante, mais curieuse. Fontenelle anticipe aussi d’éventuelles objections venues des théologiens, c’est-à-dire des spécialistes de la religion, qui pourraient s’offusquer qu’on laisse entendre qu’il est possible qu’il y ait des êtres humains ailleurs que sur la Terre. En effet, cette idée est contraire avec les contenus de la Bible. La préface se clôt avec une fausse lettre à un destinataire inconnu. L’auteur annonce qu’il va lui rendre compte « de la manière dont [il a] passé [s]on temps à la campagne, chez Madame la marquise de G***. »

Premier soir

Pendant une promenade nocturne, le narrateur laisse entendre à la marquise que chaque étoile pourrait être un monde : c’est la théorie de la pluralité des mondes. La marquise se fait pressante pour en savoir davantage. Pour introduire son propos, le narrateur va comparer la nature à un opéra. La science moderne se donnerait comme objectif de découvrir le mécanisme caché qui rend si merveilleux le spectacle de la nature. Il présente ensuite le système géocentrique de Ptolémée, et montre que le système de Copernic permet de résoudre les difficultés posées par le premier système. Il en profite pour démontrer que la Terre tourne sur elle-même, en s’imaginant immobile, regardant les pays défiler sous lui. Cette soirée se conclut sur la réfutation du système de Tycho Brahé.

Deuxième soir

Le lendemain, le philosophe prépare la marquise à l’idée que la Lune pourrait être habitée, comme la Terre. Pour se faire, il montre que la société est trop pleine de préjugés. Il établit de nombreuses similitudes entre les deux astres. La conversation dévie sur la question des éclipses. Le philosophe en profite pour moquer la peur irrationnelle que ce phénomène provoque chez les humains. Bien que des lunettes astronomiques permettent de voir les cratères de la Lune, la marquise veut plus de détails sur le satellite. Le philosophe lui résume donc ce qu’un poète italien imagine qui se trouve sur la Lune. D’après lui, il n’y a pas d’êtres humains là-haut, mais d’autres êtres vivants. Le philosophe défend ensuite l’idée qu’un jour nous pourrons aller sur la Lune.

Troisième soir

Pour débuter la troisième soirée, le philosophe décide de surprendre la marquise. Alors que la veille il expliquait qu’il était possible qu’il y ait des êtres vivants sur la Lune, il prétend maintenant que c’est impossible. En effet, il présente l’absence d’atmosphère comme incompatible avec l’émergence de la vie. Il faudrait donc imaginer des êtres adaptés à d’autres milieux. De cette absence d’atmosphère, il déduit d’autres particularités de la Lune, et se plaît à imaginer ce qu’on doit voir de la Terre depuis la Lune. La marquise et le philosophe se mettent d’accord pour dire qu’il n’y a aucune raison pour que seule la Terre soit peuplée. Le philosophe invente alors les coutumes invraisemblables des extraterrestres. Mais ces coutumes sont en réalité celles… des abeilles ! Il montre ainsi à la marquise que certains modes de vie incroyables peuvent être tout proches de nous.

Quatrième soir

L’entretien du quatrième soir porte sur des corps cosmiques plus éloignés que la Lune. Les deux interlocuteurs discutent des spécificités de Vénus et de ses éventuels habitants. La conversation dérive sur Mercure et la chaleur qui y règne, puis sur le Soleil. Ce dernier astre est à distinguer des planètes. Personne ne sait de quoi il est fait, mais il semble évident qu’il ne s’y trouve aucun habitant. Le philosophe entreprend un exposé au sujet du système solaire : il évoque Mars et Jupiter. L’évocation des satellites de Jupiter donne envie à la marquise d’en savoir plus sur la théorie des tourbillons de Descartes, avant de revenir à l’évocation de Jupiter et de ses habitants imaginaires. Saturne retient l’attention de la marquise en raison d’une de ses spécificités : son anneau. La discussion rebondit de nouveau sur l’absence de Lune de Mars, puis revient à Saturne. Ils concluent tous les deux que c’est la position intermédiaire vis-à-vis du Soleil, et le climat tempéré de la Terre qui y rend la vie possible.

