Michel Butor (1926-2016) a d’abord été professeur de philosophie avant de consacrer pleinement sa vie à l’écriture. Ses livres les plus célèbres sont L’Emploi du temps (1956) et La Modification (1957). Il est également l’auteur de nombreux essais. Ses écrits sont apparentés aux travaux qui caractérisent le nouveau roman.
L’ouvrage La Modification est paru la même année que Le Vent de Claude Simon, Tropismes de Nathalie Sarraute et La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet. La Modification a été très bien reçu par la critique et couronné du prix Renaudot. Aujourd’hui traduit dans une vingtaine de langue, il est le plus lu des ouvrages du Nouveau Roman.
Le narrateur : L’unique personnage en présence est le narrateur, un père de famille auquel tout un chacun peut aisément s’identifier. Les autres personnages : sa maîtresse Cécile, sa femme et ses enfants, n’existent qu’à travers les évocations du narrateur.
Les choix narratifs de Butor : Voici comment commence La Modification : « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. » (Extrait de l’incipit du roman).
Butor fait le choix d’une narration à la deuxième personne du pluriel, permettant au lecteur de réaliser une expérience inédite. L’identification au narrateur en est facilitée – bien que ce soit de manière quelque peu troublante. Pour bien comprendre la portée du roman de Butor dans le contexte de sa parution, il faut se mettre à la place d’un lecteur des années 1950 habitué à la lecture de romans traditionnels, et potentiellement bouleversé par le système d’énonciation choisi par Michel Butor. Celui-ci rendra l’ouvrage célèbre. Le nouveau roman et le projet flaubertien : « un livre sur rien » : À l’instar de Butor et de La Modification, nombre d’auteurs du Nouveau Roman reprennent à leur compte le projet de Gustave Flaubert de faire « un livre sur rien ». L’histoire que raconte La Modification est en effet peu consistante.
Bouleversant ses habitudes (il voyage par exemple en 3e classe, tandis qu’il est habitué à la 1re) le personnage principal quitte Paris pour rejoindre sa maîtresse à Rome. Il est résolu à l’informer qu’il va quitter sa femme et leurs quatre enfants pour vivre avec elle à Paris. En chemin, ses résolutions et dispositions affectives changeront de direction. Ces modifications affectives émergeront au contact d’objets avec lesquels il partage « une intimité douloureuse ». Arrivé à destination, il passera trois jours à Rome sans voir sa maîtresse et décidera d’offrir à sa femme ce voyage dans la capitale italienne, voyage qu’ils ont déjà effectué ensemble deux fois : une fois avec enchantement et la seconde avec lassitude, la détérioration de leur couple ayant affecté le vécu du voyage.
Le livre dans sa matérialité est également du voyage : ce père de famille auquel chacun peut potentiellement s’identifier a acheté un livre à la gare de Paris, un livre qu’il ne lit pas pendant le voyage, mais qu’il tient encore en main à la gare romaine. C’est en effet dans les livres et la littérature qu’il trouvera une issue à l’impasse de sa géographie affective (une vie morose à Paris contre le mythe romain, décelé en chemin) : il décide alors d’écrire « pour tenter de faire revivre sur le mode de la lecture cet épisode crucial de votre aventure » le livre même que tient le lecteur en ces mains et qu’il écrit tandis qu’il le lit.
« Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. »« Il pleuvait sur Gênes tandis que vous dîniez au wagon-restaurant, et vous regardiez la nombre des gouttes d’eau augmenter de l’autre côté de la vitre ; vous avez passé la frontière vers 1 heure du matin, puis on a éteint la lumière et vous vous êtes endormi confortablement pour ne vous réveiller que vers les cinq heures du matin ; entrouvrant le rideau bleu vers votre droite, vous avez vu, interrompant la nuit encore complète, les lumières d’une gare dont vous avez pu lire le nom comme le train. »« Il me faut écrire un livre ; ce serait pour moi le seul moyen de combler le vide qui s'est creusé, n'ayant plus d'autre liberté. »« Au-delà de la fenêtre, la pluie est devenue plus violente, frappant la vitre de grosses gouttes qui commencent à descendre lentement en traçant des ruisseaux obliques. »