Cinquième soir

La marquise a beaucoup réfléchi à toutes les conversations qu’elle a eues avec le philosophe. Elle lui dit que, d’après elle, toutes les étoiles fixes sont des Soleils, et qu’il y a autant de mondes que d’étoiles. Elle est émue et prise de vertiges à l’idée que la Terre soit si peu de choses à l’échelle de l’Univers. Elle reprend ses esprits, et hésite : elle ne croit pas que chaque étoile soit entourée d’un monde comme le nôtre. Le philosophe lui explique que d’après lui il y a encore plus d’étoiles fixes que ce qu’elle voit, et donc, encore plus de mondes possibles. Il donne l’exemple de la Voie lactée. La conversation se porte alors sur ce qui peut se trouver entre les mondes. Pour le philosophe, il n’y a rien : les mondes se touchent. Seules les comètes seraient capables de voyager d’un monde à l’autre. La conversation se conclut sur une dernière révélation du savant : les étoiles peuvent mourir, et d’autres peuvent renaître. Le monde est donc en perpétuel mouvement.

Sixième soir

Le dernier soir n’a pas lieu à la suite des autres, mais « longtemps » après. En réalité, il n’est publié qu’en 1687, soit un an après la première édition des cinq entretiens. La marquise explique sa frustration de ne pas être parvenue à convaincre deux hommes que la vie pourrait exister sur une autre planète. En réaction, le philosophe lui dit de ne pas parler de science au plus grand nombre. Le peuple serait incapable de raisonner. Ils se demandent alors ensemble si l’existence d’habitants sur d’autres planètes est une certitude ou juste une opinion. Pour le philosophe il s’agit d’une hypothèse aussi valable qu’un fait historique. Or, les faits historiques que nous tenons pour certains sont parfois de simples fictions. Ils en reviennent aux questions d’astronomie, car la marquise veut en savoir encore davantage. Le philosophe donne alors des arguments plus complexes pour expliquer la rotation de la Terre, et le fait qu’elle ne tourne pas sur elle-même en exactement vingt-quatre heures. Cela inspire au narrateur un raisonnement sur les modifications constantes de l’Univers, avant qu’il ne tienne à jour la marquise sur les découvertes les plus récentes à propos de Jupiter, Mars, la lumière zodiacale, et enfin le ciel vu de la Chine. C’est donc sur une invitation au décentrement culturel que les entretiens se referment.

Citations

« J’ai voulu traiter la philosophie d’une manière qui ne fut point philosophique ; j’ai tâché de l’amener à un point où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants. »

Préface


« Les idées de physique y sont riantes d’elles-mêmes, et […] dans le même temps qu’elles contentent la raison, elles donnent à l’imagination un spectacle qui lui plaît autant que s’il était fait exprès pour elle. »

Préface


« Je veux seulement vous faire voir qu’on peut assez bien soutenir une opinion chimérique, pour embarrasser une personne d’esprit, mais non pas assez bien pour la persuader. »

Deuxième soir


« En disant toujours Pourquoi non ? vous m’allez mettre des habitants dans toutes les planètes ? N’en doutez-pas, répliquai-je, ce pourquoi non ? a une vertu qui peuplera tout. »

Troisième soir


« Puisque nous sommes en humeur de mêler toujours des folies de galanterie à nos discours les plus sérieux, les raisonnements de mathématiques sont faits comme l’amour. »

Cinquième soir

Ce contenu est réservé à nos inscrits. Il reste 50% à lire.
Inscrivez-vous gratuitement pour lire la suite
Inscrivez-vous pour lire la suite et accéder à nos vidéos, quiz, exercices, méthodes… Tout ce qu’il faut pour augmenter sa moyenne. 😉